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L'été des festivals en France

Dans le mouvement post-soixante-huitard, il y a deux formes de radicalité : celle – au fond très européenne même si on trouve des ramifications aux Etats-Unis et au Japon –  du gauchisme et celle – d’origine américaine – du psychédélisme hippie. Aux Etats-Unis, les yippies de Jerry Rubin (Do it) tentent à la fin des années 1960 de mener de front la révolution politique et la révolution hippie tandis que certaines vedettes de la culture pop militent pour cette double radicalité : c’est le cas du Beatle John Lennon, très engagé sur le plan civique (contre la guerre du Vietnam et pour la paix universelle, pour le droit des femmes et des minorités), et engagé en parallèle dans des expériences d’avant-garde menées avec sa femme, l’artiste japonaise Yoko Ono. En mai 1969, les deux figures de la pop culture manifestent pour la paix en inventant le "bed-in", improbable happening en pyjama face à des cohortes de photographes du monde entier. Ils s’étendent ainsi dans un grand lit à l’hôtel Reine Elizabeth de Montréal et pendant huit jours, ils reçoivent des centaines de journalistes pour faire connaître leur point de vue sur la guerre du Vietnam. Notons que Yoko a décidé de mettre intégralement en ligne (en 2011) le documentaire Bed Peace, à rédecouvrir d'urgence, avec quelques scènes d'anthologie ! On y voit beaucoup Timothy Leary, le pape du LSD, mais c'est aussi avec le recul un véritable happening pop qui ne manque pas de fraicheur communicative. En juin 1972, Lennon/Yoko sortent le disque Some Time in New York City, album très engagé dans de mutiples causes, ainsi Woman is the Nigger of the World, Sunday Bloody Sunday, Born in a Prison...Un nouvel état d'esprit qui s'accompagne désormais de grandes manifestations médiatiques, destinées à "changer le monde", avec les moyens que le capitalisme marchand met à la disposition des artistes et musiciens protestataires.

De toute évidence, les grands festivals musicaux de la fin des années 1960 – rassemblements d’Amour, de Musique et de Politique – sont les catalyseurs de cet état d’esprit : les modèles en sont Monterey (1967) puis Woodstock (1969), dont le film éponyme de Michael Wadleigh projeté en 1970 en France connaît un grand succès public, sans oublier l’île de Wight en Angleterre (en 1969/70, festivals fréquentés par de nombreux jeunes français), ainsi que le grand concert rock donné en 1971 en faveur des victimes du Bangladesh au Madison Square Garden de New-York. Les festivals ne sont pas tous des tribunes politisées et les chansons vraiment engagées sont très minoritaires mais l'impact de quelques performances est considérable, tel Jimi Hendrix torturant avec sa guitare le Star Spangled Banner lors du festival de Woodstock. La variété française est  sensiblement influencée par ces événements, si l’on en croit le très gros succès au hit-parade de Michel Delpech (Wight is Wight, 1969, No 1). Accompagnés d'une flatteuse réputation - alors que ce furent parfois des chaos indescriptibles comme le Windsor Festival anglais ou ponctués de violentes dérives comme à Altamont en 1969 - ces festivals ne sont pas en soi une nouveauté, précédés un peu partout par des festivals de folk ou de jazz et même de rock dans l'Angleterre de la fin des années 1950. Ce qui est inédit en revanche, c'est le développement de "free festivals" (non payants ou qui deviennent gratuits en raison de l'afflux de visiteurs) et surtout la massification et la médiatisation d'événements planétaires, avec à Woodstock près de 500 000 jeunes estimés, dix fois plus que les prévisions d'organisateurs complètement dépassés. Se produire - même dans de mauvaises conditions - dans un festival est pour un-e musicien-ne ou un groupe de rock la garantie d'une notoriété quasi mondiale. Il a fallu près de quatre ans aux Beatles ou aux Rolling Stones pour devenir des vedettes planétaires, après de longues et harassantes tournées. Présentes en août 1969 à Woodstock, des formations quasi inconnues comme Ten Years After ou Santana n'ont eu aucun souci pour assurer une carrière internationale. Aujourd'hui, Woodstock est devenu une sorte de mythe américain inscrit dans l'histoire nationale, comme l'attestent l'édition d'un timbre-poste en 1999 et les multiples commémorations passées en 2009 et prévues en 2019. L'affiche du "Woodstock 2019" a été dévoilée en mars : pendant trois jours du 16 au 18 août vont se mélanger les vieilles gloires révélées en 1969 (Santana, John Fogerty, Dead and Company (ex-Grateful Dead), John Sebastian, Country Joe McDonald, David Crosby, Melanie ainsi que Canned Heat) et des artistes un peu plus actuels comme Jay-Z, The Raconteurs, Courtney Barnett etc.


Alors que sort donc sur les écrans de 1970 le film Woodstock, relayé par un triple-album microsillon, la France organise ses premiers festivals pop. On lira à ce sujet le récent et très documenté mémoire de master 2, soutenu à l'université de Versailles-Saint Quentin par Johanna Amar, Les premiers festivals de musique pop en France en 1970 : Le Bourget, Valbonne, Aix-en-Provence et Biot). Preuve que l'université s'intéresse désormais au mouvement pop ! Sur la toile, il existe de nombreux blogs relatifs
aux souvenirs de ces festivals, avec parfois de véritables reportages photographiques, tout à fait inédits. Le site de l'Ina permet aussi de belles découvertes comme ces quelques rares images du Festival du Bourget, d'Aix ou l'émission Pop 2 du 20 août 1970 (oui, il y avait un programme pop à la télévision française et les habitués du quartier latin des années 1970 y reconnaîtront Aguigui Mouna, le clochard-philosophe libertaire du 5ème arrondissement de Paris).

Campement à Biot (site Parole de Musique)

Cabu et son Grand Duduche hippie-compatible (Pilote, 1970)

L'élection de Georges Pompidou en 1969 n'a pas fondamentalement changé le rapport du pouvoir à la culture pop/rock, volontiers amalgamée aux désordres de mai-68 et à la "chienlit révolutionnaire". Suite aux interdictions du ministère de l'intérieur, le First Paris Music Festival (prévu aux Halles puis au Parc de Saint-Cloud) se tient finalement à Amougies, en Belgique, du 24 au 28 octobre 1969. Un festival a pu avoir lieu au Bourget, en mars 1970, sous la condition d’une limitation du nombre des participants et de l’absence de référence au « pop ». Le souci du "maintien de l'ordre" est un véritable slogan dans le contexte de l'après mai-68 : la jeunesse doit être contrôlée dans ses rassemblements et agissements, fussent-ils de nature pacifique et a priori sans objectifs politiques bien précis. Dans le contexte post-68, alors que la presse multiplie les articles inquiétants sur la drogue et le LSD, les grands rassemblements pop semblent donc dangereux et sont dénoncés comme tels par Raymond Marcellin, alors ministre de l'intérieur de G.Pompidou et à l'origine de la loi dite « anti-casseurs » du 8 juin 1970. La rhétorique anti-jeune porte plus désormais sur la peur d'envahisseurs barbares - surtout sales et chevelus, parfois très dénudés et consommateurs de haschich - que sur celle de casseurs professionnels mais les deux aspects se confondent. Le président de la République, interrogé par la presse à propos du festival d'Aix donne son opinion de façon très gaullienne qui est aussi celle d'un homme pétri de culture classique : « Je ne comprends pas pourquoi pour écouter un concert de pop music, il faut se mettre à 25 000 le plus sale possible et en refusant quatre sous pour entendre des musiciens qui se font payer très cher. Ceci étant dit, je n’ai rien contre la pop music». Cela nous ramène en effet en 1963 lorsque le général de Gaulle suggérait non sans ironie mais avec une certaine franchise qu’on emploie toute cette énergie juvénile [du rock] à creuser des routes.

Place de la Nation, juin 1963, le premier grand rassemblement de jeunes en France (Johnny sur la photo) : "Notre Woodstock" selon le photographe J-M Périer.

Durant l’été 1970, des festivals pop sont donc organisés tant bien que mal à Valbonne, Aix et Biot, mais ce sont de relatifs échecs en comparaison des festivals anglo-saxons ; celui d’Aix réunit 40 000 jeunes qui bravent toutefois une interdiction municipale et préfectorale ; celui de Biot ne réunit que 25 000 spectateurs dont 4000 payants (30F) et beaucoup de groupes ne sont pas venus jouer. A Valbonne au Riviera Festival (juillet 1970), la programmation est expérimentale et audacieuse, avec Frank Zappa couplé avec le violoniste Jean-Luc Ponty, Iron Butterfly, Amon Duul, Gong et...Brigitte Fontaine. Le programme présenté à Biot ne manque pas de panache rock avec Joan Baez, Pink Floyd, Eric Clapton, Soft Machine, Gong, Country Joe et les Moody Blues mais le festival est interrompu en raison de la fraude généralisée et de bagarres. Paradoxalement, à Aix, c'est le maire socialiste qui s'oppose au festival programmé début août et organisé par...le général Claude Clément, un ancien activiste de l'OAS devenu pacifiste (!), responsable du festival de musique classique d'Aix et qui a réussi à faire venir Leonard Cohen, Johnny Winter, Colosseum, Pete Brown (Joan Baez a refusé en raison du "passé colonialiste" du général). Il existe des archives de l'INA et un témoignage filmé de ce festival, Guitare au Poing, à cause du pop de Daniel Szuster, documentaire dialogué par Jacques Higelin et qui sort en France en 1973. Selon le général Clément, « Ce n'est pas de cette façon [en interdisant] qu'on ouvrira le dialogue avec la jeunesse. A mon avis on prépare un nouveau mai 1968". La ténacité du général Clément a payé mais c'est oublier un peu vite que ce festival d'Aix fut en partie "sponsorisé" par la station Europe No 1, qui avait envoyé sur place Michel Lancelot, l'animateur de l'émission (très rock) Campus. En effet, les stations dites périphériques cherchent à attirer les auditeurs de la génération des 18-30 ans (ceux qui fréquentent les festivals) et à faire la promotion de la pop music (François Jouffa sur Europe 1, Jean-Bernard Hebey sur RTL avec Poste restante).

Il faut bien comperendre que la majorité de l'opinion publique comme de la presse sont favorables à la tenue de ces festivals pop, y compris à droite et même à l'extrême-droite (Lucien Rebatet dans Rivarol dénonce certes "l'africanisation de la jeunesse", les "hippies déculturés" mais il avoue son intérêt pour le "pur" folklore américain et ne voit pas non plus pourquoi on interdirait des rassemblements qui sont de bons exutoires à la violence révolutionnaire). Au sein même du gouvernement, il y a des tiraillements. Peut-être pour "faire jeune" et se démarquer de Pompidou mais aussi par inclination personnelle, V.Giscard d'Estaing déclare qu'il "adore Leonard Cohen", le poète/chanteur folk canadien étant la vedette principale du festival d'Aix. Leonard Cohen devient une véritable icône folk en France au début des années 1970, à travers son adapatation du "chant des partisans" (The Partisan) mais aussi sa dénonciation des violences contre les jeunes contestataires, toujours très applaudie (le 4 mai 1970, la Garde Nationale américaine fait quatres victimes sur le campus de l'Université de Kent dans l'Ohio lors d'une manifestation contre la politique de Nixon au Vietnam/Cambodge. Neil Young compose à cette occasion l'une des ses plus belles chansons engagées, Ohio).

En fait, c'est plutôt le PCF qui marque ses distances avec les festivals pop, considérant dans France-Nouvelle que "c'est faire oublier aux jeunes les luttes réellement dangereuses pour le système en les isolant dans des utopismes inoffensifs !" Une position communiste qui cherche surtout à se démarquer de l'extrême-gauche et notamment de Ligue Communiste devenue en 1974 Ligue Communiste Révolutionnaire, laquelle considère désormais que la pop music est un fait politique et social de nature authentiquement révolutionnaire et que le gouvernement bourgeois cherche pour ces mêmes raisons à l'étouffer : «pour eux [les jeunes], la Pop, c'est autre chose qu'un marché, c'est une nouvelle façon de vivre qui passe nécessairement par la contestation radicale de la société bourgeoise, de ses lois, de l'aliénation qu'elle sécrète et qui, hydre à mille têtes, nous étouffe tous." (in E.Deshayes Eric, D.Grimaud, L’underground musical en France, Paris, Le mot et le reste, 2008). En mai-68, les gauchistes n'étaient pas très rock n'roll mais ils ont évolué dans leurs analyses, notamment à la lecture des articles issus de la New Left anglaise, ainsi ceux de Tariq Ali.

Toutefois, préservée des interdictions gouvernementales, la fête de l’Humanité s’ouvre très largement au folk et au rock dans les années 1970, dans un environnement mieux encadré politiquement (et moralement) que dans les festivals pop. Difficile pour les jeunes filles d'y gambader seins nus et aux disciples d'Hare Krishna d'y psalmodier leurs versets. Pink Floyd s'y produit en 1970 puis le Soft Machine et Joan Baez en 1971. Les Who y font un concert homérique en 1972, provoquant à l’occasion une gigantesque panne de courant ! Cette fête annuelle devient paradoxalement  – alors que le rock est persécuté dans les pays communistes et considéré comme un avatar dangereux et dégénéré du capitalisme - l’un des seuls espaces autorisés de rassemblement pop au début des années 1970. Pour un certain nombre de jeunes, la rencontre avec le rock se fait dans le cadre de la fête communiste, qui invite par ailleurs des groupes français comme Magma, Ange, la chanteuse Catherine Ribeiro et le groupe Alpes.

Le rock est au fond un mouvement schizophrène. Tout en apparaissant de manière symbolique comme une force de subversion, capable de remettre en cause les choix politiques, économiques et culturels des sociétés occidentales, il s’affirme au début des années 1970 comme une industrie lucrative, largement dominée par le capitalisme anglo-saxon et les multinationales (EMI, Warner, Columbia etc). Les rock stars sont d’ailleurs les vrais « nouveaux riches », multimillionnaires à la vie tapageuse, très proches des vedettes du cinéma ou du sport. Les abus et les excentricités de leurs vies sont autant d’éléments constitutifs des modes et d’une culture de masse volontiers clinquante et choquante - le personnage de Ziggy Stardust incarné par David Bowie par exemple - , mais somme toute sans danger pour l’ordre social. En France, on prend tout cela très au sérieux, comme si l’on croyait pouvoir s’affranchir après 1968 des logiques économiques d’un marché déjà mondialisé en imitant ou copiant ceux qui refusent ou semblent refuser cette logique à l'intérieur même du système. Il existe donc une culture post-68 qui doit beaucoup en France à la contre-culture anglo-américaine, dont on perçoit certes confusément le caractère contestataire que symbolisent notamment Joan Baez, Bob Dylan ou John Lennon,  mais dont on a pas nécessairement mesuré l’inféodation à l'économie libérale. Les hippies américains les plus radicaux deviendront  souvent de riches golden boys dans les années 1980, ainsi Jerry Rubin.  L’esprit post-68 génère toutefois en France une « nouvelle chanson française », plus libre, plus réaliste, plus ouvertement influencée par les musiques anglo-saxonnes rock ou folk, avec François Béranger, Brigitte Fontaine, Jacques Higelin, Maxime le Forestier,  Bernard Lavilliers, Gérard Manset et bien d’autres artistes encore. Higelin est l’exemple type du chanteur qui a su faire - et qui a revendiqué -  la double filiation du rock et de la chanson à la manière de Boris Vian ou de Charles Trenet. Dans une veine populaire, les Tranches de Vie (1970) de François Béranger font penser au folk américain engagé des années 1960 (tendance Woody Guthrie) mais c'est aussi le récit d'une génération (d'origine ouvrière) qui avait 30 ans en mai 1968, qui a subi la guerre d'Algérie et qui a traversé mai 68 sans trop d'illusions sur les véritables changements révolutionnaires du mois de mai. Plutôt de sensibilité libertaire, celui-ci se produit pourtant à de nombreuses reprises à la Fête de l'Humanité, tout comme d'ailleurs Higelin, Le Forestier ou Lavilliers.

Ainsi, le marché français du disque résiste t-il très bien aux influences anglo-saxonnes, bien mieux par exemple que le marché allemand et en général européen. Comme pour le cinéma, il existe bien une exception culturelle française. En 1974, les variétés anglo-américaines ne représentent qu’un peu plus de 10% des ventes de disques, à comparer avec les 42% de variétés francophones. Tout comme en 1964 Adamo devançait les Beatles au hit-parade, ce sont des chanteurs français qui, dix ans plus tard, dament le pion aux superstars internationales du rock en surfant sur la vague pop. En 1970 on trouve au sommet des ventes Joe Dassin dans un titre-hommage à L'Amérique, Michel Polnareff qui se dévoile dans "Je suis un homme" et Johnny pour lequel Jesus-Christ est un hippie. Let It Be des Beatles pointe à la ...12ème place du hit-parade. De plus, les Français (re)découvrent, dix ans après les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, leur propre folk, avec le Breton Alan Stivell et son « rock bretonnant » ou l’Alsacien Roger Siffert, le groupe Malicorne de Gabriel et Marie Yacoub. Un « mouvement folk » qui participe activement à la défense de l’environnement, à la protestation anti-nucléaire, à la dénonciation des scandales financiers et commerciaux, à la lutte contre l’extension des camps militaires, autant de thèmes inséparables du contexte politique et social des années 1970-75. D'autre part, souvent assez proche de ce revivalisme folk, un  mouvement hippie plus ou moins structuré se développe en France au début des années 1970, comme une prolongation libertaire, écologiste et hédoniste de mai-68. Ce mouvement prend en France deux formes principales. Il s’agit d’abord d’une « mode hippie » très répandue et assez inoffensive dans le style « baba cool » (cheveux longs, grandes tuniques chamarrées, bijoux orientaux), mais qui s’accompagne aussi de certaines formes de libération sexuelle (« l’amour libre » au temps de la pilule, l’égalité sexuelle, l’androgynie) et de pratiques déviantes (la consommation de drogues,  pénalisée d’ailleurs très sévèrement par la loi de 1970). Il existe de fait – y compris dans la chanson – un show business hippie lucratif, à base notamment de comédies musicales à succès, adaptées pour le public français comme Hair avec Julien Clerc, puis Jésus Christ Superstar.


Le phénomène hippie se double aussi d’un mouvement communautariste. Les hippies, qui se rassemblent l’été dans des communautés de fortune ou dans de grands rassemblements (ainsi le Larzac, véritable point de départ d'une écologie politiique) sont peut-être un demi-million en 1974 et ils veulent explicitement « changer la vie », faire table rase du passé et de la société de consommation. Le sexe, la musique folk ou rock (celle de Pink Floyd, notamment), les drogues, l’écologie, le bouddhisme et l’Orient, les voyages à Katmandou sont autant d’éléments constitutifs d’une « culture hippie » qui se dilue progressivement dans les vapeurs d’encens ou de marijuana.   En 1972, un jeune réalisateur, Jacques Doillon, tourne avec le dessinateur Gébé L’an 01, fable post-soixante-huitarde qui montre les premiers mois d’une révolution culturelle et sociale, où l’on remettrait en cause le travail, le couple, l’école, l’armée, la propriété. Le scénario du film est plus ou moins construit à partir de slogans de 68, teintés d’écologisme : « Et si un jour on arrêtait tout ? Plus de travail, plus d'horaires, plus de voitures, plus de télévision. On prendrait le temps de flâner, de discuter, de chanter, de faire l'amour, de cueillir une fleur... Le temps de vivre tout simplement. Ce serait l'an 01 d'une ère nouvelle. » Le casting est tout à fait révélateur de l’air du temps : on y trouve pêle-mêle des comédiens du café théâtre (ceux du Café de la gare, dont Coluche, Romain Bouteille, Depardieu, Miou-Miou, Gérard Jugnot), des dessinateurs de BD (Cabu, Gotlib), des piliers de Charlie-Hebdo et Hara-kiri (Cavanna), des chanteurs politiquement engagés (comme Jacques Higelin – lequel est à l’époque du film retiré dans une communauté hippie – et encore François Béranger qui écrit la musique du film).


Dans un genre assez similaire apparaît le magazine Actuel, fondé en 1970 par Jean-François Bizot et Bernard Kouchner. Actuel est quelque sorte l’étendard de cette contre-culture hippie, à peine francisée. Son slogan «  sexe, rock’n’roll, drogue, fête et révolution » résume bien sa philosophie tandis que les thèmes préférés du magazine sont le rock, le féminisme tendance MLF, la drogue, l’homosexualité, la libération sexuelle, le voyage initiatique vers l’Orient. Actuel ne résiste en fait qu’un an au Giscardisme et à la société libérale avancée. En effet, selon son co-fondateur Jean-François Bizot, le déferlement de l’érotisme au milieu des années 70, la banalisation  et la commercialisation des thèmes de la contre-culture ont rendu le journal sans objet, d’autant qu’il commence  - quelle horreur économique ! - à faire des bénéfices. En réalité, les années 1974-75 marquent surtout la fin des illusions.  Les illusions de la croissance éternelle, certes, mais aussi les illusions d’un monde où les jeunes seraient…éternellement jeunes. Pourtant,  le « jeunisme » de la culture de masse apparaît rétrospectivement comme l'une des principales évolutions de cette époque. Il a pour effet d’amplifier  – sur le terrain fertile d'une société qui refuse de vieillir – les tensions de l'innovation dans les années de crise.

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prochain billet en septembre 2019

Lire aussi sur la "commémoration" de mai 68

1. Février 1968

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2. Mars 1968

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3. Avril 1968

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4. Mai 1968

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5. Ete 1968

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6. Après 1968 : que reste t-il de mai ?

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