Les femmes dans le Civil and Public Services Association :
dynamique de classe, dynamique de sexe.
John Mullen
"Il est incontestable qu'historiquement, les syndicats ont été les bastions des intérêts masculins." Cockburn 1992:29
"The history of working-class women under capitalism has always found them organising as part of their class alongside men." German 1989:115
On a prêté peu d'attention aux femmes dans la force de travail. La vaste majorité des études sociologiques se concentrent sur des secteurs où dominent les hommes. Ceci est en partie dû au fait qu'il y a eu tendance à éviter le secteur public dans les études, faute de consensus sur la position de classe des employés de l'Etat, sur l'analyse de l'Etat en tant qu'employeur, et aussi dû au fait que les salariées du secteur privé sonT souvent concentrées dans des secteurs moins syndiqués, qui ont reçu moins d'attention.
Un certain nombre d'auteurs a essayé de remplir ce vide, en examinant la situation spécifique des employées femmes. Elles ont souvent conclu que la division au sein de ces secteurs se fait autant, voire plus au niveau du sexe qu'au niveau de la classe sociale. Je voudrais examiner le cas des employées du ministère de la sécurité sociale en Angleterre pour tester ces hypothèses.
J'ai choisi les employé(e)s organisé(e)s au sein du Civil and Public Services Association, car il s'agit d'un groupe relativement homogène, des échelons inférieurs, sans responsabilité sur d'autres employés au travail. Ce syndicat regroupe 150 000 employés.
LA SITUATION DES FEMMES
La situation défavorisée des femmes dans ce secteur par rapport aux hommes est claire. Dans les emplois les plus mal payés et les plus monotones, ceux des Administrative Assistants, les femmes représentent 76% des effectifs. Le rang supérieur, les Administrative Officers, un travail de bureau comportant un petit élément de responsabilité, sont à 61% des femmes. Les agents de maîtrise, Executive Officers, surveillant chacun en moyenne le travail de six à dix autres employés, sont à 35% des femmes. (HMSO 1988; Fredman & Morris 1989:336)
Les Higher Executive Officers, véritables managers ceux-ci, ne comportent que 18% de femmes, et tout en haut les femmes ne sont que 2% des adjoints au ministre. (HMSO 1988)
Le CPSA n'organise que les échelons inférieurs (AA et AO). Mais on trouve au sein du syndicat une participation des femmes bien inférieure à leur poids dans ces groupes, surtout en ce qui concerne les emplois de permanents, les plus prestigieux.. Voici les chiffres pour les années 1984 à 1990.
% de femmes
1984 1986 1988 1990
Membres du syndicat 70 71 71 71
Secrétaires de section 44 43 40 42
Présidents de section 38 37 31 35
Trésoriers de section 51 46 39 44
Délégués aux congrès
de fédération 30 33 33 32
Elus au comité exécutif
de fédération ND 42 34 38
Permanents du syndicat 22 19 19 19
Membres comité national 14 48 41 34
(Source : Document Interne CPSA 1991)
C'est ce genre de statistiques qui a amené plusieurs auteurs à voir une division hommes-femmes parallèle dans les organisations de travail et les organisations syndicales, basée sur un pouvoir masculin qui contrôlerait la société dans son ensemble - une patriarchie.
Certaines ont conclu qu'il faut se poser la question de construire des syndicats séparés pour des femmes. Cynthia Cockburn :
Les femmes doivent-t-elles gaspiller leur énergie pour un mouvement ouvrier dans lequel les militants continuent d'exercer leur pouvoir en tant qu'hommes ou ne serait-il pas préférable de fonder leurs propres syndicats ? (Cockburn 1992)
Ulla Ressner, qui a travaillé sur les fonctionnaires suédois a dessiné une division claire entre les sexes, qui traverse l'hiérarchie sociale
Historically speaking the men in both (unions and work
organisations) can be said to have shared certain common
interests in relation to the women. (1987:43)
Elle écrit ici "certain common interests", mais il devient
très clair au cours de son livre, qu'elle parle des intérêts
essentiels et centraux. Il s'agirait de
Men's informal but societally sanctioned and
institutionalised interest in controlling women's work.
(Ibid:10)
Elle essaie de donner un fond théorique économique à cette
idée :
The limited number of top positions in a traditionally
hierarchic organisation probably constitutes a basis and
an economic motive for trying to reduce competition by
excluding women from these traditionally male preserves and
positions...maintaining and controlling the most
influential position in the trade unions, for example,
can - insofar as the latter are regarded as instruments for
the protection, promotion or assertion of what are
frequently termed male interests - be viewed as a political
motive for men trying to retain control of these positions.
(Ibid)
Elle a conclu que le progrès pour les femmes pourrait se faire à travers des organisations au sein du travail qui regrouperait cadres et simples employés femmes. D'ailleurs elle y voit une convergence entre les intérêts des employées et ceux de l'Etat employeur
The state qua employer would probably gain a great deal in terms of efficiency and productivity by setting an example in the creation of decentralized and democratic working procedures and by establishing a more even balance of genders at all levels. (Ibid:86)
D'autres auteurs (Kergoat et alii 1991; Summerfield 1992) ont défendu d'autres théories qui ont suggéré également que la division hommes-femmes est centrale. Pour Summerfield, le capitalisme et la patriarchie (le pouvoir des hommes), sont des moteurs de puissance comparable qui déterminent entre eux la position des femmes salariées. Pour Kergoat et alii, les intérêts des femmes exigent une remise en cause des formes de luttes ouvrières, car les traditions syndicales ne peuvent pas être reprises telles quelles par les salariées, et les syndicats insisteront pour défendre des intérêts masculins.
Je voudrais utiliser l'exemple des employés de la fonction publique britannique pour montrer quelques problèmes avec cette vision des positions d' hommes et de femmes, et pour défendre la position selon laquelle la dynamique essentielle des conditions de travail de ces femmes est celle de classe.
DIVISIONS HOMMES-FEMMES AU TRAVAIL
Le fait que les hommes sont majoritaires dans les emplois supérieurs et les femmes dans les emplois inférieurs ne démontre pas que l'ensemble des hommes ait un intérêt commun à dominer les femmes. Pour cela, il faudrait démontrer que les hommes des échelons inférieurs ont vocation à gravir les échelons. Cockburn est de cet avis
men are characteristically upwardly mobile in administrative grades. They are the supervisors, the managers.(Cockburn 1987)
Même selon les statistiques que donne Cockburn dans la même publication, seule la moitié des hommes dans son secteur d'étude a une responsabilité de maîtrise. Derrière le mot "characteristically", les problèmes d'analyse que présentent les hommes qui partagent la situation professionnelle des femmes en bas de l'échelle disparaissent.
Certains ont cru en effet que le travail routinier de bureau allait devenir un travail uniquement destiné aux femmes, les hommes ne faisant ces emplois qu'en route pour une carrière dans les emplois supérieurs (voir Carter 1985:4). Mais pour les fonctionnaires britanniques aujourd'hui ce n'est pas le cas. Les hommes en bas de l'échelle (24% des AA, 39% des AO - c'est à dire 79 000 hommes en 1989) ne vont pas, dans leur grande majorité monter dans l'échelle professionnelle. S'ils restent dix ans, ils arriveront, peut être à devenir Executive Officer : un contre-maître du bureau. Il y a peu qui y arrivent - chaque année, plus de fonctionnaires des échelons inférieurs quittent la fonction publique que ceux qui reçoivent une promotion même minime.
Les pourcentages annuels de promotion sont les suivants, pour les années 1980-1985. Les chiffres sont les pourcentages moyens de chaque échelon qui a reçu une promotion (passant ainsi à l'échelle suivante) pendant l'année de référence.
Rang d'origine de
l'employé(e) hommes femmes ensemble
Administrative
Assistant 9,9 % 7,3 % 7,95 %
Administrative
Officer 4,9 % 2,8 % 3,52 %
Executive
Officer 5,1 % 3 % 4,28 %
(HMSO 1988)
On voit qu'il y a une discrimination importante de la part de l'employeur contre les femmes. Mais on voit également que les perspectives de promotion pour les AA et AO hommes sont loin d'être généreuses, et ne sont pas suffisants pour en faire une couche privilégiée qui n'aurait plus intérêt à s'unir avec les employées femmes. Dans cinq ans, seule la moitié des hommes Administrative Assistant aura passé au rang supérieur d'employé plus spécialisé. Dix ans plus tard, la moitié de ceux-ci sera devenu agent de maîtrise.
La domination masculine des échelons supérieurs vient, pour sa plus grande partie, d'ailleurs - des hommes ayant fait des études supérieures qui entrent la fonction publique directement en tant que EO et qui ont un accès privilégié à des promotions subséquentes (Fast tracking). Les hommes comptaient 71% de ces recrutés cadres en 1989.
Les hommes en bas d'échelle ne contrôlent donc pas le travail de leurs collègues femmes. Il y a une division de classe entre ces hommes et les managers de la fonction publique. Effacer cette division rend tout analyse faussé dès le départ.
Par ailleurs, il n'y a aucune raison de croire qu'il y a une unité de femmes qui traverse les divisions de l'hiérarchie du travail. Il ne semble pas que les femmes EO (41 000 - 39%) ou les femmes HEO (17% - 12 000) soient plus favorables que les hommes des mêmes rangs aux intérêts de la majorité des femmes qui se trouvent en bas de l'échelle. D'ailleurs, pendant les années 1980, quand de plus en plus le travail des agents de maîtrise et des cadres a été d'imposer des rythmes de travail accélérés ou de gérer un plan de licenciements, une solidarité quelconque qui aurait traversé la hiérarchie du travail aurait été bien difficile.
UNITE DES HOMMES ET DES FEMMES
Une théorie sur des divisions d'intérêt entre deux groupes sociaux doit normalement pouvoir expliquer aussi des phénomènes de conscience et des phénomènes d'action collective. Pourtant, les types de conscience et d'action parmi ces fonctionnaires ne se divisent pas essentiellement sur des lignes de sexe.
Toutes les actions qui ont été entreprises pendant les dernières vingt ans pour défendre ou avancer les intérêts des employé(e)s ont été faits par les hommes et les femmes ensemble.
Les années 1980 ont vu des centaines de grèves. Dans le seul ministère de la sécurité sociale il y a eu des grèves sur les salaires, sur la santé au travail (l'amiante au travail ou la violence faite aux employé(e)s par les clients), contre les licenciements, contre la surcharge du travail et contre l'usage des heures supplémentaire pour masquer l'insuffisance des effectifs.
Dans quasiment toutes ces grèves, la majorité de grévistes a été des femmes, et les grèves ont souvent pu gagner des progrès dans les conditions de travail, ou, plus souvent, freiner une détérioration de ces conditions. Les seules tentatives d'améliorer les conditions de travail et les salaires ont été menées par des femmes et des hommes ensemble.
D'ailleurs, cette combativité est allée plus loin. Il y a eu de nombreuses grèves plus directement politiques. A Londres en 1988, des dizaines de milliers d'employé(e)s ont fait grève pour protester contre l'embauche d'un membre d'une organisation fasciste à la fonction publique; et de nombreuses autres grèves antiracistes ont eu lieu. D'autres débrayages se sont produits spontanément lors de la visite des ministres du gouvernement aux centres de sécurité sociale. Le potentiel d'unité hommes- femmes a été démontré.
En plus, même pendant les années 1980, une période très difficile pour tous les syndicats, il y a eu d'innombrables exemples de solidarité entre cette section de travailleurs, très féminisée, et d'autres sections. Lors des grèves de ces employé(e)s, il y a eu de très nombreuses collectes, voire parfois des grèves de solidarité avec les fonctionnaires, et d'autres conflits, des secteurs ouvriers et masculinisés, ont reçu des collectes et des grèves de solidarité de la part des membres du CPSA. Un de mes interviewés m'a affirmé
The collections we did during the miners strike were excellent. Almost everybody : 38 out of 40 people gave money every week for the miners. By and large low paid civil servants will identify with other workers taking industrial action. They wouldn't even see it as being left wing.(interview de S Nichol 2/92)
C'est là où le sens d'un pouvoir collectif est plus fort, que les positions les plus avancées sont prises au sujet de l'oppression de la femme. C'est à dire, au congrès, quand le sens de l'unité est très fort, et lors des grèves, quand le sens habituel d'impuissance chez les employé(e)s est levé pour une période, une unité militante contre l'oppression a pu être mis en place.
QUESTIONS NOUVELLES
Même sur des questions "nouvelles au syndicalisme", telles que le harcèlement sexuel, le syndicalisme a fait des tentatives de défendre les intérêts des femmes. C'est le syndicat qui a poussé l'employeur d'étudier la question et de mettre en place des mesures contre le harcèlement sexuel. L'employeur a suivi sans grand enthousiasme. La responsable femmes du syndicat m'a expliqué
Management say they want to get rid of sexual harassment But they won't hold it [proved accusations of harassment] on file for long, or tell you what the disciplinary measures are. Managers attitude has improved on paper : at least they now have a policy on it. But it was us who forced them to do that. And even now, they don't do any monitoring work or education work : the union does all that.
Ceci en même temps qu'il y a du progrès à faire
Most of the activists do take the issue seriously, including the men activists, though there have been a couple of cases of male activists being harassers themselves.(Ibid.)
TACTIQUES TRADITIONNELLES
Si l'unité a été possible entre hommes et femmes, c'est aussi le cas que les grévistes, à majorité femmes, se sont servis des tactiques traditionnelles du mouvement ouvrier, confondant ainsi les analyses des auteurs qui ont pu prétendre que les salariées femmes avaient une conscience différente de nature à celle des hommes, et que les tactiques syndicales traditionnelles n'étaient appropriées qu'à la défense des intérêts des travailleurs hommes.
Même on m'a affirmé, du côté de l'employeur
the fact that they are women doesn't affect industrial relations ... They are mixed in their militancy. You get some who would never go on strike and others who lead strikes. (interview avec Roger Bryant, chef du personnel national, ministère de la sécurité sociale 10/91)
et du côté du syndicat, la responsable femmes, de conviction féministe, m'a affirmé :
Women do not have a different style of striking... they learn things like picketting very quickly. (interview avec Veronica Bayne 6/92)
En effet, des piquets de grève disciplinés et combatifs ont été une caractéristique des actions de ce groupe d'employés. Des employées ont été arrêtées sur des piquets de grève, suivant ainsi une longue tradition ouvrière.
DIVISIONS DE SEXE DANS LE SYNDICAT
Puisque la capacité d'agir collectivement contre les projets de l'employeur a été ce qui détermine les conditions de travail des employé(e)s, il n'est guère surprenant de trouver qu'à l'intérieur du syndicat, les divisions majeures n'ont pas été non plus entre hommes et femmes, mais entre des visions différentes de comment gérer les rapports avec l'employeur - c'est à dire entre la droite du syndicat et la gauche. Il n'y a aucune raison de croire à une division générale entre les sexes sur ces questions.
Au congrès, les divisions ne sont "quasiment jamais" entre hommes et femmes, selon Veronica Bayne, responsable femmes du syndicat, de sympathie féministe.
Pour juger un peu de la conscience des femmes actives dans le syndicat, j'ai étudié leurs interventions au congrès. Dans les rapports du congrès qui apparaissent dans les pages de Red Tape, le journal du syndicat, il y a un résumé de chaque intervention dans le congrès. J'ai donc pris un échantillon de motions présentées au congrès pendant les années 80 et j'ai fait une analyse par sexe des interventions de la salle. J'ai choisi pour l'échantillon de motions des motions qui pouvaient être clairement classées dans un des trois groupes : motions qui appelaient à une combativité plus forte (appels à des campagnes de grève contre l'avis du comité exécutif du syndicat surtout); motions sur des questions directement politiques qui étaient clairement considérées comme des motions de la gauche (affiliation au parti travailliste ou à la campagne de désarmement nucléaire, motions contre la guerre du golfe, contre la médecine privée, pour une campagne de masses contre la Poll Tax...) et des motions habituellement considérées des "questions femmes" (lutte pour un meilleur accès à l'avortement, nomination de responsables femmes dans les régions, contre le harcèlement sexuel...). J'ai exclu les débats plus techniques (sur l'organisation des primes, etc). L'échantillon couvre tous les congrès de 1979 à 1991.
J'ai exclu toute intervention fait au nom du comité exécutif ou par le président ou le secrétaire général, pour pouvoir avoir une impression de la situation chez les militant(e)s de base de l'organisation. L'échantillon comportait 339 interventions de la salle.
Pour les motions qui appelaient à une combativité plus poussée, 33 % des interventions de la salle furent faites par des femmes. (autour de 38% des délégués sont des femmes). En faveur des motions politiques de gauche, 29%. Les interventions contre les motions de gauche comptaient 44% de femmes.
Les conclusions que j'en tire sont que
- Les femmes déléguées aux congrès réussissent à intervenir dans le débat. Elles sont légèrement sous-représentées par rapport à leur nombre au sein du congrès. Le problème principal pour augmenter la participation des femmes semble donc être de réussir à faire élire plus de déléguées femmes pour venir au congrès.
- Les divisions au congrès ne sont pas entre hommes et femmes
- Les femmes déléguées sont un peu plus à droite sur des questions politiques traditionnelles au syndicalisme que les hommes. Je n'ai pas les éléments pour analyser cette différence, qui, d'ailleurs, n'est pas énorme.
En même temps, pour les motions "sur les questions femmes", les interventions des femmes étaient beaucoup plus nombreuses. 61% des interventions en faveur furent faites par des femmes, donc nettement plus que leur proportion dans le congrès. Ceci peut être parce que les femmes avaient plus de confiance pour intervenir sur ces sujets, ou parce que les hommes en avaient moins, ou parce qu'une partie significative des hommes ne s'y intéressait pas. Il est difficile de dire.
Les motions "féministes" ont divisé les femmes et les hommes. En 1983, par exemple, une motion qui exigea que seules des femmes puissent être élues au Women's Rights Committee a été opposée par certaines déléguées femmes, qui ont dit que
The motion implied that men were not able to adequately represent female members in their branches, and that this, in her opinion, was an insult to branch officers. (Red Tape juillet 1983)
et ce type d'intervention se répète à chaque fois qu'une motion de ce type est présentée au congrès.
SEXISME
Si les divisions majeures sur les lieux de travail sont sur des lignes entre employés et employeurs, et les divisions principales sont entre la droite et la gauche du syndicat, ceci ne veut pas dire que la discrimination contre les femmes n'existent pas au sein du syndicat tout comme sur le lieu de travail.
Comme la plupart des oppressions, l'oppression des femmes divise les syndiqués. Il y a une minorité qui défend ouvertement l'oppression ou déclare qu'elle n'est qu'un ressort de l'imagination. Ainsi en avril 1990, une lettre dans Red Tape affirma que des accusations d'harcèlement sexuel ne pouvaient venir que de femmes en manque d'un sens d'humour.
Il y a une autre minorité, plus importante dans le CPSA, qui s'oppose sans condition à l'oppression. Cette minorité a une grande influence dans la vie syndicale, car l'unité nécessaire pour gagner les luttes pour améliorer les conditions de travail ne peut qu'être renforcé par une prise de position sérieuse contre l'oppression spécifique des femmes. C'est ainsi que les motions pour avancer la situation des femmes, que ce soit pour de meilleurs congés maternité, pour des tests de cancer de sein sur les lieux de travail, pour l'accès égal à la promotion, pour la formation des membres au sujet de l'oppression des femmes, pour des stages de prise de parole en public destinées aux femmes, pour l'enlèvement de langage sexiste de toutes les publications du syndicat, pour le recrutement d'une responsable femmes, pour la mise en place de mesures qui encouragent une participation plus élevée des femmes dans la vie syndicale, ou contre le harcèlement sexuel, rencontrent extrêmement peu d'opposition aux congrès, et souvent aucune.
Le restant des syndiqués se trouvent dans une position intermédiaire ni des défenseurs de l'oppression par principe, ni des opposants systématiques à toute discrimination. Cette majorité est d'ailleurs très variée (pouvant être conscient de certaines questions et pas d'autres, par exemple) et capable de changer, (surtout dans des périodes d'activité revendicative).
Quelques exemples du sexisme dans le syndicat. Les élues et les permanentes femmes se plaignent d'une discrimination à leur égard. Mme Bayne affirme
It is not easy to be one of only two women full timers in the union. other women in other unions feel the same. (Interview de V. Baynes 6/92)
En particulier, elle s'est plainte
I've yet to see a man actually stand aside and let a woman do the job..They'll say it but they won't do it.(Ibid.)
Une permanente interviewée d'un autre syndicat par Grant fit remarquer avec humour :
We employ 500 officials, and not every last man Jack of them is a born-again feminist. (1991:75)
Des problèmes plus graves d'oppression peuvent également apparaître. Par exemple, certains dirigeants du syndicat furent accusés d'harcèlement sexuel lors du congrès de 1984. Une déléguée est intervenue pour dire
last night a large number of women were sexually harassed by full time officers of the union who were quite aware of what they were doing and did not give a damn. (Red Tape juillet 1984)
Il est évident, d'ailleurs, que le sexisme n'est pas limité aux dirigeants. Les attitudes des syndiqués de la base doivent certainement refléter les attitudes oppressives envers les femmes de l'idéologie dominante. Ces attitudes et comportements sont malheureusement difficiles à mesurer.
LES IDEES FEMINISTES DANS LE SYNDICAT
Cela dit, les idées qui partent de l'idée qu'il faut gérer un véritable conflit d'intérêt entre hommes et femmes (des idées féministes donnent lieu à une division au sein du syndicat qui n'est pas du tout entre hommes et femmes. Les femmes, tout comme les hommes sont divisés à cet égard. Un exemple typique est la motion de 1986 revendiquant la mise en place de comités de femmes élues par les seules femmes du syndicat. La motion fut proposée par deux femmes et un homme et opposées par deux femmes et un homme. D'un côté on argumentait
the women-only committee would enable the female members to become confident and active. It was difficult for women to discuss problems peculiar to them with their male colleagues. (Red Tape juillet 1986)
Contre cela, une déléguée répondit
carry this and you will end up with men only committees, blacks only committees and even OAP only committees. (Ibid)
et une autre
It was against the spirit of the union. (Ibid)
Une intervenante en 1981 était allée encore plus loin
she said that CPSA were in the forefront of the fight for equal rights but did not accept that there were separate interests for women and for men. "we consider that the interests of women in this union are well protected and the creation of a national sub committee would not improve the situation".(Red Tape juillet 1981)
BUREAUCRATIE
J'ai écrit qu'il y a une unité dans le syndicat entre hommes et femmes sur des questions qui les unit (conditions de travail, de salaire et de politique), et que le besoin d'unité, et les idéaux des syndiqué(e)s les mènent aussi à pouvoir s'unir parfois contre l'oppression des femmes, tandis qu'en même temps le poids des idées oppressives continue.
Plusieurs auteurs ont remarqué que les motions passées aux congrès syndicaux restent parfois lettre morte, et que lors des négociations avec l'employeur, la priorité nécessaire n'est pas donnée à ces questions. C'est une autre raison pour laquelle des auteurs ont pu croire que les syndicats servent essentiellement les intérêts masculins.
Mais il y a un autre élément à introduire. Les congrès sont le moment où la direction du syndicat est le plus proche de sa base (dans le CPSA plus de 1 000 délégués assistent au congrès, dont plus d'un tiers viennent pour la première fois). Entre les congrès la politique du syndicat est contrôlée par le comité exécutif et les permanents. D'ailleurs ce sont les permanents qui ont le plus d'influence. De par leur position de négociateurs professionnels, ils sont peu à même de pousser en avant des revendications qui pourraient "faire trop de vagues". Ceci s'applique à toute une série de revendications - le congrès critique régulièrement la direction pour ne pas avoir mise en marche les campagnes déclarées au congrès. Ces manquements comprennent les "questions femmes"
Au congrès de 1979, une motion de censure fut adoptée contre le comité exécutif qui n'avait pas organisé une crèche pour les enfants des délégué(e)s. Au congrès de 1989, un délégué (homme) est intervenu pour dire que cela faisait trois ans que le congrès avait décidé de nommer un responsable femmes dans le syndicat, et que la direction n'avait encore rien fait à ce propos.
Mais il n'y a aucune de raison de croire que c'est à cause du fait que ce sont des "questions femmes" lien au sexe opposé, ni que les manquements sont causés par le travail des hommes militants, ni d'ailleurs de la base des hommes syndiqués en général.
LA PARTICIPATION DES FEMMES
Mais, si, comme je l'affirme, les intérêts des femmes sont servis par le syndicat CPSA, malgré le poids de l'oppression, comment se fait-il que leur participation soit tellement peu élevée comparée à leur nombre dans le syndicat. Nous avons vu ci-dessus les pourcentages d'élu(e)s. Une enquête dans le syndicat en 1986 nous montre la situation pour les militant(e)s de base
Qualification de soi-même comme étant
très actif - 19% des hommes. Très active 6 % des femmes
assez actif /active 25% des hommes; 25 % des femmes
pas très actif/active 43% des hommes; 54% des femmes
pas du tout actif/active 13% des hommes; 14% des femmes
Dans le cadre du CPSA,il n'y a pas les éléments pour être sûrs de l'explication à donner à ce manque de participation. Cockburn, écrivant sur les syndicats britanniques en général, affirme que le manque de participation des femmes est dû à un manque de confiance dans les syndicats de la part des femmes, qui verrait les syndicats un peu avec des yeux féministes face à des institutions de pouvoir masculin.
[Women are] more liable than men to see straight through the emperors clothes where trade unionism is concerned. We have seen, besides, that women prefer consensual politics. It would not be surprising therefore if women were particularly likely to feel alienated by a confrontational and conflict prone trade unionism...
...Women are less ready than men to tolerate lack of democracy and freedom within the unions (Cockburn 1987:26).
Pour le CPSA, ceci ne semble pas être l'explication de la basse participation des femmes. En fait, loin d'être aliénées par les syndicats à cause de son style masculinisé, les femmes dans le syndicat sont plus satisfaites que les hommes, selon le sondage de 1986 fait par IFF, une société d'étude indépendante du syndicat. A la question "Is the CPSA in tune with members views ?" 58 % des femmes, mais seulement 46 % des hommes répondirent que oui. C'est une différence très significative. Naturellement, ces chiffres ne prouvent pas que les femmes sont mieux servies par les syndicats que les hommes, mais ils contredisent nettement l'idée que les femmes soient aliénées par le syndicat et le style de travail syndical.
LES TENTATIVES D'AUGMENTER LA PARTICIPATION DES FEMMES
Tout comme dans d'autres syndicats, le CPSA a fait des tentatives d'augmenter la participation des femmes. Des stages de formation pour les femmes pour les introduire à la vie syndicale, à la prise de parole en public, des stages de formation pour les élu(e)s pour développer leur conscience des difficultés spécifiques des femmes.
Comme on voit des chiffres donnés au début de cet article, ces tentatives ont eu un effet limité. Les conditions de vie plus difficile pour les femmes suite à la crise économique, dont elles sont les premières victimes, et la répression de la part de l'employeur ont certainement contribué à la basse participation, et les tentatives du syndicat ont été un peu donc à contre-courant.
Je n'ai pas les éléments sur le CPSA pour trancher, mais il y a eu une étude d'un autre syndicat britannique, le USDAW (syndicats des employés des magasins) par France (1992). Ses conclusions ont été trois.
D'abord, le travail domestique, facteur, certes, de l'oppression des femmes, n'est pas le facteur central dans la participation. Les femmes actives dans le syndicat n'avaient ni plus ni moins d'enfants que celles qui n'étaient pas actives.
Deuxièmement, il ne semble pas que les femmes soient en train de boycotter une organisation qu'elles considèrent comme un endroit oppressif pour la femme. Les raisons données par les femmes actives pour la basse participation des femmes furent "anti-union manager" (35,5%) tandis que "male hostility" était mentionné par 12,9%, et "political infighting" par 25,8%.
Les femmes non-actives donnaient pour l'essentiel les mêmes raisons que les hommes non-actifs pour leur manque de participation.
Les raisons données furent
Horaire des réunions 22.2% femmes 25% hommes
Attitude de l'encadrement 33.3% femmes 31.3% hommes
hostilité masculine 11.1%
N'y ai jamais pensé 11.1% femmes 18.8% hommes
None 5.6% women 6.3% men (France 1992:75)
Une minorité significative - 11% parle d'une hostilité masculine, mais ceci ne semble pas suffisant pour expliquer une participation qui n'atteint même pas la moitié d'une participation proportionnelle au nombre de femmes dans le syndicat.
Il semble que, pour l'USDAW, et, je pense, pour le CPSA aussi,
A large part of the solution lies outside the union machinery. (Ibid:79)
D'ailleurs, il me semble qu'il s'agit souvent de questions d'idéologie - de l'éducation à la passivité chez les femmes, et aussi de leur position sous-privilégiée dans le marché de travail. Les femmes changent plus souvent de travail, et travaillent plus à temps partiel, et ces deux choses ne facilitent pas leur participation dans la vie syndicale.
L'augmentation de la participation des femmes est une "longue marche". Mais ce n'est pas un combat qui oppose essentiellement les syndiqués aux syndiquées. Il oppose plutôt les syndiqué(e)s conscient(e)s de l'injustice de l'oppression et de la nécessité de l'unité, à l'idéologie dominante et ses relais dans la structure du marché de travail et au sein du syndicat.
Les campagnes contre le remplacement des contrats permanents par des contrats temporaires, contre la surcharge de travail, pour les crèches au travail, pour la défense du temps de délégation, sont toutes des campagnes qui s'opposent les syndiqué(e)s à l'employeur, et qui par ailleurs aident à faciliter la participation des femmes.
Je pense avoir montré que la situation des femmes dans la fonction publique britannique est déterminée avant tout par les rapports entre employeur et employé(e)s. L'oppression dont souffrent les femmes ici comme ailleurs ne peut pas être expliqué par une théorisation d'un conflit hommes-femmes qui traverse les hiérarchies du travail. Le potentiel d'unité entre hommes est beaucoup plus grand qu'ont cru certains, et il faut chercher d'autres cadres d'explication pour la conscience et l'action collective des employé(e)s que ceux des théories de la patriarchie.
Mes lecteurs auront compris que c'est du côté d'une analyse remettant la question de classe au centre qu'il faudrait selon moi résoudre ce problème d'explication.
Bibliographie
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