Pour se rendre à Vincennes (en vélib pourquoi pas?), on pourra passer par les colonnes du trône récemment restaurées, place de la Nation. Ces colonnes entreprises en 1785 par Claude-Nicolas Ledoux n’ont été achevées qu’en 1843 sous Louis-Philippe. Elles ont maintenant fière allure et ont retrouvé l'éclat qu'elles avaient probablement lorsque Péguy fit semblant de ne pas les voir, tant il était enthousiasmé par la République de Dalou toute proche et fraichement inaugurée (en 1899) :
Nous n'avons pas vu les deux anciennes colonnes du Trône, si libéralement attribuées par les journalistes à Charlemagne, à Philippe Auguste, et à Saint-Louis. Nous avons vu le Triomphe de la République (...) La République triomphante, levée sur sa boule, s'isolait très bien de ses serviteurs et de ses servantes.
Le Château de Vincennes, assez peu visité de nos jours, a pourtant eu un rôle majeur au Moyen Age et n’a qu’un seul équivalent en France, le Louvre. A l’origine, c’est un manoir de chasse (la forêt était très giboyeuse, comme le montre ci--desous la célèbre miniatures de Vincennes dans Les très riches heures du duc de Berry, où le donjon et ses tours annexes émergent des bois de défens).
Au XIIIème siècle , Louis IX en fait un lieu de séjour royal (il alterne avec le Palais de la cité, car il y est loin des embarras parisiens) où il rend notamment la justice (le chêne mythique de l’histoire lavissienne, que l'on trouve encore planté dans les manuels scolaire des années 1960-70).
Il ne reste pas grand-chose du manoir du XIIIème siècle, fondation singulière sur un plateau calcaire (et pas sur une butte castrale) et sans véritable cours d’eau à proximité. Il reste quelques ruines, notamment dans le donjon, où l’on a exhumé des restes de ce que fut le socle d’origine.
Au XIVème siècle, les souverains ont totalement transformé les lieux. Le château abrite, pendant de longues périodes, la famille royale avec toute sa domesticité, une partie de l'administration du royaume et l'armée nécessaire pour sa défense. C’est un lieu de pouvoir mais aussi de naissance, de mariage et de décès. Philippe III (en 1274) et Philipe IV (en 1284) s'y marièrent et trois rois du XIVème y moururent : Louis X (1316), Philippe V (1322) et Charles IV (1328) ; Charles V y naquit !
Vers 1340, Philippe VI fait entreprendre à 100m au Sud Ouest du manoir les fondations d’un donjon, dont la construction est reprise par Jean le Bon puis achevée par Charles V, le grand roi mécène qui aime y travailler.
Charles V fait ainsi de Vincennes un vaste palais royal, en achevant la construction d’un solide mur d’enceinte de 1km 100m de développement, à l’époque la plus grande enceinte fortifiée d’occident, avec d’impressionnants fossés, une enceinte flanquée de trois portes et de six tours de 42 mètres de hauteur, qui protègent un espace rectangulaire de plusieurs hectares (330 x 175 m). On pense que près de 10 000 personnes pouvaient y résider, une grande ville donc à l'échelle médiévale. De plus Charles V lance la construction d’une Sainte Chapelle - copie conforme de celle de Saint louis dans le Palais de la cité,- dont le chantier dure jusqu’au XVIème siècle et qui ne sera jamais totalement achevée.
A l’époque moderne, le donjon sert de prison, abritant jusqu’au XVIIIème siècle de célèbres prisonniers (le cardinal de Retz, Fouquet, Mirabeau, Diderot, Sade !), tandis que le château reste une résidence royale appréciée pour la chasse et cela de François 1er à Louis XIV. C’est ainsi qu’au XVIIème siècle, le château va se doter d’ailes (du Roi et de la Reine) de styles classique, qui ont survécu au temps et qui abritent aujourd'hui les archives de la défense. En revanche les jardins à la française n’ont jamais été réaménagés et c’est bien dommage quand on voit l’abandon désolant des espaces intermédiaires.
Au XIXème , l’ensemble a surtout eu une utilité militaire, comme arsenal servant aux manœuvres (Vincennes sera longtemps un fort de garnison et de nombreux éléments patrimoniaux ont malheureusement été détruits) et cela jusqu’à nos jours puis que le ministère de la défense en est le propriétaire (le SHD, créé en 2005, abrite les archives), alors que le ministère de la culture « gère » le donjon et la sainte chapelle (depuis peu ouverts au public après travaux, ainsi depuis 2007 pour le donjon et 2009 la sainte chapelle).
Le donjon est massif mais assez remarquable. Il a été conçu pour abriter le roi de France en cas de danger et il est inexpugnable, à lui seul une place forte. De larges douves, un châtelet et deux ponts-levis assurent sa défense. Le niveau le plus bas sert de réserve d'eau et de vivres. Le premier et le deuxième étage sont les appartements royaux (il ya la chambre du Roi et sa cheminée). Les trois autres niveaux supérieurs accueillent les domestiques et les militaires. A partir de Louis XI (qui bâtit une résidence à l’extérieur du donjon), les rois n’y résident plus véritablement.
Les prouesses architecturales sont impressionnantes : une colonne centrale tient tout l’édifice sur six étages voûtés. Au 1er étage, cette colonne (octogone de 80cm de diamètres) supporte 270 Tonnes de charge.
La restauration é été très longue et difficile car la pierre était noircie et abimée ; lancée en, 1986 et achevée en 2008, elle a occasionné de longues périodes de fermeture (instabilité structurelle du donjon entre 1995 et 2005). Le donjon comporte des éléments d’architecture et de décoration exceptionnels : des voutes en ogive polychromes dont il reste quelques couleurs originelles, des lambris de chêne d’origine (du XIVème siècle venant de la Baltique !), une porte en bois qui vient de la prison du Temple et aussi un certain nombre de pièces qui sont celles d’un lieu de pouvoir mais aussi un lieu de vie au XIVème siècle : le cellier, la salle du conseil, le cabinet de travail, la chapelle privée, la chambre royale (du Roi car la Reine vit hors du donjon), les latrines (et son système d’évacuation), les pièces des chambellans etc.
L'archéologie récente a livré également des informations sur des éléments de la vie quotidienne des occupants des XIIIème et XIVème siècles. En effet, il existe peu de sources écrites faisant état de ce que mangeaient les 100 ou 200 personnes de statuts très variés qui vivaient dans le donjon avec les souverains. Grâce à l'analyse des restes osseux, la fouille a délivré des informations nombreuses et précises: elle a révélé par exemple que les occupants du château aux XIIIème-XIVème siècles consommaient fréquemment du poisson de mer et d'eau douce, dont des espèces peu courantes !
Enfin, la Sainte Chapelle est une construction qui a été confiée en 1379 à Raymond du Temple (il a sa rue à Vincennes) dans le style gothique flamboyant. La façade a été achevée sous Louis XI et la structure et la nef terminées au milieu du XVIème siècle (en 1552, les vitraux datent pour beaucoup de cette époque). La restauration sous le Second Empire, entreprise par Viollet de Duc - ) l'instar de ND de Paris – n’a pas toujours été heureuse mais elle a eu le mérite de probablement sauver le bâtiment. Toutefois, si l’édifice a survécu à la Révolution française, il a été fortement endommagé en 1999 par la tempête qui a aussi dévasté le bois de Vincennes. Il y a encore des gargouilles qui s’effondrent par endroit. Il abrite aussi le tombeau du duc d’Enghien (exécuté on s’en souvient dans les fossés de Vincennes par Napoléon en 1804).
En définitive, l’un des plus beaux châteaux médiévaux d’Europe, à proximité de la capitale (le bois de Vincennes est parisien) gagne à être visité (bien peu de touristes le fréqeunent si l’on compare avec d’autres monuments parisiens) et il mérite aussi d’être mieux soutenu par les pouvoirs publics. Si le ministère de la culture fait ce qu’il peut (mais impossible d’aller en haut du donjon sauf en petit groupe sur réservation le dimanche matin, soit disant pour raisons de sécurité!), celui de la défense pourrait essayer de mieux valoriser les allées, concevoir des jardins plus agréables, au moins dans la partie classique du château. Je suppose que c’est une affaire de gros sous mais il n’est pas impossible non plus que les deux ministères n’aient pas tout à fait les mêmes objectifs de valorisation d'un ensemble exceptionnel.