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Lou Reed (1942-2013) La mort de l’artiste et chanteur de rock new-yorkais est une bien mauvaise nouvelle. Certes, les héros du rock ont tendance à mourir de moins en moins jeune, mais ce n’est pas une raison pour s’en accommoder. On les voudrait immortels et à dire vrai, ils le seront dans leur genre, de Buddy Holly à Lou Reed en passant par Jimi Hendrix, Janis Joplin, Tim Buckley, Jim Morrison, Elvis, Gram Parsons, Duane Allman, Kurt Cobain, John Lennon, George Harrison, J.J.Cale et tant d’autres…
Alors, comment replacer en quelques lignes Lou Reed dans l’histoire du rock ? We were happy and amazed at what we saw Le second est Andy Warhol, la muse de tous les arty rockers un peu décadents de la fin des années 1960, y compris en Angleterre (Bowie qui lui consacre une très belle chanson dans Hunky Dory). Warhol est certainement l'artiste qui s'est le plus impliqué dans l'ensemble du mouvement pop (anglo-saxon), y compris dans le domaine de la musique. La Factory, qu'il fonde à New York en 1963 devient le champ d'expériences très diverses dans le domaine des arts graphiques, de la photographie, du cinéma, mais aussi de la musique pop/rock. Andy produit ainsi à partir de 1965 l'un des premiers groupes pop « contre-culturel », le Velvet Underground, découvert dans un bar sordide et mal famé du Lower East Side new-yorkais. Le Velvet correspond tout à fait à la nouvelle esthétique Pop Art. Composé en majorité d'intellectuels (John Cale, un musicien d'origine galloise, joue du violon et travaille avec le compositeur La Monte Young sur la structure des messes polyphoniques, Lou est alors une sorte de beatnik diplômé de littérature anglaise à l’université de Syracuse…), le groupe accepte la proposition d'Andy Warhol de participer à un grand show pop, le Plastic Dome Inevitable, où se mélangent la musique, les images, les spots publicitaires, les lumières, les danses obscènes… La pochette de disque que celui-ci dessine en 1967 pour le Velvet (une peau de banane qui révèle une fois décollée une banane pelée rose et ces mots Peel slowly and see) fait logiquement scandale mais elle constitue dans sa simplicité et sa trivialité un chef-d'œuvre pop inégalé.
Le rock comme une forme supérieure d'art est un postulat reedien, mais ce n'est pas le seul. Lou Reed est tout aussi convaincu de la puissance brute du rock'n'roll et de son versant animal. L'écoute d'un morceau de rock peut changer une vie : Le rock’n’roll ne touche pas seulement les gens d’un point de vue intellectuel ou spirituel, c’est quelque chose de physique ça peut être bouleversant. Je vois ces petits CD et je me dis que les gens devraient se méfier : ils ne savent pas ce qu’ils font quand ils les ramènent chez eux. Un disque, ce n’est pas une chose inerte, qui va rester dans son coin. Ça peut exploser, vous envoûter, vous emmener ailleurs dans le meilleur des cas. Ecouter un disque, ce n’est pas comme regarder un tableau. C’est physique, c’est une expérience qui peut vous bouleverser. (interview de Bruno Juffin pour Les Inrocks). Lou Reed – en réalité Lewis Allan Reed, né à Brooklyn dans une famille de la petite bourgeoisie juive - constitue à lui seul tout un pan de l’histoire culturelle américaine depuis les années 1960. Il est une sorte de trait d’union improbable entre le blues noir (sa musique est très inspirée du blues urbain et souvent composée sur quelques accords de blues), le rhythm & blues, le jazz (dont il est fan), le mouvement littéraire beatnik et le Pop Art. Il s'est servi du rock éléctrique - et le son de sa guitare est facilement identiable, comme celui d'Hendrix ou de Neil Young - pour écrire un véritable récit autobiographique de ses amours et de ses passions, de ses errances et dérives, de son attachement aussi à Big Apple. Difficile de faire plus sordide (et plus cinématographique aussi) que cette histoire de dope et de dealer à New York, époque du Velvet : I'm waiting for my man Dans l’Amérique des années 1950, il n’est pas non plus simple de se découvrir homosexuel (ou bisexuel) et la société, la famille ne sont guère prêtes à accepter ce qui est considéré alors comme une maladie mentale. Lou Reed raconte les visites médicales, les traitements de choc à l’électricité subis en 1959 : All your two-bit psychiatrists
Lou Reed restera toujours, en dépit de son succès quasi planétaire, le poète de la marginalité urbaine, celle des déclassés, des junkies, des prostitué(e)s. Berlin est le récit – sous la forme d’une comédie musicale aux tonalités très proches de Kurt Weil - de la déchéance d’un couple détruit par la drogue et la violence. Quant à Heroin, le titre se suffit à lui-même : I have made big decision Mais rien n’est jamais très éloigné de la vie quotidienne, de ce que l’on peut voir à la télévision ou écouter à la radio. Comme dans cette chanson tout à fait remarquable (le flow, à moitié parlé) qui évoque le jour de l’assassinat de John Kennedy en 1963 : Oh, the day John Kennedy died L’influence du Velvet Underground puis de Lou Reed se situe à plusieurs niveaux, mais il faudrait un livre entier pour en développer les arguments ! (il existe heureusement pas mal d'ouvrages sur le Velvet et Lou Reed). Le premier niveau est évidemment celui de la musique rock, qui leur doit beaucoup en termes d'innovation : des centaines de groupes et de musiciens ont tenté l’aventure rock après l’écoute/révélation du Velvet, tandis que Lou Reed a fortement influencé le mouvement glam, puis le mouvement punk new-yorkais de la fin des seventies, prenant souvent des risques musicauxc insensés ; le second est celui de la contre-culture, de la Factory warholienne au décadentisme pop en passant par le monde interlope des junkies et des transformistes ; le troisième est celui – plus méconnu même si la presse semble le découvrir maintenant – de la déstabilisation des sociétés communistes d’Europe de l’Est. Si Vaclav Havel a voulu absolument rencontrer Lou Reed en 1990 après la Révolution de velours, c’est en raison de l’influence toute particulière qu’a eu le chanteur (ainsi d’ailleurs que John Lennon et Frank Zappa) sur les mouvements d’opposition à la « normalisation » communiste des années 1969-89 en Tchécoslovaquie. Les opposants de la Charte 77 – et Havel le premier, qui connaissait tous les disques du Velvet et avait chanté leurs chansons dans un groupe tôt persécuté par l’Etat socialiste – considéraient en effet que cette musique nourrissait par son anticonformisme libertaire la contre-culture anticommuniste. Pour les rock stars comme pour les autres artistes ou écrivains quelque peu « maudits », le problème est moins de durer que de survivre, notamment aux drogues et aux excès en tous genres. The cook got drunk and all the whores they shrunk (la dernière photographie très émouvante de Lou Reed un peu avant sa mort publiée sur son site ) Quel bel automne ! Tout est chatoyant et doré, et la lumière est incroyablement douce. L'eau nous entoure. Lou et moi avons passé beaucoup de temps ici ces dernières années, et, même si nous sommes des citadins, c'est notre maison spirituelle. La semaine dernière j'ai promis à Lou de le sortir de l'hôpital et de le ramener à la maison à Springs. Et on l'a fait ! Lou était un maître taï-chi et a passé ses derniers jours ici, heureux et épanoui par la beauté, la puissance et la douceur de la nature. Il est mort dimanche matin en regardant les arbres et en faisant la célèbre posture 21 du taï-chi, où seules ses mains de musicien se déplaçaient dans l'air. Lou était un prince et un battant, et je sais que ses chansons sur la douleur et la beauté du monde rempliront beaucoup de personnes de l'incroyable joie qu'il ressentait pour la vie. Longue vie à la beauté qui nous entoure. — Laurie Anderson
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