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de BERTRAND LEMONNIER

 

 


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AUTOUR DU SALON DU TIMBRE 2014 (chronique d'été)


Du 14 au 22 juin 2014 s’est tenu au Parc floral de Paris le « Salon du Timbre », un vaste espace dédié depuis 2004 à la collection de timbres, avec des animations, des expositions, des ateliers, des négociants. La poste (et sa branche phil@poste) fait depuis une vingtaine d’années de gros efforts pour rendre les vignettes postales attractives, dans une logique qui mêle mercantilisme forcené et volonté de maintenir à flots le courrier postal, concurrencé par la communication électronique (mail, sms). Il existe en réalité deux formes de « produits » philatéliques, ceux qui sont destiné à un usage massif – sous la forme de vignettes d’affranchissement et de valeurs courantes au type Marianne et ceux qui sont destinés aux collectionneurs ou éventuellement à ceux qui veulent affranchir leurs lettres avec de « beaux timbres ». Ceux-ci sont d’une très grande variété, un condensé d’histoire et de géographie, mais aussi d’art, de littérature et de commémorations en tous genres. Notons au passage que le timbre est une valeur non démonétisée, à l’exception de la période de Vichy et du Second Empire : il est donc toujours possible - en théorie et avec un outil de conversion ! – d’affranchir le courrier en Francs et même en Anciens Francs (si l’on veut écluser des timbres des années 1950, il faudrait mettre 433 Francs de faciale sur la lettre !).

Timbre-hommage Charles Péguy à 12 Francs (1950)

Si l’on en revient au Salon 2014, la tendance est à l’inflation d’émissions qui ne répondent pas à un impératif besoin d’affranchir des lettres : blocs parfumés à la menthe poivrée (?) ou recouverts de poussière de cristal de Baccarat (!), livrets-souvenirs des deux guerres mondiales (« le temps de la mémoire est arrivé » est-il proclamé non sans décalage historiographique), timbres aux dorures précieuses, photographies touristiques des montagnes et des littoraux et toutes sortes de curiosités qui coûtent très cher au final au collectionneur. Le Salon du timbre n’a cette année pas connu grande affluence, entre 3000 et 4000 visiteurs par jours, avec beaucoup de scolaires et de retraités. La faute en revenait peut-être à la grève SNCF mais il est incontestable que le loisir philatélique manque un peu de forces vives : les expositions officielles, absolument passionnantes et relevant d’un véritable esprit de compétition, sont désertées par le public et victimes aussi de règlements contraignants sinon obsolètes ; les enfants puis les adolescents ont bien d’autres centres d’intérêt que le timbre-poste, qui n’est plus vraiment une valeur d’échange dans les cours d’école ; les « seniors » plutôt de sexe masculin forment le gros contingent d’un public au pouvoir d’achat (moyen) limité. Signe des temps d’ailleurs, les négociants se morfondent et ne comptent plus que sur un petit noyau de collectionneurs fortunés, la presse philatélique a quasiment disparu (au regard de sa vitalité il y a 20 ans, ainsi Le Monde des philatélistes, créé en 1951 par Adalbert Vitalyos et Hubert Beuve-Méry sacrifié en 2000 sur l’autel de la rentabilité) et les « catalogues » proposent toujours des cotes qui n’ont absolument rien à voir avec le marché réel, lequel s’est largement orienté vers Internet (les sites Delcampe et e-bay). La philatélie survit malgré tout grâce à ses clubs et ses bonnes volontés associatives, mais pour combien de temps encore ?


Pour autant, le timbre-poste (et aussi la lettre qui en est le support postal) est un extraordinaire objet d’histoire, trop souvent négligé par les historiens de métier. Ainsi le grand Maurice Agulhon, qui a consacré une bonne partie de ses travaux à la « Marianne » et à ses symboles, réussit l’exploit de ne pratiquement rien dire du timbre, tandis qu’il analyse bustes, sculptures, peintures, gravures et monnaies de l’égérie républicaine. On attend toujours que des historiens s’occupent un peu plus et mieux des représentations en philatélie : qu’on songe que ces vignettes sont émises à des millions voire des milliards d’exemplaires ! Toute l’histoire postale mérite de grandes thèses universitaires : la guerre de 1870 et la Commune de Paris, les deux guerres mondiales, la Libération, les expéditions coloniales, le commerce maritime etc. C’est l’occasion - dans cette chronique d’été - de rappeler que le timbre-poste est une géniale innovation anglaise qui a 164 ans d’âge tandis que premiers collectionneurs du bout de papier timbré apparaissent dès les années 1860.


En effet le 6 mai 1840, le Royaume-Uni connaît une grande révolution ... postale! Le public est invité à coller sur les lettres une vignette de papier de teinte noire sur fond blanc, portant les mots Postage et One penny. Y figure, de profil, la jeune reine Victoria. L'achat de ce timbre revient à payer d'avance le port du courrier - ce qui bouscule les habitudes séculaires du port dû (à la charge exclusive du destinataire). Une bonne surprise attend cependant les expéditeurs : la taxe d'un penny - une somme relativement modeste! - vaut pour toutes les destinations du Royaume-Uni. Au General Post Office de Londres, c'est l'effervescence. Bien sûr, tous les Postmasters ont reçu une notice expliquant en détail l’emploi de la vignette et, depuis le 1er mai, les principaux bureaux sont approvisionnés en Penny Black. Mais les employés sont un peu fébriles : il leur faut soigneusement découper de grandes feuilles de papier gommé et non perforé, défendre le système du prépaiement et, une fois la lettre vérifiée et pesée, « détruire» (on dira aussi cancel ou en français « annuler » et « oblitérer ») le timbre à l'aide d'un cachet rouge en forme de croix de Malte.

lettre datée du 6 mai 1840 oblitérée croix de Malte
Malgré la nouveauté du procédé et le caractère encore facultatif de ce genre d'affranchissement, le succès est immédiat. Dès la première semaine, plus de la moitié des lettres portent le Penny Black et l'imprimeur J.B. Bacon - qui travaille sur des presses à main - ne parvient plus à satisfaire la demande. Les banquiers, les négociants, les industriels, dont le volume de courrier s'accroît sans cesse, sont ravis d'une réforme qui allège sensiblement leurs frais postaux. Les résultats sont pourtant contrastés : en un an, trois fois plus de plis sont transportés dans le royaume, mais la chute des recettes (moins 70%) contredit ceux qui y voyaient un filon d'or à court terme. En réalité, l'unification des tarifs et l'introduction d'une vignette postale correspondent avant tout à d'impérieuses nécessités économiques. La Poste d'État, née au XVIIIème siècle, passe, avant la « révolution» de 1840, pour un bastion du conservatisme, dans une Angleterre industrielle ouverte aux innovations. Le calcul du port résulte alors d'un savant dosage entre la distance, le nombre de feuilles de papier et le poids. Les prix sont réellement prohibitifs : plus d'un shilling pour une lettre simple allant de Londres en Écosse. L'achat du Penny Black reviendra treize fois moins cher pour le même trajet. Le port dû étant la règle, l'ancien système conduit à des absurdités et à d'inquiétants dysfonctionnements. De nombreux usagers refusent de payer ou discutent les tarifs avec les facteurs; certains fonctionnaires et tous les parlementaires bénéficient de franchises; les entreprises créent des circuits parallèles. De plus, l'apparition des chemins de fer modifie la question des distances. Dès 1830, du courrier est transporté sur la fameuse ligne Manchester-Liverpool et, en 1838, les premiers wagons de tri sont inaugurés dans des fourgons à bétail aménagés pour la circonstance. Bref, le Post Office a besoin d'un bon dépoussiérage, que ses dirigeants, flegmatiques, repoussent aux calendes grecques. Leur politique se résume à ce discours : augmentons les prix!
Dans les années 1830, la réforme postale est une idée qui fait son chemin. Une commission parlementaire est chargée du dossier, tandis que de nombreux particuliers proposent leurs projets. Un libraire de Dundee, James Chalmers, présente une sorte de pastille en papier teinté et estime être le véritable « inventeur » de ce qui va devenir le timbre-poste.

Timbre de Chalmers (1839)

Mais l'histoire a plutôt retenu le nom de Rowland Hill, dont l'itinéraire est peu banal. Maître d'école au nord de Londres, puis attaché aux services de l'émigration, Rowland Hill est un esprit curieux de tout, passionné notamment par la question postale. Dès 1826 - il a trente et un ans -, il suggère d’opérer le tri du courrier pendant le transport. En 1837, il publie une brochure pleine d'idées neuves, intitulée Post Office Reform. Il imagine un tarif unique pour les plis de moins d'une demi-once, propose l'utilisation d'un papier timbré et de boîtes aux lettres individuelles, facilitant grandement la tâche des facteurs. Les propositions de Rowland Hill, appuyées par des commerçants, des négociants et des parlementaires, réussissent à emporter l'adhésion du chancelier de l'Échiquier. Ce dernier fait voter un nouveau budget postal par les chambres (1839) et engage le réformateur au Trésor, lui attribuant des pouvoirs très étendus. Dans tout le royaume, un grand concours est organisé pour concrétiser les changements : unification des tarifs et prépaiement. Le dessin d'un graveur de médailles, W. Wyon, sert de base à la maquette définitive de l'« étiquette adhésive », en concurrence d'ailleurs avec d'autres procédés, telle l'enveloppe illustrée et timbrée, dessinée par un artiste irlandais de l'époque, William Mulready.

Enveloppe Mulready

La reine Victoria est, paraît-il, enchantée par le résultat final du One Penny, pourtant très inférieur à celui des monnaies ou médailles. En fait, l'esthétique n'est pas le premier souci des concepteurs du premier timbre-poste. Les problèmes techniques dominent. Ainsi, la gomme - un empois d'amidon de pomme de terre! - est étalée au pinceau sur des feuilles déjà imprimées, avec les difficultés que l'on imagine. L'obsession de Rowland Hill et du Trésor est d'éviter à tout prix les contrefaçons du timbre. On emploie alors les grands moyens. Le papier comprend comme sur des billets de banque - des filigranes difficiles à reproduire et chaque vignette d'une planche possède une sorte de code alphabétique à deux lettres. De quoi compliquer la tâche des faussaires. De plus, le cachet oblitérant fait l'objet de recherches chimiques particulières afin qu'il ne puisse être effacé. Ce sont d'ailleurs les progrès de la chimie qui imposeront une retraite anticipée dès 1841, après un tirage de 68 millions d'exemplaires. Le nouveau Penny prend alors une teinte brun-rouge, qui se marie mieux avec le cachet noir, réputé indélébile.

One Penny brun (1841)

Pendant ses premières années d'utilisation, les administrations postales du monde entier observent avec intérêt le One Penny britannique à l’effigie de la reine. Le timbre-poste est introduit au Brésil (c'est "l'oeil de boeuf") et dans certains cantons suisses en 1843, aux États-Unis en 1847, en Belgique, en Bavière et ...en France en 1849.

Timbre du Brésil de 1843.

La France de Louis-Philippe aurait dû adopter le timbre-poste mais en 1845, l'Assemblée repousse le projet présenté par des parlementaires clairvoyants et anglophiles. La situation se débloque après la révolution de février 1848 et l'instauration de la Deuxième République. Nouveau directeur des Postes, Etienne Arago – le frère du savant François Arago - est chargé de suivre l'exemple anglais. Le 1er janvier 1849 est mis en vente le pendant républicain du Penny Black : une allégorie de la Liberté gravée par Jacques-Jean Barre, sous les traits de Cérès, déesse de la fertilité, dont la couronne d'épis et de fruits est comme un défi lancé à celle de Sa Majesté britannique. Le 20 centimes Cérès permet d'affranchir des lettres jusqu'à 7,5 grammes à destination de toute la France, Corse et Algérie comprises, ce qui diminue très fortement le coût du courrier pour des terrtoires éloignés (ainsi de Paris vers Alger ou Oran, cela coûte seulement 20 centimes à l'expéditeur). La République étoffe ensuite son offre de timbres en fonction du poids et des destinations (port local, étranger), en proposant d'autres couleurs facilement identifiables (orange, brun, rouge, vert...)


Il faut toutefois attendre quelques années pour ces vignettes postales soient des objets de collection suivie. Les premiers collectionneurs prennent l'habitude de décoller les timbres des enveloppes, puis de les coller à nouveau dans des albums. Le premier journal dédié aux collections de timbres est The Monthly Advertiser publié à Liverpool, le grand port marchand transatlantique (1862).

Sous le Second Empire en France, il existe à partir de 1864 au moins deux revues concurrentes, Le Collectionneur de timbres-poste, dont le directeur est Arthur Maury et Le timbrophile de Pierre Mahé (le terme de philatéliste [de philos, ami et atélia, affranchissement] lui est contemporain.En 1892 est fondée la Royal Philatelic Society à Londres (en France il faut attendre 1928 pour la création d’une Académie de Philatélie).

Les « catalogues » de timbres commencent à être publiés dans la plupart des pays où les collectionneurs sont nombreux, ainsi le catalogue Scott aux Etats-Unis en 1868, l'Yvert et Tellier en France en 1897, tandis que les négociants et spéculateurs y voient un marché plutôt lucratif. A Paris, le Carré Marigny, près des Champs Elysées, devient à la fin du 19ème siècle un lieu de vente et d'échange, ce qu'il reste encore aujourd'hui. Quelques raretés philatéliques issues des premières séries de timbres-poste constituent aujourd’hui des pièces de très grande valeur, au ratio poids/valeur très supérieur à l’or ou aux bijoux précieux ! Qu’on en juge avec quelques ventes publiques récentes : le célèbre British Guiana One-Cent Black on Magenta (timbre octogonal de 1856) a été vendu par Sotheby’s le 17 juin 2014 à New-York pour…US$ 9,480,000 frais compris, soit plus de 7 millions d’euros !!!

En ce qui concerne le marché des timbres français, les sommes sont moins astronomiques mais les pièces rares demeurent un bon placement, facile à caser dans un coffre bancaire suisse : le fleuron de la philatélie française est le Bloc de quatre tête-bêche du 1F vermillon de 1849, vendu 924 000 euros en 2003. Avec des moyens plus raisonnables, on pourra se procurer quelques « trésors de la philatélie française », auxquelles la poste consacre en juin une dizaine de blocs-hommages au timbre gravé.

 

 

 

   
 

  

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