De toute évidence, l’événement
du printemps 2011 a été l’exposition
« Georges Brassens et la liberté » à
la Cité de la Musique. Après Jimi Hendrix, Pink
Floyd, John Lennnon, Serge Gainsbourg, voici
donc le grand Georges, qui est mort voici trente
ans (en 1981, déjà, un an après Lennon),
illustré, scénarisé (et mis en musique aussi)
par Joann Sfar – dessinateur, cinéaste – et
Olivier Daviaud (arrangeur notamment d’Higelin,
Bénabar). L’affiche de l'exposition donne le
ton : Brassens-l’athlète parade en Marcel
sans sa guitare, une pipe incendiaire à la
bouche – celle-là rajoutée, clin d’œil je
suppose à Tati/Mr Hulot dont l’affiche avait été
caviardée par la cinémathèque-anti-tabac.
Le génie de Brassens est
d’avoir séduit plusieurs générations d’auditeurs
avec des chansons souvent pas faciles (réécouté
à la Cité de la Musique un concert à Bobino de
1969 où il chante les Quatre z’arts !)
mais aussi populaires (la liste est longue d’un
répertoire passé maintenant dans le patrimoine),
parfois égrillardes ou paillardes dans la
meilleure tradition du genre, mais surtout d’une
très grande sensibilité. Curieusement, par
modestie sans doute face aux
« Anciens » (les Villon, Hugo,
Verlaine, Apollinaire), Brassens ne se pensait
pas poète. C’est même de là que vient sa
vocation de chanteur. Il se disait
« artisan de la chanson », autodidacte
passionné de littérature, ciselant chaque mot,
chaque vers afin d’atteindre à une sorte de
perfection, ce que montrent bien ses manuscrits
préparatoires (L’orage). A dire vrai,
on se fiche bien de ce qu’il pensait être ou ne
pas être car son écriture est bien de la
poésie et il paraît à peu près certain
que parmi toute cette génération des
« chanteurs à textes » des années
50/60 (Ferré, Brel, Barbara, Ferrat, Béart etc),
il est celui qui restera - classiquement
indémodable - comme un poète. Peut-être aussi a
t-il su faire passer des idées - le pacifisme et
l'antimilitarisme, une certaine forme de
libertarisme, un humanisme jovial - sans jamais
être lourd et prétentieux. Personnellement, la
seule chanson de Brassens que je déteste est "Les
deux Oncles", même si elle ne doit pas
être prise au premier degré (elle est sans doute
plus subtile qu'il n'y paraît à la première
écoute). Mourir pour des idées ?
Pourtant, le talent de Brassens
est aussi musical. Il a inventé un style
aisément reconnaissable, s’affranchissant vite
de ses influences revendiquées (Trenet, qu'il
connaissait par cœur), tricotant sur sa guitare
d’invraisemblables séries d’accords et composant
quelques unes des mélodies les plus entêtantes
de la chanson du XXème siècle. Ce n’est
d’ailleurs pas un hasard si nombre de musiciens
de jazz ont repris Brassens, qui a longtemps été
accompagné à la guitare par Joel Favreau, au style
assez jazz. Le dernier musicien de jazz à avoir
interprété Brassens est l’excellent guitariste
manouche Christian Escoudé et son Au
bois de mon cœur.
C.Escoudé (qui joue aussi sur ce disque avec
Biréli Lagrène, invité de luxe) a fait vraiment
un choix de cœur qui passe par des chansons
parfois un peu moins connues (La princesse
et le croque notes, superbe) et par des
« incontournables » jazzy tels Les
copains d’abord.
Brassens a aussi la chance
d'avoir été traduit et chanté hors de nos
frontières (Paco Ibáñez canta Brassens est un
classique du genre et Paco est vraiment à
l'unisson de Georges). La génération des
chanteurs à texte qui ont émergé dans les années
1970 ont aussi pris Brassens pour modèle et
référence, jusqu'à enregistrer (et jouer sur
scène)- tel Maxime Le Forestier - toutes ses
chansons.
Bref,
l’exposition retrace très bien le parcours
personnel et artistique de Brassens, de la
jeunesse sétoise pas très catholique à la
consécration des années 1960/70, en passant par
le STO, les débuts au cabaret chez Patachou,
tout cela avec une profusion de documents
photographiques et sonores, d’archives, de
films, de dessins et quelques instruments
d'époque bien sûr. Dans les petits films (8mm?)
tournés par Brassens, on y voit apparaître non
sans une certaine émotion ce mode de vie un peu
foutraque et anarchiste, d’un inconfort qui
fleure (bon ?) le Paris populaire des
années 50 ou même encore des années 30. Dans ce
bazar hétéroclite émergent les animaux, les amis
(et quels amis! Gibraltar, René Fallet, ah ben
non pas Pierre Perret, tiens), Jeanne et son
mari - drôle de ménage à trois - et l’amante
discrète, la ronde Pupchen. Le contraste est
étonnant avec le Brassens bête de scène au
music-hall, toujours impeccable (je l’ai vu ,
mais oui, sur scène en 1972 à Bobino !),
concentré et suant à grosses gouttes, au jeu de
scène réduit à de simples clignements d’œil
(ou…de moustache) et des sourires complices. Le
public était aux anges, si j'ose dire.
Le seul (mince) reproche que
l’on peut faire à cette exposition, par ailleurs
tout à fait adaptée aux plus jeunes générations
qui ne vont pas s’y ennuyer, n’est pas son
manque de clarté, mais son manque de lumière. On
baigne dans une lumière tamisée, avec des
tentures noires et une impression finale
d’étouffement (surtout qu’il y a du
monde !) : nous voilà aux antipodes du
ciel d’azur de la plage de Sète.
Vous envierez un peu
l'éternel estivant
Qui fait du pédalo sur la plage en rêvant
Qui passe sa mort en vacances
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