"Le fond de l'air est frais" (Fred, 1931-2013) |
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Clapton is God !
Célèbre cliché pris par Roger Perry dans Arvon Road en 1967 et multi-postérisé depuis.
Clapton by Peter Blake (l'artiste pop qui a co-réalisé l'illustration de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles) A dire vrai, on n’apprend rien de très nouveau dans ce film qui raconte à la fois l’ascension d’une rock star britannique dans les années 1960, sa déchéance dans les années 1970/80 et sa résurrection dans les années 1990/2000, le tout accompagné de flashbacks sur une enfance et une adolescence pour le moins compliquées sur le plan familial (un père soldat canadien inconnu et une mère qui le laisse à 2 ans à ses grands-parents). Clapton est toutefois un pur produit de la jeune Angleterre teenage du début des années 1960, pour laquelle la découverte du rock'n’roll, du blues ou du rhythm and blues à l’écoute de la radio ou de disques microsillon produit un effet extraordinaire : c’est une vocation pour la vie entière. A Liverpool, John Lennon écoute Elvis et veut « devenir Elvis » ; dans son village du Surrey jusqu’à la Kingston Art school de Londres, le jeune Clapton écoute Big Bill Broonzy et voudrait « devenir noir ». L’ascension musicale d’Eric Clapton, né en 1945, authentique baby boomer, est assez comparable à celle des Beatles et des Rolling Stones, à la différence près que ces derniers sont un peu plus âgés (nés pendant le conflit mondial en général, cela compte beaucoup) et ils connaissent déjà un vrai succès public - surtout les Beatles - lorsque Clapton joue en 1963 dans les Roosters puis rejoint les Yardbirds, une nouvelle formation de blues dans le sillage des Stones.
Les Yardbirds première époque, le ténébreux Clapton en premier plan.
Après les Bluesbreakers, Clapton forme Cream avec Ginger Baker et Jack Bruce, musiciens passés par la formation d’Alexis Korner, un « supergroupe » à l’influence déterminante dans l’évolution du rock entre 1966 et 1968. Fusion entre psychédélisme, blues et hard rock avant la lettre, Cream reprend des standards du blues mais compose aussi des chansons originales, avec le concours du poète Pete Brown (Disraeli Gears, 1967). Sur scène, Cream développe une énergie électrique jamais entendue grâce aux puissants amplificateurs Marshall, tout en adaptant les formes jazz de l’improvisation (ce que fait aussi le Grateful Dead à San Francisco dans un style différent). Clapton est idolâtré comme guitariste de génie, non comme chanteur, et le succès du groupe aux Etats-Unis dépasse celle des Beatles. Séparé en 1968, le groupe s’est reformé en 2005 pour une série de concerts mythiques au Royal Albert Hall de Londres (un des rares concerts que je regretterai à vie de n’avoir pas vu, avec celui du Velvet underground à l’Olympia de Paris en 1993 !). Après l’expérience Cream, Clapton va hésiter sur plusieurs directions musicales : il forme d’abord un éphémère groupe avec le chanteur/multi-instrumentiste Steve Winwood, Blind Faith (1969, la pochette du disque est interdite par la censure), sort un premier album solo puis connaît un très gros succès public avec Derek & the Dominos, un groupe hétéroclite dans lequel il est notamment accompagné de l’immense guitariste américain Duane Allman (la chanson Layla, une des meilleurs compositions originales de Clapton). Il se lie d’amitié avec Jimi Hendrix, l’une des premières jeunes victimes (avec Brian Jones, Janis Joplin, Jim Morrison, Tim Buckley…) du mode de vie rock.
Pochette psychédélique de Disraeli Gears (1967) signée Martin Sharp
Clapton et JJ Cale dans les années 2000
Winwood (à gauche) et Clapton (à droite) jouant sur les mêmes (?) Fender bleues (Accord Arena Paris, 2010, j'y étais) Devenu une sorte d'icône ou d'institution, il a été introduit pour la troisième fois (un record) en 2000 au rock n'roll of fame. Titulaire de la distincion royale CBE (Commander of the Order of the British Empire) en 2014, il a été fait Commandeur des Arts et des Lettres en mai 2017 par l'ambassadeur de France au Royaume-Uni à Londres. Honoré pour «services rendus à la musique», Clapton a été présenté par l'ambassadrice Sylvie Bermann comme «un ambassadeur du blues en France» lors de cette remise de décoration qui a eu lieu dans la mythique salle de concert londonienne, le Royal Albert Hall. Il ne lui reste plus qu'à être anobli, à l'instar de Sir Paul McCartney et de Sir Mick Jaggerpour leurs "services rendus à la musique populaire"! Le documentaire fait toutefois l'impasse sur cette consécration académique (rappelons que dans un autre genre, Dylan est devenu prix Nobel de littérature, ce qui a fait grincer quelques dents).
Clapton Commandeur. En conclusion, ce beau film sur le rock et le blues a surtout le mérite de proposer de très riches archives sur le parcours d'un musicien célèbre (ce sont les années 60 les plus passionnantes). Malgré tout, les amours contrariées et les dérives du guitar heroe prennent beaucoup de place, tandis que son génie musical n’est guère explicité. En quoi Clapton est-il l’un des meilleurs guitaristes de la musique populaire du XXème siècle (tous genres confondus, jazz, blues, folk, rock), voilà qui méritait tout de même une analyse un peu plus fouillée sinon technique ! Pour information, le magazine Rolling Stone publie régulièrement une liste des «100 best guitarists» de l’histoire du rock, ce qui donne au dernier classement (top 10) de 2013 : Jimi Hendrix Pete Townshend J'aurais certainement un autre classement à proposer (surtout des jazzmen et sans Van Halen!), mais nul doute que Clapton resterait tout en haut du Panthéon de la guitare. Bertrand Lemonnier, février-mars 2019.
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