L'ampleur de
la
crise internationale de juillet 1870 est lente à pénétrer l'ensemble du
territoire français. Si la gravité de la situation est comprise à Paris
dès le 5 juillet, certaines campagnes sont surprises par la nouvelle de
l'éclatement du conflit le 19. II Y a donc une "émotion" perceptible,
liée à l'effet de surprise. De la guerre inattendue, on passe fin
juillet à l'idée de la guerre "inévitable" et même "nécessaire".
Toutefois, la manière dont les Français ont réagi à l'entrée en guerre
est l'un des sujets les plus controversés de l'histoire de cette
période - la polémique a commencé pendant la guerre, s'est largement
poursuivie après: cette guerre est- elle une guerre de l'Empire,
étrangère aux attentes nationales ou au contraire déjà une véritable
"guerre nationale", face à un danger majeur? La réponse doit être
nuancée. A partir du 7 juillet, les Parisiens - notamment dans les
milieux populaires s'affichent majoritairement bellicistes,
contrairement aux républicains (en porte-à-faux, ils craignent qu'une
victoire impériale ne renforce le régime), aux milieux d'affaire, aux
monarchistes et aussi aux (rares) marxistes de la Première
Internationale. On entend dans les rues: Vive la guerre! Vive la
France! A bas la Prusse, avec des références révolutionnaires (on
chante La Marseillaise, à nouveau autorisée par le pouvoir
!).
La
déclaration de guerre est vécue sur le mode émotionnel conmne un
retour des guerres de la Révolution. C'est l'an II, c'est la patrie en
danger. En province, les réactions sont plus mitigées: refus de la
guerre dans une douzaine de départements, patriotisme (non belliqueux)
dans une quinzaine, les autres étant résignés à l'inévitable, sans
enthousiasme. La paix, mais pas à n'importe quel prix, résume bien
l'opinion provinciale. Dans la deuxième moitié de juillet, la
mobilisation massive (450 000 hommes) provoque peur, anxiété et
surprise, mais peu de refus et même des "manifestations d'enthousiasme"
dans les grandes villes. Cela dit, il y a encore très peu de
volontaires (4000). L'Est de la France est particulièrement mobilisé,
pour des raisons évidentes. On est à l'apogée du sentiment national au
début août, lors du premier engagement (victorieux) à Sarrebruck: la
popularité de Napoléon rn atteint son dernier sommet historique. Il
n'est pas interdit de parler alors - bien avant 1914 - d'une Union
Sacrée. Une grande majorité de Français croit trouver la "vraie
revanche" contre 1815, ce n'est alors plus la guerre de l'Empire, mais
bien celle d'une nation réconciliée contre un ennemi commun, confiante
dans ses moyens et dans la victoire.
Les soldats se sont battus avec acharnement (ainsi que les officiers)
et les témoignages d'héroïsme et de bravoure ne manquent pas. La
défaite est accueillie dans les rangs par des manifestations de
désespoir patriotique. L'anxiété et le désespoir sont tout aussi forts
dans la population civile, où l'on ne note aucune indifférence au sort
des armées nationales; si les efforts de mobilisation générale en août
se heurtent à la résistance des campagnes (notamment d'une mobilisation
éventuelle des chargés de famille), les engagements son nombreux en
août (36000). La défaite de Sedan, quelques semaines plus tard
est inédite: pour la première fois, la nation est vaincue par un seul
adversaire, pas par une coalition, et celui qui endosse la
responsabilité de la défaite est... un Bonaparte! "Français, un grand
malheur frappe la patrie" dit le texte gouvernemental le 3 septembre.
Au matin du 4 septembre, le Palais Bourbon est envahi par une foule de
parisiens et de gardes nationaux. Au balcon de l’hôtel de ville de
Paris, devant la foule réunie, Léon Gambetta et Jules Favre proclament
la République, ce que réitère Jules Simon ce même dimanche Place de la
Concorde.
Le
4 septembre 1870 constitue une date-clé (défaite et chute de l'Empire),
mais est-elle vraiment celle de l'entrée en république ? Qu'est-ce que
la République du 4 septembre ? Elle apparaît comme une sorte de
"reprise" de 1848, dans le contexte beaucoup plus dramatique de
l'effondrement militaire. Le grand spécialiste de la guerre de 1870,
François Roth (Fayard, 1990), revient longuement dans son livre sur les
spécificités de la révolution du 4 septembre, qui en fait un événement
difficilement comparable, en dépit des ressemblances avec février 1848.
La
révolution du 4 septembre est non-violente. Le sang ne coule pas,
contrairement à 1848. Il ne coulera qu'au moment de la Commune de 1871,
qui n'a guère de point commun avec la révolution du 4 septembre.
Tout comme
en 1848, la révolution du 4 septembre se fait sans véritable légitimité
populaire et démocratique : tout se passe à Paris et le seul ciment
politique est celui -unanime - du rejet d'un régime qui a mené à la
catastrophe de Sedan. Il n'y aura pas d'élections avant le 8 février
1871, élections libres si l'on veut, dans la mesure où elles sont
imposées par Bismarck.
Le
gouvernement provisoire -qui prend le nom de Gouvernement de défense
nationale est un gouvernement exclusivement parisien, plutôt modéré,
avec à sa tête le général Trochu, gouverneur militaire de Paris, où
l'on retrouve de vieilles barbes de 48 (Garnier-Pagès, le fils Arago)
et un équilibre précaire entre les modérés (Jules ferry) et les plus à
gauche (Rochefort, directeur de la Lanterne, alibi socialiste comme
l'étaient Flocon et Albert en 48). Mais comme en 48, la classe
politique républicaine se méfie de son extrême-gauche.
Le
gouvernement, loin de faire dans la prudence diplomatique comme en 1848
(mais le contexte européen n'a évidemment rien à voir), veut
majoritairement continuer la guerre. N'aurait-il pas été sage dès le 4
septembre de demander l'armistice et de négocier un paix honorable, à
des conditions avantageuses (la France n'aurait- alors probablement
perdu que Strasbourg. Le choix de la guerre à outrance - qui est
notamment celui du jeune et brillant avocat républicain Gambetta (déjà
célèbre par le programme de Belleville en 1869) - est-il le fruit de
l'inexpérience ? Ou le fruit d'un patriotisme exacerbé et intransigeant
? Alors, sur quoi se fondent les espoirs d'un Gambetta ?
Le GDF
espère des soutiens diplomatiques et militaires extérieurs, que cela
soit en Angleterre, en Autriche, en Russie. Thiers, plutôt favorable
lui à une solution négociée, est envoyé en mission dans ces pays pour
les convaincre d'aider la France contre la Prusse. Mais Thiers est un
piètre négociateur, pas plus d'ailleurs que ne l'est le ministre des
affaires étrangères, l'avocat Jules Favre, qui rencontre Bismarck le 21
septembre 1870. A la grande surprise de ce dernier, la France pourtant
acculée ne veut pas perdre un pouce de territoire.
Gambetta est
probablement le seul à y croire jusqu'au bout et à tenter l'impossible.
C'est un homme d'action, de défi, plus que de diplomatie. On connaît le
célèbre épisode de son départ en ballon de Paris assiège le 9 octobre
vers Tours, où il tente d'organiser avec son ami, le protestant
Freycinet, la défense nationale.
Tout
cela débouche sur un désastre politique. Après un long et terrible
siège, Paris capitule et l'armistice est signé le 28 janvier 1871,
Gambetta doit lui aussi s'avouer vaincu tandis que la France connaît
l'humiliation des troupes prussiennes défilant dans la capitale. On
connaît la suite : élections du 8 février 1871 qui mettent au pouvoir
un Parti de l'Ordre renaissant (Thiers) , insurrection de la Commune le
18 mars et répression féroce du gouvernement replié à Versailles (le
21-28 mai), signature d'une paix (le 10 mai ) qui ampute la France de
l'Alsace et de la Moselle. C'est le début de la guerre civile
européenne : la France va préparer sa revanche, se trouver des alliés
pour vaincre l'Allemagne et les Empires centraux en 1914-18,
l'Allemagne humiliée à Versailles s'abandonne dans les années 1930 à la
dictature hitlérienne, dont l'un des buts est d'écraser les anciens
ennemis de 14 et d'assservir toute l'Europe. Sans vouloir verser dans
l'histoire téléologique, je reste persuadé que la défaite de Sedan du 2
septembre conditionne en partie toute la marche du monde pour le siècle
suivant.