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Le site Berlemon à l'heure présidentielle (2)

La présidentielle 2017 (2) : retour sur les premières élections du président au suffrage universel direct

(décembre 1848), texte revu et augmenté le 2/12/2016

Le voeu de la France. La France était divisée en plusieurs partis qui maintenant attendent avec confiance, le résultat du vote universel qui par 5 millions quatre cent mille et plus de suffrages a proclamé : Louis Napoléon Bonaparte Président de la République française . L'Assemblée Nationale a constaté le vote de la France le 20 Décembre 1848 . Estampe coll. BNF

Sous la monarchie de Juillet (1830-1848), le suffrage était censitaire. Lorsque la République est proclamée en Février 1848, les révolutionnaires instaurent début mars le suffrage universel masculin (les femmes attendront…1944 pour obtenir le droit de vote et 1945 pour pouvoir s'exprimer aux élections municipales) sans restriction à partir de 21 ans. La République se pose d'emblée comme celle qui veut donner le pouvoir au peuple, dans la lignée de la Révolution française, celle de 1792 surtout. La fortune n'établit plus de privilèges quant à la citoyenneté. Le 20 avril 1848 a lieu à Paris une « Fête de la Fraternité » pour célébrer l'instauration du suffrage universel, qui s’achève par un grandiose défilé nocturne devant l’arc de Triomphe de l’Étoile.

J-J Champin, Fête de la fraternité en 1848 et célébration du suffrage, Musée Carnavalet, Paris


Il y a peu d'abstentions - un taux de participation de 84% - lors des premières élections législatives (en fait constituantes) du dimanche 23 avril 1848, le jour de Pâques. C'est bien la première manifestation du suffrage universel dans la mesure où l'élection de la Convention en septembre 1792 ne s'est faite qu'avec 10% environ de votants dans un contexte très troublé (peur, guerre, terreur) et où la Constitution de l'an I  (1793) - très démocratique puisqu' elle prévoyait même le droit de vote des étrangers domiciliés en France depuis plus de 1 an !- n'a jamais été appliquée. La Constitution de l'an III (1795) rétablit le suffrage censitaire tandis que la celle de l'an VIII n'octroie le suffrage universel direct que pour les consultations plébiscitaires. En avril 1848, c'est donc un grand jour, celui de "l'apprentissage de la République" (M.Agulhon). Le peuple se rend aux urnes un peu partout en France avec un enthousiasme jamais vu. Le clergé a retardé, ou le plus souvent avancé, l’horaire des offices religieux.
C'est une grande date pour l'histoire de la démocratie participative en France, même si le résultat est celui craint par les socialistes, qui voulaient reporter la date des élections : défaite de l'extrême-gauche et victoire d'une alliance politique entre républicains-bourgeois de la veille et notables républicains du lendemain (conservateurs camouflés en fait). Triomphe des campagnes conservatrices, politiquement peu avancées et éduquées ? La réalité est bien plus compliqué, toutes les campagnes n'étant pas, loin de là, acquises aux partisans de l'ordre, notamment dans le midi. Tocqueville écrivit alors des pages célèbres sur ces élections, où l'on vit des colonnes solennelles de paysans aller voter au chef-lieu de canton pour la première fois de leur vie. Le suffrage universel est considéré comme un gain fondamental par les masses qui jusqu'ici en étaient privées avec le suffrage censitaire.

"Nous devions aller voter ensemble au bourg de Saint-Pierre, éloigné d'une lieue de notre village. Le matin de l'élection, tous les électeurs, c'est-à-dire toute la population mâle au-dessus de vingt ans, se réunirent devant l'église. Tous ces hommes se mirent à la file deux par deux, suivant l'ordre alphabétique. Je voulus marcher au rang que m'assignait mon nom, car je savais que dans les pays et dans les temps démocratiques, il faut se faire mettre à la tête du peuple et ne pas s'y mettre soi-même. Au bout de la longue file venaient sur des chevaux de bât ou dans des charrettes, des infirmes ou des malades qui avaient voulu nous suivre ; nous ne laissions derrière nous que les enfants et les femmes ; nous étions en tout cent soixante-dix. Arrivés au haut de la colline qui domine Tocqueville, on s'arrêta un moment ; je sus qu'on désirait que je parlasse. Je grimpai donc sur le revers d'un fossé, on fit cercle autour de moi et je dis quelques mots que la circonstance m'inspira. Je rappelai à ces braves gens la gravité et l'importance de l'acte qu'ils allaient faire ; je leur recommandai de ne point se laisser accoster ni détourner par les gens, qui, à notre arrivée au bourg, pourraient chercher à les tromper ; mais de marcher sans se désunir et de rester ensemble, chacun à son rang, jusqu'à ce qu'on eût voté. «Que personne, dis-je, n'entre dans une maison pour prendre de la nourriture ou pour se sécher (il pleuvait ce jour-là) avant d'avoir accompli son devoir.» Ils crièrent qu'ainsi ils feraient et ainsi ils firent. Tous les votes furent donnés en même temps, et j'ai lieu de penser qu'ils le furent tous au même candidat."

TOCQUEVILLE Alexis Clérel de, "Souvenirs de 1848", texte établi par Luc Monnier, 1964, Folio Gallimard, pp.158

Lithographie de 1848. Sabots et costumes du dimanche, influence des notables...

En novembre 1848 est élaborée la Constitution de cette nouvelle République. On note une forte inspiration de la Révolution française (monocamérisme, principes républicains de souveraineté populaire, liberté-égalité-fraternité) et aussi de la démocratie américaine (stricte séparation des pouvoirs), même si Tocqueville (qui a participé à la commission de la Constitution, estime que l'on a pas gardé grand chose de la démocratie américaine, ainsi le bi-camérisme, la décentralisation et la véritable séparation des pouvoirs). Les débats les plus agités portent sur la peine de mort (Hugo voulait son abolition totale, elle subsiste en matière criminelle) le "droit au travail" (principe prioritaire défendu par les socialistes mais rejeté, Tocqueville y voyant là les prémisses du tout Etat et du communisme d''Etat. On se met d'accord sur un texte vague sur l'assistance et les secours des miséreux et sans travail), sur l'élection du président au suffrage universel. Toutefois, l'existence d'un président de la république n'a pas été de soi et a déjà fait l'objet de vives discussions lors des débats préparatoires à la Constitution en octobre 1848.  Certains ne voulaient qu'un président du Conseil, d'autres voulaient interdire les Bonaparte et les familles régnantes de se présenter, d'autres encore militaient pour une élection indirecte ou par l'Assemblée. Même les défenseurs de l'élection au suffrage direct (Lamartine) ne cachaient pas leurs réserves : "Je sais bien qu'il y a des noms qui entraînent les foules comme le mirage entraîne les troupeaux" prophétise celuis qui va connaître une grande désillusion politique. Finalement, on se met d'accord sur une durée de quatre ans non rééligible…avant quatre ans, avec un âge minimal de 30 ans, mesure complétée par toute une série de limitations du pouvoir présidentiel : prestation de serment devant l'Assemblée, actes contresignés par un ministre, article 68 qui est sensé empêcher toute tentative de coup d'état, impossiblité de dissoudre l'Assemblée etc.
Toutefois la non rééligibilité a été une grosse erreur que reconnaît notamment Tocqueville après coup, celui-ci ayant curieusement soutenu un projet contraire au modèle américain, où le président est rééligible une fois. Tocqueville se justifie dans ses mémoires en considérant que malgré le risque de mécontentement du président souhaitant prolonger son action, c'était là un mesure radicale contre les tentations césariennes. Lire à ce propos : Lucien Jaume. Tocqueville et le problème du pouvoir exécutif en 1848. Revue Francaise de Science Politique, Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1991, 41 (6), pp.739-755
La constitution est un texte très long, avec un préambule et... 116 articles. L'hésitation constitutionnelle entre un régime présidentiel et un régime parlementaire, entre un régime démocratique et un régime conservateur d'ordre en fait un texte disparate et peu réaliste, qui ne peut déboucher que sur un affrontement  exécutif/législatif, lequel affrontement aboutit logiquement à une nouvelle consultation populair . Le préambule commence par "En présence de Dieu et au nom du peuple français, l'A.N. proclame…" le député Ducos (Gironde) fait ajouter aux principes fondateurs "liberté, égalité, fraternité" les "bases" de la République (qui inspireront celles de l'Etat français en 1940 : Famille, Travail, Propriété, Ordre public). Le chapitre V traite du pouvoir présidentiel :

CHAPITRE V - DU POUVOIR EXÉCUTIF


Article 43 - Le peuple français délègue le Pouvoir exécutif à un citoyen qui reçoit le titre de président de la République.

Article 44. - Le président doit être né Français, âgé de trente ans au moins, et n'avoir jamais perdu la qualité de Français.

Article 45. - Le président de la République est élu pour quatre ans, et n'est rééligible qu'après un intervalle de quatre années. - Ne peuvent, non plus, être élus après lui, dans le même intervalle, ni le vice-président, ni aucun des parents ou alliés du président jusqu'au sixième degré inclusivement.

Article 46. - L'élection a lieu de plein droit le deuxième dimanche du mois de mai. - Dans le cas où, par suite de décès, de démission ou de toute autre cause, le président serait élu à une autre époque, ses pouvoirs expireront le deuxième dimanche du mois de mai de la quatrième année qui suivra son élection. - Le président est nommé, au scrutin secret et à la majorité absolue des votants, par le suffrage direct de tous les électeurs des départements français et de l'Algérie.

Article 47. - Les procès-verbaux des opérations électorales sont transmis immédiatement à l'Assemblée nationale, qui statue sans délai sur la validité de l'élection et proclame le président de la République. - Si aucun candidat n'a obtenu plus de la moitié des suffrages exprimés, et au moins deux millions de voix, ou si les conditions exigées par l'article 44 ne sont pas remplies, l'Assemblée nationale élit le président de la République, à la majorité absolue et au scrutin secret, parmi les cinq candidats éligibles qui ont obtenu le plus de voix.

Article 48. - Avant d'entrer en fonctions, le président de la République prête au sein de l'Assemblée nationale le serment dont la teneur suit : - En présence de Dieu et devant le Peuple français, représenté par l'Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la République démocratique, une et indivisible, et de remplir tous les devoirs que m'impose la Constitution.

La deuxième manifestation spectaculaire du suffrage universel est donc l'élection du président de la République au suffrage universel direct. Des élections qui ne se renouvelleront pas de sitôt ! En effet, la Constitution de 1875 prévoit l'élection pour sept ans d'un président élu par le Congrès. La IIIème République puis la IVème république ne modifient pas fondamentalement ce principe institutionnel qui est fondé sur la crainte du césarisme. Il faut donc attendre 1965 et l'élection du général de Gaulle au suffrage universel pour retrouver cette pratique démocratique, non sans fortes résistances du camp républicain, à gauche et au centre (en 1962, le Cartel des NON au principe de cette élection agitait opportunément le souvenir de la dérive dictatoriale de Louis-Napoléon en la comparant à celle du général de Gaulle, qui utilise pour passer en force le droit de dissolution puis le réferendum plébiscitaire). Revenons en décembre 1848. Il n'y eut pas alors de véritable campagne, au sens moderne du mot, juste des articles de presse et des professions de foi publiées dans cette même presse (ou affichées sur les murs). Le candidat le plus soutenu par les journaux (en nombre et tirage) est incontestablement Cavaignac, surnommé le Washington français. Mais dans le monde rural et le petit peuple des villes, c'est surtout le bouche à oreille qui fonctionne ou la lecture de la presse, plus ou moins déformée dans les cafés. En effet, en dépit de la multiplication des titres, le journal est encore assez cher (10 cts en moyenne à la criée, moins cher qu'un timbre-poste (20cts) mais le 1/20 du salaire ouvrier journalier), vendu en général par abonnement  et appartient au niveau de vie de classes moyennes ou supérieures, sans compter en France la  forte proportion d'analphabètes ou de ceux qui ne parlent ou ne comprennent pas le Français ! Le seul nom connu de tous est celui de Bonaparte.

Caricature de 1848

Campagne républicaine de novembre/décembre dans le Gard (BN)

Candidat Tendance politique   Voix
%

(suffrages exprimés)
Louis-Napoléon Bonaparte Bonapartisme   5 434 510
74,3 %
Louis Eugène Cavaignac Républicanisme
  1 448 302
19,8 %
Alexandre Ledru-Rollin Républicanisme
démocrate-socialiste
  371431
5 %
François-Vincent Raspail Républicanisme
socialiste
  36 964
0,5 %
Alphonse de Lamartine
  17 914
0,2 %
Général Nicolas Changarnier Monarchisme   4 687
0,06 %
Attention : les chiffres publiés sur Wikipédia sont inexacts        

Résultats des élections de 1848 et médaille commémorative avec les résultats gravés !

Timbre à l'effigie du président L-N Bonaparte (un timbre qui n'est pas émis avant 1852)

L'écrasante victoire de Louis-Napoléon Bonaparte et l'humiliante  défaite de ses adversaires républicains (le champion républicain Cavaignac fait ses meilleurs scores en Basse Provence et... en basse Bretagne (Morbihan et Finistère, une curiosité politique analysée par Laurent Paubert dans les Annales de Bretagne) et ce sont des miettes pour les autres, ainsi le candidat de l'extrême gauche, François-Vincent Raspail, célèbre biologiste et chimiste, rédacteur en chef de L'Ami du peuple n'obtient que 37 000 suffrages et l'infortuné Lamartine 17 000 suffrages) donne raison à la méfiance d'un Lamartine et mérite quelques explications. Comment expliquer le triomphe d'un Bonaparte, n'ayant aucun "parti" à sa solde ? Même à Paris, fief républicain et socialiste, Bonaparte l'emporte dans les 10 arrondissements ainsi qu'en  banlieue. Quelques éléments de réponse.

  1. Le prestige du nom. La légende napoléonienne est intacte dans les campagnes, avec la mythologie de la Grande Armée, de l'Empire etc. Dans sa "profession de foi", le candidat Bonaparte joue beaucoup de cette légende et en même temps se dégage des accusations de césarisme "Jamais je n'ai cru, jamais je ne croirai que la France soit l'apanage d'un seul homme ou d'une seule famille ; jamais je n'ai invoqué d'autres droits que ceux du citoyen français". Partisan proclamé de la paix, il apparaît paradoxalement comme la seule incarnation du patriotisme, le seul capable de prendre un jour une revanche historique contre l'humilation nationale de 1815. Il incarne donc mieux que les autres, non la république, mais l'idée de Nation, une Nation en paix, réconciliée mais forte.
  2. L'absence de perception du danger impérial. Au pire, c'est un "crétin", peu cultivé (ni l'un ni l'autre ne sont exacts, mais on cherche à le calomnier…sans succès). Thiers affirme, péremptoire : "C'est un idiot, on pourra le mener où on voudra". Au mieux, un républicain du lendemain comme Hugo, écrit dans L'Evénement du 28/10/1848 ces quelques lignes plus positives : "Nous lui faisons confiance. Il porte un grand nom. L'Europe ne peut connaître un Grand et un Petit Napoléon. Ce nom ne peut pas rapetisser" Et oui ! C'est bien l'auteur des futurs Châtiments qui s'exprime !
  3. L'auteur de l'extinction du paupérisme, sans être un centriste de type lamartinien, est apprécié à gauche comme à droite. A gauche, il est considéré comme un authentique saint-simonien. Il est ainsi plus épargné par l'extrême-gauche socialiste que le général Cavaignac, lui vrai républicain mais homme de la répression de juin 1848 et des guerres coloniales en Algérie. De plus, aux élections complémentaires de juin, Bonaparte s'était présenté avec un programme plutôt social. Quant aux partisans de l'ordre, ils sont finalement séduits séduits par un versant du programme que Louis-Napoléon présente ensuite aux élections de septembre 1848 (il est enfin élu député) puis aux élections présidentielles de décembre. Louis-Napoléon ne manque pas de rappeler les principes du rétablissement de l'ordre et de la confiance, de  la protection de la religion catholique, de la famille et de la propriété. De plus, Bonaparte peut compter sur le soutien de quelques romanciers célèbres, tel Alexandre Dumas, qui écrit dans la presse au lendemain de l'élection un article qui prône la réconciliation nationale : "5 millions de suffrages vous ont sacré, mieux que ne l'eut fait l'huile saint…le peuple vous a dit nous vous nommons, parceque, comme le neveu de César, vous portez un nom divin". Et Dumas de proposer à Napoléon de faire un geste, à savoir nommer Lamartine vice-président et Cavaignac maréchal de France !
  4. La concurrence n'est guère performante ! Lamartine, un astre éteint…Cavaignac homicide, Raspail plus savant que politique…Manque de professionnalisme, de charisme ? Manque de temps aussi pour faire campagne ? Louis-Napoléon est en fait resté très discret pendant cette campagne mais son nom était universellement connu. Cavaignac se manifesta davantage en tant que chef de l'Etat mais il se contenta de quelques réceptions et inaugurations...Raspail a le désavatange d'être en prison depuis la manifestation du 15 mai, ce qui ne l'a pa empêché toutefois d'être élu député (en septembre) et de se présenter à l'élection présidentielle. Ce dernier est probablement le candidat qui a le programme politique le plus abouti, véritable manifeste du socialisme démocratique, élaboré par ses supporters parisiens, publié dans Le Peuple n° 4, 8-15 novembre 1848 (l'équivalent de 26 pages format A4!).

Extraits du manifeste de soutien à Raspail

(...)Le socialisme a pour but l’affranchissement du prolétariat et l’extinction de la misère, c’est-à-dire l’égalité effective des conditions parmi les hommes. Sans égalité, il Y aura toujours misère, toujours prolétariat.Le socialisme, égalitaire avant tout, est donc la formule démocratique par excellence. Si des politiques moins sincères éprouvent quelque répugnance à l’avouer, nous respectons leur réserve ; mais, il faut qu’ils le sachent, à nos yeux ils ne sont point démocrates. (...) Nous voulons la liberté illimitée de l’homme et du citoyen, sauf le respect de la liberté d’autrui :
Liberté d’association,
Liberté de réunion,
Liberté des cultes,
Liberté de la presse,
Liberté de la pensée et de la parole,
Liberté du travail, du commerce et de l’industrie,
Liberté de l’enseignement, En un mot, liberté absolue.(...)

En adhérant à cette candidature, nous n’entendons point, comme on l’a écrit quelque part de l’honorable M. Ledru-Rollin, donner éventuellement à la République un chef : loin de là, nous acceptons Raspail comme protestation vivante contre le principe de la Présidence ! nous le présentons au suffrage du Peuple, non parce qu’il est ou se croit possible, mais parce qu’il est impossible ; parce qu’avec lui la présidence, image de la royauté, serait impossible. Nous n’entendons pas davantage, en appelant les voix sur Raspail, jeter à la bourgeoisie, qui redoute ce grand citoyen, un défi. Ce que nous cherchons avant tout, c’est la réconciliation, la paix. Nous sommes des socialistes, nous ne sommes pas des brouillons. (...) Nous appuyons la candidature de Raspail, afin d’exprimer plus fortement aux yeux du pays cette idée, que, désormais, sous le drapeau de la République, il n’y a plus que deux partis en France, le parti du travail et le parti du capital.
Il ne tiendra pas à nous que le dernier vestige de cette antique division ne soit bientôt effacé.

Le "crétin" élu ne l'est pas tant que cela et il attend son heure pour imposer ses idées à des élites politiques qui le méprisent souverainement. Fondamentalement antiparlementaire, mais attaché à certaines valeurs démocratiques comme le suffrage universel, il cherche à contrôler l'exécutif et il entre vite en conflit avec l'Assemblée conservatrice élue en 1849, à laquelle il a laissé le soin de prendre toutes les mesures impopulaires. A partir du 31 octobre 1849 (le "ministère du 31 octobre") il dirige lui-même le gouvernement, dans lequel il place des hommes liges et dévouées. Dominée par le Parti de l'Ordre, l'Assemblée réduit le 31 mai 1850 le nombre d'électeurs (2,5 millions de prolétaires radiés des listes, autant de potentiels soutiens au futur Emepereur). Bonaparte est surtout préoccupé par l'échéance présidentielle de 1852; il cherche à réviser la Constitution, car il ne peut se représenter. En juillet 1851 puis le 13/11/51 (de justesse), la révision est repoussée faute d'une majorité des 3/4, ce qui laisse peu d'alternatives au président…De plus en plus populaire, il aime à se présenter comme à la fois héréditaire et plébiscitaire dans des "voyages présidentiels" (il en est l'inventeur, bien avant ceux de de Gaulle) en province où il s'adapte aux situations politiques locales. Il est persuadé d'être le meilleur candidat pour 1852.
Les événements s'accélèrent et le coup d'état du 2 décembre (date symbole évidemment, c'est le sacre de Napoléon 1er en 1804 et la bataille d'Austerlitz en 1805) ne peut être considéré comme une surprise. Ce qui est plus surprenant est la réussite rapide de l'opération dite Rubicon. Les opposants sont très vite arrêtés, la résistance de l'Assemblée comme du peuple parisien est molle, l'armée rallie Bonaparte. Le 4 toutefois se dressent des barricades, écrasées sans scrupules (300 morts dans la fusillade dite des boulevards). En province, c'est moins aisé dans les fiefs démoc-soc de l'Allier, de la Nièvre, du Gers, du Sud-est (Var, Provence, Basses-Alpes, autrefois très à gauche!). L'insurrection est souvent paysanne - les fameuses colonnes décrites par Zola dans La Fortune des Rougon - et les conservateurs et bonapartistes cherchent à les faire passer pour des jacqueries, alors qu'il s'agit bien d'une insurrection pour le Droit et le respect de la Constitution (on dénonce la forfaiture présidentielle, qui n'a pas respecté le serment), ce qui marque bien une grande conscience politique de la province.
Quoi qu'il en soit, la répression antirépublicaine est sans pitié : état de siège dans 32 départements, emprisonnement de 30 000 opposants, proscription de 60 députés dont Hugo, Schoelcher, Raspail, Leroux, Quinet etc, 10 000 déportations (au bagne de Cayenne, en résidence forcée en Algérie). La mémoire de cette répression est encore vive aujourd'hui dans certains départements et il existe même une association qui est dédiée aux résistances républicaines de 1851. Le régime autoritaire se met en place par plébiscite selon des modalité au fond très identiques à celles initiées par Napoléon 1er. Les 21-22 décembre 1851, le nouveau pouvoir est ratifié par 7 471 000 voix contre 641 000 (80 000 à Paris et une majorité de NON à Mulhouse !). Le désormais "prince-président" impose une constitution (le 14 janvier 1852) de style consulaire (le président est élu pour 10 ans et est rééligible, c'est aussi le retour du bicamérisme). En février-mars 1852, les élections au Corps législatif donnent seulement 8 vrais opposants au régime , dont 3 de de gauche : Carnot, Cavaignac et le Dr Hénon (à Lyon). Faute d'opposition, le suffrage universel bonapartiste devient une parodie de démocratie, dénoncée en exil par Victor Hugo, devenu un opposant de choc au régime.
Le 7 novembre, Bonaparte rétablit l'Empire héréditaire, une décision approuvée par plébiscite (250 000 NON seulement)  le 21 novembre. Le 2 décembre 1852, le nouvel Empereur s'installe au Tuileries pour un règne de 18 ans…

TITRE II - Formes du gouvernement de la République (Constitution de 1852)


Article 2. - Le Gouvernement de la République française est confié pour dix ans au prince Louis Napoléon Bonaparte, président actuel de la République.

Article 3. - Le président de la République gouverne au moyen des ministres, du Conseil d'Etat, du Sénat et du Corps législatif.

Article 4. - La puissance législative s'exerce collectivement par le président de la République, le Sénat et le Corps législatif.

Ce règne a longtemps été déprécié sinon démoli par l'historiographie républicaine - largement influencée il est vrai par les pamphlets hugoliens - puis lentement réhabilité depuis une trentaine d'années, sous l'impulsion de certains gaullistes (Philippe Séguin, biographe talentueux de Napoléon III, mais aussi...le mentor politique de François Fillon) et aussi d'historiens/biographes plus nuancés dans leur approche du Second Empire, ainsi Louis Girard, Pierre Milza puis Eric Anceau et sa formule d'un "Saint-Simon à cheval". J'irais volontiers dans le sens, non d'une vaine "réhabilitation" (à ce compte, l'histoire se prend à réhabiliter en ce moment tous les dictateurs, de Néron à Staline) mais d'une vision assurément plus complexe du personnage et de son régime. Pour preuve de mon intérêt pour cette période, je collectionne depuis près de trente ans les timbres et les lettres de l'Empire, dont je suis devenu de fait un spécialiste (médaille d'argent aux championnats nationaux de philatélie, et oui!). Pourtant, ce qui me gène profondément chez Napoléon III, c'est sa catastrophique fin de règne plus que ses débuts de dictateur liberticide à la mode de César : il a bercé le pays d'illusions démocratiques (les élections de 1869) et de puissance retrouvée en Europe (la réponse vélléitaire aux provocations de Bismarck). Résultat : une défaite très humiliante, une guerre civile (la Commune), un pays à moitié occupé, la perte de territoires métropolitains et non des moindres. En bref, une catastrophe, d'autant que le pays n'a pas été loin d'une restauration monarchique. Mais il y a plus grave. Je sais bien qu'on ne doit pas exagérer les déterminismes historiques et que l'histoire réserve beaucoup de surprises et de retournements. Qu'on songe pourtant aux conséquences de la défaite de Sedan sur l'histoire du monde : l'esprit de la Revanche de 1870 nous mène lentement mais sûrement à la Grande Guerre, laquelle génère à la fois la révolution russe et le traité de Versailles, sans oublier l'intervention américaine de 1917/18. La Seconde guerre mondiale n'est que la deuxième étape encore plus sanglante d'une "guerre civile européenne" (Nolte) devenue planétaire et rendue possible par la montée des totalitarismes anti-démocratiques. Alors oui certainement, Napoléon III ne pouvait imaginer une seconde qu'en déclarant imprudemment la guerre à la Prusse, il allait changer l'ordre du monde et provoquer par ricochet les plus grandes catastrophes de l'histoire humaine !  Mais est-ce une raison pour n'y voir qu'une regrettable erreur politique, parmi d'autres ? Non, bien sûr et sur ce plan, je me retrouve pleinement du côté d'Hugo et de Zola.

Napoléon III doit encore rendre des comptes, cent-cinquante ans après...


Source gallica/bnf

Sur l'Empire, le lecteur pourra prolonger la visite... au Musée d'Orsay.

 

©B.Lemonnier 2016

 

A lire ausssi : le site Berlemon à l'heure présidentielle (1)

Coluche (c'est l'histoire d'un mec...), juin 2016

 


 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

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