«Your benefits office is closed due to industrial action» :
Le conflit social au ministère de la sécurité sociale 1979-2003.
John Mullen Université de Paris 12 Val de Marne
«There has never been any official strike of civil servants organized
by one of the recognized staff associations. It is difficult to imagine circumstances in which it would be good
tactics to attempt to further a claim in this way.»(Mackenzie WJM
and Grove JW 1957:141)
Introduction
La
limitation des budgets sociaux constitue depuis 1979 un axe fondamental de la politique gouvernementale. Mais pour
des raisons parallèles, les gouvernements ont également voulu augmenter la productivité des
administrations - plus de dossiers traités pour moins d’argent. Les employés en question ont à
leur tour réagi. Un syndicalisme qui avait été très peu tourné vers la grève
s’est transformé. Ceci même avant 1979, comme en témoigne le titre de l’histoire officielle
du syndicat CPSA (Civil and Public Services Association) éditée en 1980 : « From Humble Petition to Militant Action ».
Les
études universitaires du conflit social se sont concentrées sur les ouvriers de l’industrie ;
le syndicalisme des employés de bureau a suscité peu d’intérêt. D’ailleurs, le secteur
privé a été plus étudié que le secteur public, et au sein du secteur public,
les échelons supérieurs des cadres plus que les employés subalternes. C’est ce qui justifie
ma recherche sur les conflits sociaux concernant les employés subalternes du ministère de sécurité
sociale.
Il
y a eu une montée importante du conflit social parmi les fonctionnaires britanniques subalternes, particulièrement
au sein du Ministère de la Sécurité sociale de la fin des années 1970 au début
des années 1990, suivie d’une accalmie de 10 ans qui semble aujourd’hui être en passe de disparaître.
En étudiant les grèves entreprises par ces salariés, nous tenterons de comprendre les raisons
de cette évolution, et ce qu’elle peut nous apprendre sur la nature de cette activité revendicative.
Il
s’agit d’un groupe de 70 000 employés, à 70% des femmes, une population jeune (en 1986 29% des
employés syndiqués vivent chez leurs parents). Après la réorganisation du Ministère
en 1992, l’essentiel de ces employés se trouve dans le Benefit Agency et le Employment Service,
avant d’appartenir en 2001 au nouveau Department of Work and Pensions. Mais leur travail, très routinier,
de gérer les allocations et leur attribution, a assez peu changé.
La
plupart travaille dans 500 centres locaux, et quelques milliers dans les grands centres d'administration à
Newcastle, Wigan et Glasgow. 70% des salariés au sein du Benefit
Agency sont syndiqués et 50% de ceux qui travaillent dans le Employment
Service. Les employés sans responsabilité hiérarchique
(les plus impliqués dans les grèves) se syndiquaient avant 1998 dans le CPSA (Civil and Public Services
Association), tandis que les agents de maîtrise avaient un syndicat à eux. Depuis, les deux syndicats
ont fusionné (avec d’autres) pour former le PCS (Public and Commercial
Services Union).
Une
nouvelle gestion
La
montée du chômage, et la détermination des gouvernements à limiter les frais administratifs
de la fourniture des allocations et autres prestations ont mis sous pression ce groupe de fonctionnaires, souvent
obligés de gérer plus de dossiers avec moins d’effectifs.
D’ailleurs,
depuis 1979 l’introduction accélérée de la « discipline
du marché », dans ce secteur a été concrétisée
par l’apparition de certains outils de gestion développés dans le secteur privé.
Depuis
les années 20 il existe des formes de mesure de la vitesse du travail exécuté, mais celles-ci
se sont généralisées.
We've got
a ‘no individual measurement agreement’, but the management try to get round it by making us sign out everything...
They've started putting graphs on the walls, and telling you you have to achieve this target : 190 per man day... (Joel
Hirsch)
La «qualité» du
travail est également mesurée par une notation annuelle de chaque employé, allant de «Box five» - impliquant un entretien disciplinaire
avec le chef du personnel à «Box one»
- excellent.
L’employeur
voudrait se servir de cette notation pour individualiser les salaires selon un système de « paiement
au mérite ». Le syndicat
s’y est toujours opposé, soupçonnant un désir de
diviser les salariés. L’accord de 1987 prévoyait des primes ‘de mérite’ pour le principe,
même si en fait quasiment tous les employés y avaient droit. Un accord de 1992 permit pour la première
fois des sanctions salariales pour ceux qui reçoivent « Box
four » ou « Box
five », et aujourd’hui cette question reste source de conflit.
D’autres
tactiques de gestion sont plus idéologiques, dont l’imposition en 2003 de l’obligation, pour les employés
hommes, de porter costume et cravate au travail (y compris ceux qui ne travaillent pas avec les usagers). Une ambiance
«monde de l’entreprise»
est recherchée par l’employeur.
Réorganisations
et privatisations
Une
dynamique de privatisation partielle n’apparaît dans les administrations centrales qu’au milieu des années
1990. Certains services pouvaient être privatisés (« outsourcing »), ou bien soumis à une obligation d’appel d’offre (« market testing »). La négociation
collective nationale sur les salaires et les conditions de travail disparut au même moment, rendant plus
difficile l’organisation de grèves nationales légales.
Enfin, les décennies récentes ont vu se développer différents types d’emploi précaire,
rares dans les ministères depuis les années 1930. (contrats à durée déterminée,
Youth Training Schemes et autres « emplois jeunes »).
Les
grèves
Tous
ces processus ont donné lieu à des grèves dans ce milieu qui a maintenu un syndicalisme assez actif - il est très
rare qu’un centre n’ait pas de représentant syndical (shop steward). Et on ne doit pas oublier qu’à chaque grève correspondent de nombreuses
menaces de grève, protestations informelles etc.
Nous
allons voir les grèves par revendication principale, bien que la plupart de grèves aient des causes
multiples, et que leur avènement soit utilisé par les deux camps pour tenter de régler de
vieux différends. L'employeur pourrait accepter, par exemple, de faire des concessions sur le nombre des
effectifs, à condition que la question des heures supplémentaires, qui traîne depuis un an,
soit réglée.
Certains
considèrent que les grévistes des services publics, puisqu’il n’y a pas de manque à gagner
pour l’employeur, disposent de peu de pouvoir. Pourtant les grèves des employés de la sécurité
sociale peuvent coûter cher. En cas de grève, le gouvernement ne peut absolument pas annuler le paiement
des allocations. Selon le Financial Times
(14/7/81), le gouvernement avait bien peur des émeutes pendant les grèves de 1981.
La
grève à Newcastle en 1984, par exemple, a coûté plus de £200 000 000 au gouvernement, (Sunday
Times 23/03/85) Les nouveaux ordinateurs ne pouvaient plus être utilisés,
faute de main d'oeuvre spécialisée. Les autres salariés refusaient de remplacer les grévistes,
obligeant le ministère à faire rédiger à la main des millions de chèques.
Distribution
des grèves
Les
grèves viennent par vagues. Les années les moins agitées furent 1975 (£16 000 dépensées
par le syndicat en indemnités pour grévistes) ou 1986 (£45 000). Les années les
plus agitées furent 1981 (£2 400 000) 1987 (£2 500 000) 1989 (£870 000).
Pour la grande grève de 2001-2002, des chiffres exacts ne sont pas disponibles, mais le comité exécutif
m’assurait qu’ils avaient « vidé les caisses ».
Pendant
les années 1980, deux grandes campagnes de grèves nationales furent menées, avec entre ces
grèves quelques journées d’action nationales et
d’innombrables (enfin, autour de 400) ‘petites grèves’ locales.
Dans les années 1990 les petites grèves locales ont quasiment disparu, et les grèves nationales
sont devenues plus rares (1993, 1996, 2001-2).
La
proportion de grèves locales était très importante jusqu’aux années 1990 pour trois
raisons. Les causes principales de mécontentement telles que le manque d'effectifs, sont aptes à
être traitées au niveau local. Deuxièmement, la généralisation des délégués
de bureau sur chaque lieu de travail a pu faciliter le passage à l'action locale et immédiate. Il
était courant que les instances nationales du syndicat soient mises au courant d’une grève après
qu’elle était finie.
Troisièmement,
le gouvernement augmentait l'autonomie des directeurs régionaux et locaux : facilitant des conflits
limités. Les nouvelles mesures - telles que l'accroissement du travail intérimaire - furent
introduites tout d'abord dans quelques localités pilotes. Enfin, la direction syndicale nationale préfère
des grèves locales, moins coûteuses en indemnités de grève.
La
plupart du temps, une grève locale impliquait de 40 à 200 grévistes. Le taux de participation
habituellement très élevé entraînait très souvent la fermeture des centres.
Une
liste exhaustive étant bien trop longue, nous n’évoquerons que les grèves les plus longues
ou intéressantes, et un ou deux exemples caractéristiques parmi les autres.
Salaires
Les
grèves de 1979 pour les salaires comptèrent 507 900 journées de grève (Employment Gazette août 1980), juste avant
les élections législatives.
La
campagne de 1981 a duré 21 semaines et compta 867 000 journées de grève. Le coût
total pour le gouvernement fut estimé à £1 000 000 000 (Guardian 6/9/82). L'offre initiale du gouvernement de 7 % d’augmentation passa à 7,5 %
après la grève, avec mise en place d’une commission d'enquête sur les salaires. Les grévistes revendiquaient
également, sans succès, un «coup de pouve» pour les plus bas salaires. Ainsi, la grève
fut perçue comme une défaite syndicale.
Néanmoins,
en 1987, la mobilisation revint. Le syndicat revendiqua une augmentation de £20 ou de 15 %. L’employeur
proposa 4,6 %. Une série de grèves régionales fut entreprise, le syndicat payant 85%
du salaire des grévistes. Le gouvernement n'a probablement pas voulu se lancer dans un combat décisif, (Financial Times 4/4/87), mais la grève
devint une véritable épreuve de force. La semaine du 9 juin 452 des 491 centres locaux de sécurité
sociale furent fermés (Financial Times
9/6/87). Mais il en résulta une nouvelle défaite syndicale, cette fois sous une direction très
marquée à gauche. Cette direction « Broad Left » perdit la majorité au comité exécutif aux élections
suivantes et ne la regagnera pas avant 2000.
Malgré
tout, de peur d’une nouvelle remobilisation, des augmentations salariales au dessus du taux de l’inflation furent
accordées en 1988 et 1989, lors de la signature d’un accord salarial portant sur plusieurs années.
Juste après la longue grève, plusieurs grèves locales s’opposèrent à des représailles
patronales contre certains grévistes, mais depuis 1987 il n’y a pas eu de grève nationale pour des
augmentations salariales.
Les primes
Les primes, avant tout les «primes de mérite» ont donné lieu à de nombreux conflits. Onze des 70 employés
à Cowdenbeath en Ecosse reçurent des primes ‘de mérite’ à la fin de 1989 et une grève
éclair fut déclenchée. Autre exemple à Reading en 1987, où les employés
débrayèrent suite à l'allocation contestée de primes de nouvelle technologie.
L'une des grèves les plus longues se tint en 1984 après une réorganisation
des primes et du travail de nuit au centre informatique de Newcastle Longbenton, (plus de 2 000 agents), réorganisation
qui se serait traduite par une réduction de salaire, et par l'obligation pour tous de travailler la nuit.
Après une grève du zèle (work-to-rule) d'un an, la grève éclata en mai 1984
et dura dix mois (67 600 journées de grève), les grévistes recevant 50% de leur salaire
du syndicat. Le
coût, pour le gouvernement a été de 200 millions de livres. 5300 intérimaires firent
manuellement le travail des 500 grévistes. (Financial Times 8/10/84).
Au centre informatique de Washington les employé(e)s ont été menacé
de suspension lorsqu'ils ont refusé de faire le travail des grévistes de Newcastle, ce qui a provoqué
plusieurs mois de grève par les 80 employés. D'autres ont organisé un boycott des logiciels
écrits par des non-grévistes de Newcastle (Financial Times 3/10/84)
La grève à Newcastle a débouché sur un compromis et, l'année
suivante, l’employeur s’est montré bien plus généreux envers les employés du centre
informatique à Swansea, qui s'occupe de la vignette automobile, et dont les employés sont également
syndiqués au CPSA.
Une menace de grève dans le DHSS en 1987 contre le principe des primes au mérite
a obtenu leur quasi-suppression. (Financial Times
28/2/87). Ce n’est qu’en 1990 que l’employeur réussit à imposer une prime ‘de mérite’ allouée
selon la note obtenue par l’émployé lors de son évaluation annuelle. Aujourd’hui en 2003,
l’employeur voudrait aller au-delà des primes, en établissant un lien direct entre notation annuelle
et indice salarial. Un conflit est probable.
Grèves sur les effectifs
En dehors des grandes campagnes salariales, de très loin le mobile qui a provoqué
le plus de conflits fut celui des effectifs.
J’ai trouvé trace écrite de 59 grèves locales sur
cette question de 1979 à 1992. Vingt six autres contestaient l’introduction de contrats d’intérimaire,
et vingt protestaient contre le régime d’heures supplémentaires, utilisées selon le syndicat
pour éviter des embauches.
La grève la plus importante,
à Birmingham en 1982, mobilisa 600 à 700 grévistes
pendant trois mois et demi., rejoints après six semaines par des syndiqués à Oxford. L'Employment Gazette compte 55 000 journées de grève
dans ce conflit. En dehors de ces deux villes, 28 600 employés ont fait une grève de solidarité
de 24 heures. Dans les centres qui n'ont pas voté la grève la majorité des employé(e)s
ont versé une journée de salaire à la caisse de solidarité.(Times 4/12/82)
rewrite following section, or re-order surtout
Les quelques dizaines d’autres grèves sur cette question réussirent souvent
à imposer de nouvelles embauches. La grève à Ilford en 1985 présente un caractère
intéressant. Dix huit centres à Londres firent grève de solidarité avec Ilford sans l'approbation de la direction du syndicat,
une des plus grandes grèves non-officielles dans le DSS.
En 1986 une campagne de grèves régionales à ce sujet entraîna
la fermeture de 43 des 63 centres de la région Ouest. En 1989 un autre conflit sur la question des
effectifs compta 59 000 journées de grève. En 1991 à Hull, 8 semaines de grève gagnèrent
23 embauches.
Contre les heures supplémentaires
Une grève sur dix (Londres 1984, Doncaster 1985, Leicester 1990…)
dans les années 1979-92 était menée contre la proposition ou l’imposition d’heures supplémentaires,
considérées comme un palliatif qui permettait de ne pas embaucher.
Une tactique particulière naquit à cette époque
- le « Tit for tat strike »
(grève «d’un prêté pour un rendu»). Lors des heures supplémentaires (souvent le samedi), un piquet de grève
comptait ceux qui refusaient la consigne syndicale. Ensuite une grève était appelée pour «perdre» le même nombre d'heures de travail
qu'avaient travaillé les non-grévistes, les autres syndiqués cotisant pour payer le salaire
des grévistes.
Le travail précaire
Les grèves contre le travail précaire - avant tout contre l’embauche sous
contrat à durée déterminée - ont suivi un rythme similaire - quelques campagnes de
grèves importantes, et un plus grand nombre de grèves locales plus petites. En tout, 70 centres de
sécurité sociale ont fait grève en 1987 contre les CDD. A Stoke Newington, par exemple, le recrutement d'un salarié
intérimaire a entraîné un débrayage immédiat imposant l’embauche d’un salarié
permanent..
Une question parallèle est celle des stagiaires YTS (Youth Training Scheme) - similaire aux « emplois
jeunes » français. Le syndicat voulait accepter seulement des jeunes percevant le même
salaire que les autres employé(e)s, et ayant des contrats permanents. Il y eut une série de grèves
(de 23 semaines dans un des centres) et une campagne politique en 1987. Ces grèves ont beaucoup limité
le nombre de YTS introduits, et ont pu contraindre le gouvernement à garantir une embauche à la fin
du contrat du stagiaire.
En 1988, le gouvernement menaça d'utiliser les nouvelles lois contre le CPSA à
cause de sa campagne anti-YTS, jugée illégale. Pourtant en 1989 une série de grèves
au pays de Galles protestait contre des YTS proposés, et le gouvernement a accepté d'augmenter de
80 % la rémunération des stagiaires. Ces grèves étaient menées de front
avec une campagne de recrutement par le syndicat de ces mêmes YTS.
Organisation du travail
Il y eut des grèves contre la mutation obligatoire des salariés (compulsory transfer) et en 1987 et 1989 contre le
transfert de certains services à Londres vers des centres moins fortement syndiqués en province.
(Outstationing) En 1987 tous les centres de Londres firent
grève sur cette revendication. En 1989, l'annonce de la mise en place des agencies décentralisées
dans le ministère de sécurité sociale a déclenché une grève dans tous
les centres de Liverpool, dans 5 à Birmingham et 3 à Leicester. Une trentaine à Londres. Une des plus grandes grèves nationales
des années 1990, en novembre 1993, comptant plus de 200 000 grévistes, fut menée sur
une question d’organisation de travail, l’obligation d’appel d’offre (market
testing) mis en place par John Major.
Conditions de travail
Plusieurs grèves ont protesté contre la présence d’amiante dans les
locaux, mais la question qui a le plus mobilisé dans les années 1990 a été celle de
la protection des salariés contre les agressions. Les employés qui travaillent avec le public se
trouvent parfois en danger - c’est à eux d’informer les usagers qu’on a refusé une allocation, qu’il
manque des documents etc.
En 1996, l’employeur demanda à
certains employés du Benefit Agency de travailler dans un nouvel
environnement sans vitres de protection. Une longue grève a obtenu le droit pour le personnel existant de
refuser tout travail dans un environnement sans vitres de protection. Pourtant, ce droit ne s’appliquait pas aux
nouvelles recrues
En 2001-2002, l’employeur a voulu généraliser l’enlèvement des vitres.
Il s’en est suivi la grève la plus dure depuis 1987. 57 centres firent grève en continu, soutenu par des allocations du syndicat ;
des grèves nationales dans le Benefits Agency et le Employment Service (chaque fois de 2 jours) furent organisées,
et d’innombrables manifestations et réunions. En tout il y eut 300 000 journées de grève sur six mois, avec un pic
de 40 000 grévistes le 12 et 13 décembre 2001. Le compromis résultant étendait
à tous les employés (y compris les nouvelles recrues) le droit de refuser de travailler sans vitres.
Egalement, il restera certains bureaux avec vitres, pour des procédures particulièrement délicates
(demande de l’aide d’urgence etc.). La grève fut perçue comme une épreuve de force majeure,
l’employeur voulant, selon la direction syndicale, « casser le
syndicat ». Des non-grévistes furent dispatchés
de bureau en bureau afin de démoraliser les grévistes dans chaque ville.
Grèves de défense des syndiqués
Pour la campagne salariale de 1981,
les 867 000 journées de grève pour l'augmentation salariale
furent suivies de 65 000 journées de grève pour protester contre les suspensions d'employés
non-grévistes qui avaient refusé de faire le travail des grévistes.
D'autres grèves vont dans le même sens. Au pays de Galles à Cwmbran,
une grève éclair s'est déclenchée en 1987 lorsque le directeur du centre a récompensé
deux non-grévistes de congés supplémentaires. Et après la longue grève de 2001-2002
au sujet des vitres de protection, il y eut à Londres une grève de 48 heures pour défendre
un des représentants du personnel, Chris Ford, sujet à une procédure disciplinaire concernant
les piquets de grève pendant la grève. Sept centres furent fermés.
Les grèves pour protéger des syndiqués contre des représailles
de l’employeur sont intéressantes car elles soulignent la faiblesse de l’analyse qui prétend que
les cols blancs se limitent à des grèves « utilitaristes » impliquant peu de conscience collective. En réalité, préserver
le cadre organisationnel du syndicat implique nécessairement d’autres conflits.
Grèves ‘politiques’
Dans les années 1980, même après que de telles grèves devinrent
illégales, il y eut dans le DSS plusieurs grèves de type «politique». La plus marquante fut le cas du GCHQ. Le gouvernement a annoncé en janvier
1984 que les employés civils au centre de surveillance militaire GCHQ à Cheltenham n'auraient plus
le droit d'adhérer à un syndicat (et qu’ils recevront à la place une indemnité de £1 000
chacun) Cette
grève compta 121 400 journées de grève en 1984, 115 000 en 1985, 9 900 en 1986. (Employment Gazette août 1986)
Finalement, après avoir attendu quatre ans, le gouvernement décida de licencier
les 18 syndiqués restants. Une journée de grève dans toute la fonction publique ferma 80 %
des centres de sécurité sociale dans le pays. Les grèves semblent avoir dissuadé Mme
Thatcher d’étendre à d'autres centres l'interdiction de syndicat. Le Sunday
Times écrit «The government
is unlikely to want another affair of this type.» Tony Blair redonnera
le droit de se syndiquer aux employés de GCHQ.
Il y eut d’autres grèves de solidarité avec le secteur privé. En 1982,
lors d’une grève de soutien aux infirmières les centres de la sécurité sociale à
Glasgow, à Coventry et à Birmingham, furent fermés. Cette grève de solidarité
mobilisa des travailleurs de tous les secteurs de l'économie. En 1988, le gouvernement fut plus sévère.
Le syndicat a été poursuivi en justice, et a dû payer une amende de £500 000 après
avoir appelé à une grève de solidarité avec les travailleurs dans les hôpitaux.
En 1993 à Bedminster, un Job centre (ANPE) entama une grève pour signifier
leur refus de chercher des candidats pour des emplois à une usine locale, vacants à cause d’un lock-out.
Leur déléguée syndicale fut licenciée pour avoir organisé une grève illégale ;
une longue campagne de grèves et de meetings n’a pas réussi à obtenir sa réintégration.
Ou une grève pouvait être organisée par solidarité avec les usagers.En
1986, lors de l'introduction de procédures rigoureuses pour déceler les «faux
chômeurs», Le centre de sécurité sociale à
Brighton fit
grève une journée pour rejoindre une manifestation de chômeurs. En 1989 trois centres de sécurité
sociale à Londres firent une grève de protestation (illégale) quand l'employeur leur a demandé
de réduire les allocations des chômeurs qui ont refusé de payer la Poll Tax . Dans de nombreux
centres, des grèves eurent lieu lors de la visite au centre des équipes «anti-fraude», les Specialist claims squads. (Cumbernauld en 1982, Archway en 1986. A Exeter en 1982 et à Crosby en 1989, les
employés firent grève en apprenant la visite de «leur» ministre des services sociaux. .
Racisme
D’autres grèves «politiques» concernaient le racisme. A Kensington en 1986, une employée noire a été
suspendue après avoir été interrogée par la police, sans être inculpée. Ses collègues,
soupçonnant du racisme, se sont mis en grève pendant 4 semaines pour protester, sans demander l’aval
de la direction syndicale, qui les soutint plus tard. Tous les centres du Sud Ouest de Londres ont participé
à une grève de soutien d'une journée.
Trois centres ont débrayé pendant 15 jours contre des projets administratifs
qui auraient obligé les employés à noter l’origine ethnique des demandeurs d’emploi, les syndiqués considérant que
des dérives racistes étaient possibles. La majorité des grévistes étaient des
femmes blanches (Sunday Telegraph
19/1/86). Le projet fut abandonné.
En 1987, le Department of Employment porta plainte contre le CPSA et obtint une interdiction
de grève contre ces contrôles ethniques, grève jugée « politique »
donc illégale.
Skeggs
La plus importante des grèves sur la question du racisme fut la grève en 1988
contre Malcolm Skeggs, un membre dirigeant du Front National britannique. Les employés travaillant au centre
de Hither Green (à majorité blancs) où il fut embauché votèrent la grève
par 22 contre 3. La grève dura trois mois. La direction décida de muter Skeggs dans un centre
de documentation, mais 34 des 38 bibliothécaires débrayèrent sur le champ, sans demander l'avis
de la direction syndicale.
La direction du syndicat appela à une grève générale des fonctionnaires
de Londres pour une journée afin de soutenir les grévistes de Hither Green qui impliqua 15 à
20 000 grévistes (Financial Times
26/5/88) Ensuite Skeggs fut transféré à un petit bureau où il ne travaillait pas avec
le public. Cette décision a arrêté le mouvement de grève.
Grève
ddConclusions La nature du syndicalisme de ces employés
Les
quelques chercheurs qui se sont exprimés sur les conflits sociaux des employés des administrations
ont souvent conclu que leur syndicalisme était d’une nature particulière, peu combative, et qu’ils
étaient aptes à se mettre en conflit pour une gamme plus restreinte de revendications que les ouvriers
dans l’industrie. Ils feraient preuve d’un esprit plus individualiste et utilitariste que les cols bleus.
Kelly
(1980 :136) tira comme conclusion de son étude des syndicats de la fonction publique britannique que
le mécontentement au sujet des salaires constitua l’unique raison de la montée de ces syndicats et
de leur tournant vers l'action revendicative.
Les grèves étudiées ici tendent au contraire à démontrer
que ces employés peuvent se mobiliser pour toute la gamme des revendications traditionnellement attribuée
au mouvement ouvrier, et peuvent faire preuve d’une conscience collectiviste très développée.
La distribution des différents motifs de grève suit d’assez près la
classification qu’a faite Coates des grèves ouvrières de 1964, ou l’étude de Durcan sur l’ensemble
des grèves au Royaume Uni de 1945 à 1975. Les grèves des employés de la sécurité
sociale sont typiques du mouvement ouvrier britannique. Deux points de différence sont pourtant à
remarquer. Ces employés, contrairement aux ouvriers dans l’industrie, n’ont pas été engagés
dans des grèves de conflit intersyndical de juridiction (demarcation strikes). Et les grèves en solidarité
avec les usagers (contre l’équipe «anti-fraude» par exemple), et certaines des grèves antiracistes ou politiques marquent
également un point de différence.
Il reste à faire quelques commentaires sur le déclin de l’action revendicative
dans les années 1990, déclin qui tient de plusieurs raisons. Les lois Thatcher-Major ont rendu bien
plus difficile l’organisation d’une grève légale, tout comme l’ont fait les différentes mesures
de décentralisation et de précarisation.
Il
est devenu obligatoire de déposer un préavis de grève, et de procéder par voie postale à
une consultation de tous les employés. Plus important, toute grève légale devait désormais
être directement liée aux conditions de travail des grévistes - les grèves de solidarité
n’étaient plus autorisées. La multiplication des services autonomes a rendu bien de grèves
illégales.
Un
deuxième effet est crucial - la consultation obligatoire des employés au sujet d’une grève a souvent
remplacé la grève comme moyen de pression des représentants syndicaux. Il est souvent suffisant
que la consultation vote la grève pour convaincre l’employeur de faire quelques concessions. (TUC 1998)
Troisièmement, le déclin en combativité de ce secteur suit un déclin
similaire dans l’ensemble du mouvement ouvrier britannique, qui a vu, à la fin des années 1990, le
niveau le plus bas de grèves depuis cinquante ans.
Quatrièmement, le gouvernement de Tony Blair, tout en continuant en grande partie
les priorités des gouvernements précédents surtout en ce qui concerne le partenariat entre
le secteur public et le secteur privé, a néanmoins trouvé plus d’argent pour les revendications
salariales des fonctionnaires.
Enfin, la domination de la direction nationale du syndicat de 1988 à 2000 par le
groupe « Moderate » peu enclin à utiliser l’arme de la grève est à la
fois un résultat et une cause du manque de combativité. L’alignement de ce groupe sur les priorités
politiques de Tony Blair signifie évidemment qu’ils ont peu envie de se mettre en conflit contre ‘leur’
gouvernement. Mes contacts ont considéré que la direction syndicale constituait le frein le plus
important pour la combativité.
Il semble que la situation est en train de changer. L’élection d’une présidente,
d’un secrétaire général et enfin d’un comité exécutif de gauche (« Left Unity ») est arrivé en parallèle
avec un certain regain de combativité, symbolisé par la grande grève pour les vitres de protection
en 2001-2002. Il est par ailleurs à remarquer que le réseau syndical reste très solide, et
dans une situation de remontée de conflit aura de grandes possibilités d’intervenir.
Sources : Presse
La grande presse quotidienne (Times, Daily Telegraph, Guardian, Financial
Times) et les
périodiques suivants :
Employment Gazette, journal statistique du Ministère
de l’emploi. J’y ai cherché notamment les statistiques sur le nombre de journées de grève
lors de chaque grand conflit.
Red Tape, journal bimensuel du CPSA.
Socialist Worker, hebdomadaire d’extrême gauche.
Window et (à partir de 1991) Benefit Agency News - journal interne du DSS, édité par l’employeur pour les salariés.
Viewpoint : journal de la section DSS du CPSA.
Interviews
John McInally, Rob Williams, comité
exécutif PCS.
Joel Hirsch, PCS
Archives des syndicats CPSA et PCS.
Bibliographie
Coates K et Topham T 1988 Trade Unions in Britain Londres, Fontana
Durcan J, McCarthy W, Redman G 1983 Strikes in Post-war Britain Londres, Allen et Unwin
Kelly Michael P 1980 White-Collar Proletariat, Londres, Routledge
Mackenzie WJM et Grove JW Central Administration
in Britain Longman's Green London 1957
Mailly R, Dimmock S.J. Sethi A S (dirs)
Industrial Relations
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