BIENVENUE DANS LES ARCHIVES  

 

 



 

Billet de juin 2009

Gordon Brown, le Premier Ministre britannique connaît une dramatique baisse de popularité. "La malédiction de Gordon Brown" titre le Point, revenant sur les scandales des notes de frais de certains parlementaires (et pas seulement travaillistes!). Tous les sondages le donnent bon perdant aux élections générales prévues en 2010 (celui du Sunday Telegraph place même les Travaillistes loin derrière les Libéraux Démocrates). Six électeurs sur dix voudraient un scrutin anticipé à l'automne, dont le résultat ne laisse guère place au doute. Quant aux européennes du 7 juin, le pire est arrivé pour le New labour, à l'un de ses étiages les plus bas du siècle (15,7), passé derrière le très europhobe UK Independant Party (16,5). Nous sommes aujourd'hui à des années-lumière du raz-de-marée blairiste de 1997 et le paysage politique britannique prend des couleurs inquiétantes : le British National Party capitalise en effet près d'un million de voix.

portrait officiel du site http://www.number10.gov.uk/

Revenons brièvement sur la carrière (1) de celui qui a longtemps été dans l'ombre de Tony Blair et qui n'a pas connu l'état de grâce de son (plus) charismatique prédecesseur. Cadet d'une famille de trois enfants, fils d'un pasteur de l'Église presbytérienne, Gordon Brown a eu très tôt le goût du combat sportif (le football, le rugby, où il perd l'usage d'un œil en 1967) et surtout des études. Surdoué, il brûle les étapes: étudiant en histoire à Édimbourg à l'âge de seize ans, il est “recteur” des étudiants de l'université de 1972 à 1975 et obtient son doctorat en 1982 sur l'histoire du Labour écossais dans les années 1920. Maître de conférences dans cette même université puis professeur à Glasgow, il travaille ensuite pour Scottish T.V. jusqu'à son élection en 1983 à la Chambre des Communes. Son engagement politique date de ses années étudiantes et repose sur une conscience aiguë de la pauvreté et des inégalités, ce qu'il synthétise dans le livre Scotland, The Real Divide: Poverty and Deprivation in Scotland, écrit en 1983 avec Robin Cook, futur titulaire du Foreign Office (1997-2001) dans le gouvernement travailliste. En pleine période thatchérienne, il se lie d'amitié avec un autre jeune parlementaire, Tony Blair: on les appelle alors “les frères jumeaux”, tant ils paraissent inséparables. Gordon Brown devient l'un des artisans de la rénovation du Labour, sous la direction de Neil Kinnock, puis de John Smith. Converti au libéralisme social de la “troisième voie”, il opère un recentrage du parti et un dépoussiérage idéologique: il réactualise des thèmes abandonnés aux conservateurs, comme l'insécurité, l'identité nationale, l'immigration, la mondialisation. Il fait ses classes au sein du “cabinet fantôme” comme secrétaire d'État (au Trésor, au Commerce et à l'Industrie), puis comme chancelier de l'Échiquier (en 1992), où il rassure, par son pragmatisme, les milieux économiques et financiers. À la mort brutale de John Smith en 1994, il apparaît comme un leader naturel. On a beaucoup glosé sur un hypothétique accord (dit de Granita, du nom d'un restaurant londonien) passé avec son ami Tony Blair sur le partage des rôles dans la conquête du pouvoir. Quoi qu'il en soit, la victoire électorale de 1997 doit beaucoup à ce travailleur infatigable, bon connaisseur des dossiers, qui va se révéler un rouage indispensable de la politique travailliste des “années Blair”.
Ce qui frappe en effet chez Gordon Brown, ce sont ses capacités de travail hors du commun: son exceptionnelle longévité au poste de chancelier de l'Échiquier constitue aussi la preuve qu'il a su se rendre indispensable. En dix années de ministère, il a non seulement imposé un style, mais une vision globale de l'économie, où l'État se veut à la fois l'arbitre impartial des relations sociales et le moteur d'un libéralisme régulé. Pour les milieux d'affaires, les années Brown constituent une période de prospérité sans précédent depuis 1945, qui permet notamment à la City de s'imposer comme la première place financière d'Europe. Attaché à la livre sterling et refusant d'adopter l'euro, le chancelier qui a rendu l'indépendance à la Banque d'Angleterre promeut une culture du résultat, qui vise à l'efficacité et au contrôle étroit des dépenses publiques. Le “miracle anglais” qui a fait de l'ancien "homme malade de l'Europe" un modèle compétitif et attractif a eu son revers: développement de bulles spéculatives (notamment dans l'immobilier!), coût de la vie exorbitant dans les régions les plus dynamiques, inégalités sociales et régionales en net accroissement, services publics en déshérence malgré l'argent public injecté depuis 2002, disparition de pans entiers de l'industrie nationale. Le débat sur le "modèle anglais" a été curieusement inversé en France : les socialistes se sont méfiés de Blair, jugée trop atlantiste et social-libéral, les libéraux au contraire y ont vu un continuateur plus glamour que Mrs Thatcher de la politique menée par les Conservateurs.

Si Gordon Brown ne devient pas plus vite calife à la place du calife, c'est peut-être en raison de sa réputation bien établie d'avoir un caractère ombrageux, d'être susceptible et rancunier, de manquer de charisme. Les plus critiques l'ont décrit dans sa fonction ministérielle comme un homme arrogant et cynique, parfois brutal. Au temps de la communication politique et des médias tout-puissants, il est certain que l'image “cool” de Tony Blair a contrasté avec celle, nettement plus psycho-rigide, de son ministre des Finances. Toutefois, certains de ses biographes jugent ce portrait caricatural; l'homme est certes réservé, mais il est aussi très cultivé, séduisant et drôle, courageux et volontaire, moins superficiel que son ex-alter ego. Reste à convaincre les Britanniques de toutes ces qualités.

En juin 2007, Brown parvient enfin au poste tant convoité de PM, fort d'une réputation d'excellent gestionnaire mais toujours peu à l'aise en public et avec les médias, plus habitués au bling bling (relatif) de Tony. L'état de grâce dure quelques semaines, grâce notamment à une bonne gestion des menaces terroristes qui pèsent sur Londres et à une communication personnelle en net progrès (il est vrai en jouant sur une série de drames familiaux).

En effet, le nouveau Premier ministre perd assez vite la confiance des Britanniques : sa cote de popularité s’effondre et les élections locales de mai 2008 constituent une déroute historique pour le Labour (24% des voix, derrière le parti libéral démocrate et loin derrière le parti conservateur). Dans une conjoncture économique de plus en plus difficile, marquée par la crise du crédit immobilier et par la récession, Gordon Brown apparaît souvent indécis et fragilisé par ses échecs. Même s’il tente de relancer les grandes réformes de structure – comme celle du service national de santé (NHS) –, et même si la nationalisation de Nothern Rock (mars 2008) apparaît comme une mesure courageuse, son avenir politique apparaît compromis. A dire vrai, c'est toute la bulle spéculative des années Blair qui s'est d'un coup dégonflée, plongeant le pays dans un marasme qui nous ramène sur certains plans à la fin des années 70 et au début des années 80. En 2006, 11,4 millions de Britanniques vivaient sous le seuil de pauvreté, ils sont près de 14 millions en 2009 selon BBC-news. Comme si tout cela ne suffisait pas, les scandales se succèdent, faisant certes les délices de la presse de caniveau, mais laissant un amer goût de fin anticpée de règne (scandale des notes de frais, affaire Smeragate etc). Mais qui fait donc le poids face à Gordon Brown ? Le très chic conservateur David Cameron plaide pour une refonte totale du système de Westminster pour entrer dans "l'âge post-bureaucratique" :

"Si nous voulons que le Parlement soit le véritable moteur de la responsabilisation, nous devons montrer qu'il n'est pas qu'une créature de l'exécutif", écrit-il. "L'objectif central de la nouvelle politique dont nous avons besoin doit être une redistribution massive, profonde et radicale des pouvoirs : de l'Etat vers les citoyens, du gouvernement vers le Parlement (...), des juges vers le peuple, de la bureaucratie vers la démocratie."

Une profession de foi que n'aurait pas tout à fait reniée le Blair de 1997 qui lui même ne reniait pas grand chose de Mrs Thatcher. Sentant le danger, Gordon Brown a - fin mai - promis "une réforme radicale du système politique britannique" mais dans un sens nettement anti-tories, stigmatisant le "club des gentlemen" et les vieilles idées libérales du XIXème siècle. Mais on ne voit pas encore bien ce qu'il ya derrière cette "réforme radicale" ou ce "renouveau constitutionnel" : une république ???

Il est possible dans ces conditions que le Labour se cherche en urgence un nouveau leadership, ce qui rendrait alors la brève expérience au sommet de Gordon Brown réellement pathétique. Si c'est peu probable - le remède serait pire que le mal - on doute fort que Gordon Brwown rebondisse après cette annus horribilis...

(1) le billet reprend certains éléments de notre biographie de Gordon Brown publiée dans Encyclopaedia Universalis. On pourra lire sur Internet sa biographie officielle.

 

 

 

 

 

 

 

   
      © Les sites Berlemon sur le Net depuis 1998