Christine OKRET-MANVILLE
La politique de promotion culturelle britannique en France (1920-1953)
De la publicité aux relations culturelles
RESUME
A la différence du cas français, la notion de diplomatie culturelle possède en Grande-Bretagne une genèse très récente. Cette indifférence fondamentale des Britanniques à l’exportation de leur culture est étroitement liée à la primauté étroite du Trade follows the flag qui à la différence des efforts de promotion culturelle enregistre des résultats tangibles et (quasi) immédiats. Il faut attendre les années 1950 pour voir se constituer un corps de doctrine soulignant l’importance d’une politique culturelle à l’étranger qui vient appuyer des ambitions politico-commerciales.
La notion de propagande, distincte de la notion de relations culturelles en ce sens qu’elle suppose une diffusion unilatérale d’informations, suscite une réticence à laquelle on ne peut guère passer outre que dans des circonstances exceptionnelles. C’est pourquoi les actions de propagande menées lors du premier conflit mondial n’ont pas eu de suites lorsque la paix est revenue. Par ailleurs, l‘usage de l’expression " projection culturelle ", créée en 1932 par la B.B.C., traduit bien la volonté de faire de la diplomatie culturelle un simple miroir des réalisations culturelles britanniques, avec ce que cela sous-tend de parti pris minimaliste dans les efforts de promotion, comme si le reflet devait susciter par nature les adhésions.
PREMIERE PARTIE
Entre les deux guerres, le gouvernement britannique s’interroge sur la nécessité de disposer d’une politique de diffusion culturelle à l’étranger. Cette réflexion aboutit à des soutiens ponctuels accordés pour certaines actions culturelles. Il ne s’agit pas encore d’une politique structurée, mais les ambassades sont invitées dès 1919 à prendre en compte le champ culturel dans l’ensemble de leurs activités. L’ambassade du Royaume-Uni en France s’appuie sur les sociétés anglophiles locales, et dès 1931 laisse agir la Travel Association, qui fait office de bras séculier dans le domaine culturel.
Parallèlement, se structurent les services et organismes progressivement appelés à prendre la responsabilité de la mise en œuvre de cette politique culturelle : l’Institut britannique de Paris (1927) et le British Council (1934). L’Institut britannique trouve son origine dans la communauté universitaire parisienne, et est soumis à un fonctionnement binational spécifique. A sa naissance, il prend en charge des actions éducatives et culturelles. Son influence est limitée aux anglicistes et anglophiles parisiens, mais son activité renforce la présence de la Grande-Bretagne sur le terrain éducatif. La naissance du British Council marque une évolution dans la conception britannique de l’usage de la culture en matière de relations internationales. D’un rôle marginal au sein d’un ensemble d’arguments destinés à susciter un intérêt pour la Grande-Bretagne (industriels, touristiques …), la culture fait désormais l’objet d’une promotion de plein droit, avec un organisme entièrement dédié à cette tâche.
En France, l’Institut britannique et le British Council mènent alors des activités de modeste envergure. Le Council suit une ligne essentiellement pragmatique en raison de la faiblesse de ses moyens tant logistiques que financiers. La coordination des activités culturelles britanniques en France est effectuée par l’ambassade.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, le Council achève son organisation interne et acquiert par son action auprès des populations réfugiées une expérience précieuse qui doit lui permettre dès la Libération de mettre en application une politique de promotion culturelle en France. Celle-ci est définie dès 1943, sous l’impulsion du Ministre des Affaires étrangères Anthony Eden. Le British Council est désigné comme organisme coordinateur de cette action. Parallèlement, il devient possible de mener une première expérience sur le sol français, avec l’ouverture d’un bureau à Alger.
DEUXIEME PARTIE
Dès 1944, le British Council s’implante en France dans un contexte psychologique favorable, caractérisé par une grande curiosité de la population vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Aussi, dans une période de pénurie, est-il en mesure d’identifier un foisonnement d’associations anglophiles qui représentent autant de relais potentiels pour son action. Statutairement autonome, le Council cherche en premier lieu à instaurer l’image d’un organisme idéologiquement neutre, ce qui suppose des rapports distants (bien qu’effectifs) avec l’ambassade. Dès qu’il dispose d’un embryon d’organisation, le Council initie des activités fonctionnelles, principalement à Paris, mais sans négliger les provinces. En priorité, il se donne pour objectif de favoriser la diffusion d’imprimés, pour suppléer à la désorganisation des circuits commerciaux. Parallèlement il entreprend de donner une meilleure visibilité à la culture britannique par des manifestations diversifiées présentant des " valeurs classiques " mais aussi de nouveaux artistes. L’intérêt suscité par ces premières actions est encourageant.
Prenant la mesure de son rôle de coordinateur de la politique de diffusion culturelle britannique en France, il cherche à imposer sa tutelle à un Institut britannique très réticent, alors que la B.B.C. affirme son autonomie propre. Cependant, la radio britannique mène une action complémentaire qui se révèle être un atout essentiel pour tirer rapidement avantage de la sympathie suscitée par la Grande-Bretagne auprès des Français. Deux axes d’action sont privilégiés. En premier lieu, la B.B.C. noue des liens avec la Radiodiffusion de France. D’autre part, elle s’efforce de réorganiser son offre de programme selon un équilibre entre émissions informatives et programmes culturels, avec une efficacité mitigée.
TROISIEME PARTIE
C’est du début de l’année 1947 que l’on peut finalement dater le début réel des actions culturelles britanniques en France. Les années 1944-1946 ont représenté pour les organismes qui en ont la charge une période charnière de réorganisation fonctionnelle, de réajustement de budget et du personnel, puis de préparation à l’accomplissement de leur mission dans des conditions encore inédites (avant guerre les efforts ont été assez limités, et pendant la guerre ils ont été réalisés dans un contexte exceptionnel), avec le lancement de leurs premières activités.
Cependant, l’empire colonial britannique s’engage dans un mouvement de désagrégation. Le British Council est appelé à développer une activité culturelle et technique dans les nouveaux pays indépendants, dans le cadre du commonwealth. Cette réorientation stratégique se réalise au détriment des autres pays, en particulier européens. Mais parce que les Communistes y sont encore influents, la France fait partie des pays dans lesquels l’action du Council reste considérée comme prioritaire. Cette position est toutefois précaire, et se trouve opportunément consolidée par l’officialisation des liens culturels franco-britanniques : une convention culturelle est signée en 1948 entre les deux pays. Ce rapprochement officiel insère les relations culturelles franco-britanniques dans un mouvement global de renforcement des échanges culturels bilatéraux. L’action du British Council se situe désormais sur deux plans : elle conserve son autonomie originelle, mais bénéficie également de la coopération formelle de la Direction Générale des Relations Culturelles du Quai d’Orsay dans les domaines relevant de la convention. Le développement des activités du Council est particulièrement marqué en province.
Les relations entre le British Council et l’Institut britannique restent difficiles. De surcroît, l’Institut s’affirme pour les organismes qui participent à sa gestion comme un enjeu : pièce maîtresse du dispositif de diffusion culturelle pour l’ambassade et le Council, il est un établissement de bonne tenue académique qu’il convient de préserver de toute instrumentalisation propagandiste du point de vue de l’université parisienne. Ces considérations scientifiques représentent finalement une préoccupation commune, qui aboutit à la soumission de l’Institut à la tutelle du Council.
La B.B.C. instaure avec la radio française une coopération qui ne se développe que lentement, en raison du déséquilibre des échanges entre les deux institutions. Dans un contexte international troublé, elle s’efforce de conserver une audience qui tend à diminuer depuis le retour à la paix.
QUATRIEME PARTIE
En raison de la progression du mouvement de décolonisation et de la stabilisation des deux blocs idéologiques en Europe, de nouvelles priorités sont assignées au Council au détriment de son action en France. D’autre part, la Grande-Bretagne traverse une période de difficultés économiques. Face au développement des actions culturelles américaines, les Britanniques doivent s’efforcer de conserver leurs positions, avec des moyens limités. Si l’activité du Council se poursuit dans les domaines couverts par la convention culturelle (éducation et diffusion d’imprimés), des choix doivent être opérés dans les activités dont le Council est le seul initiateur. Dans ce contexte de moyens réduits, particulièrement après 1950, le réseau des sociétés anglophiles offre un vecteur auxiliaire de promotion culturelle en province à l’utilité duquel le Council est désormais d’autant plus sensible que les centres culturels qu’il avait organisés après-guerre ne peuvent plus être maintenus. Cependant, les Britanniques se tiennent à ce cadre d’échanges et ne recherchent pas de solution de promotion culturelle alternative, tel que le développement d’une politique de jumelages.
Dans un environnement institutionnel plus favorable, l’Institut britannique cherche à se repositionner dans le dispositif d’action culturelle. Malgré une situation financière précaire, il s’efforce de consolider son activité.
La B.B.C. adopte une politique de projection culturelle plus affirmée, et parvient à élaborer une offre de programmes en relatif équilibre entre l’information et le divertissement. La coopération avec la R.T.F. donne ses premiers résultats positifs, particulièrement dans le domaine audiovisuel où le succès de la retransmission du couronnement de la reine Elizabeth II ouvre la voie à une participation britannique au réseau télévisuel européen.
A l’issue de cette période, une commission d’évaluation des services culturels britanniques à l’étranger réalise un bilan officiel de la politique de projection de la culture britannique dans le monde. Elle établit clairement celle-ci comme un indispensable outil d’influence mondiale complémentaire des moyens diplomatiques traditionnels, mais propose des réorientations liées à des considérations stratégiques au regard desquelles l’action culturelle en France apparaît désormais davantage comme un luxe que comme un défi.
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Au terme de ce processus d’élaboration d’une politique de promotion de la culture britannique en France, il apparaît que le gouvernement britannique intègre prudemment la dimension culturelle dans sa diplomatie. La France bénéficie de cette orientation.
Cependant, les efforts déployés par les Britanniques pour favoriser la connaissance de leur culture en France se heurtent à deux limites : d’une part aux difficultés économiques persistantes en Grande-Bretagne et d’autre part à leurs intérêts géopolitiques immédiats qui excluent l’Europe (conserver leur influence dans leurs anciennes colonies, développer une relation particulière avec les Etats-Unis). La signature d’une convention culturelle préserve toutefois un niveau d’engagement officiel minimal.
Cet engagement peut plus largement être caractérisé par l’effort particulier mené en faveur d’une diversification de la connaissance des productions culturelles britanniques, particulièrement les réalisations contemporaines. Tourné vers un large public au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il est recentré sur les intermédiaires culturels à partir de 1950. Si en définitive, les résultats de l’action culturelle britannique sont difficiles à estimer précisément, le retrait opéré dès 1950 réduit l’action culturelle britannique à une source d’informations spécialisée complémentaire du réseau de relations pluriséculaires qui s’est enfin rétabli.