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Billet septembre 2009

Dans la France occupée de 1940, Shosanna Dreyfus assiste à l'exécution de sa famille tombée entre les mains du colonel nazi Hans Landa. Shosanna s'échappe de justesse et s'enfuit à Paris où elle se construit une nouvelle identité en devenant exploitante d'une salle de cinéma.
Quelque part ailleurs en Europe, le lieutenant Aldo Raine forme un groupe de soldats juifs américains pour mener des actions punitives sanglantes contre les nazis. "Les bâtards", nom sous lequel leurs ennemis vont apprendre à les connaître, se joignent à l'actrice allemande et agent secret Bridget von Hammersmark pour tenter d'éliminer les hauts dignitaires du Troisième Reich. Leurs destins vont se jouer à l'entrée du cinéma où Shosanna est décidée à mettre à exécution une vengeance très personnelle...

Tel est l'improbable synopsis du film de Quentin Tarentino, Inglourious Basterds, qui revisite le film de guerre, non sans références appuyées au To be or not to be de Lubitsch mais aussi à un certain cinéma de série B (le réalisateur italien Enzo Castellari et Quel maledetto treno blindato, 1978). Pas vraiment chez Tarentino de subtilités (sauf celles qui relèvent de la cinéphilie, Pabst, Riefenstahl, Clouzot etc), mais une farce grotesque et assumée comme telle, d'une veine comique relevant du grand guignol, à la violence parfois - mais rarement - insoutenable. L'historien est évidemment déconcerté devant un tel ovni, dont il serait absurde de critiquer le scénario abracadabrant(esque). Il n'est pas question évidemment de comparer le projet de Tarentino avec celui de Spielberg pour La liste de Schindler ou le soldat Ryan. Le réalisateur ne cherche pas à raconter une histoire vraie de la Seconde guerre mondiale ni même une histoire probable, mais il nous propose une histoire fantasmée, entièrement déconstruite selon une logique d'inversion des valeurs. Les agents exterminateurs sont juifs et les "victimes" sont des nazis, les SS (scalpés!) et in fine - dans une scène étonnante - la fine fleur du Reich : Goebbels, Bormannn, Goering et...Hitler ! Le cinéaste se donne ainsi, devant des spectateurs un peu médusés, la capacité de changer le cours de l'histoire, jusqu'à attribuer à quelques improbables aventuriers, dont Aldo Raine joué par Brad Pitt, le pouvoir de réaliser ce que Von Stauffenberg et ses amis militaires ont malheureusement raté en juillet 1944 : tuer Hitler et ses sbires. En même temps, il parvient à rendre à peu près crédible cette histoire d'une naiveté confondante: tout sonne faux et vrai à la fois. En alternant longs dialogues polyglottes (dans la taverne, les plans sont presque interminables) et scènes ultra efficaces à-la-sauce-Tarentino (plus rares que prévues, les fans seront déçus du voyage), Inglorious Basterds a de quoi déconcerter le spectateur peu familier du cinéaste de Pulp Fiction. Car il s'agit bien ici au fond d'une pulp fiction, une bande dessinée qui renvoie à la culture des comics autant qu'au cinéma. Les décors d'ailleurs donnent le ton : il ne s'agit pas d'une reconstitution, même approximative, mais d'un paysage volontairement très fantaisiste de la France occupée. La première séquence (très efficace, par ailleurs) fait un peu penser à un western au fin fond d'une France rurale de carton-pâte...

Dans cet affrontement inédit et inconnu des livres d'histoire, le rôle du (très) méchant est tenu par le nazi Hans Landa (Christophe Walz, prix d'interprétation à Cannes), qui porte presque à lui seul le film, les basterds mercenaires n'ayant pas beaucoup de consistance psychologique et c'est dommage. Caricature du SS sadique et manipulateur, intelligent et cultivé, parlant plusieurs langues, il s'autoproclame fièrement "chasseur de Juifs" mais il apparaît finalement comme un cynique prêt à se vendre aux vainqueurs de la guerre. Une attitude qui renvoie certes à une réalité (d'anciens nazis ont travaillé après guerre pour les Américains ou les Soviétiques), mais qui efface aussi la part de fanatisme idéologique dans l'antisémitisme nazi. A l'aise dans les archétypes cinématographiques, Brad Pitt fait furieusement penser à Brando dans le Parrain (ou à Clark Gable?) mais affublé d'un indécrottable accent du Tennessee, et l'espionne--actrice allemande renvoie à une Marlène Dietrich jouant dans un Guitry. On s'amuse bien dans les citations et les références, mais au bout du compte, le film laisse perplexe. Ce brillant divertissement , plébiscité semble t-il par un public assez jeune, a t-il une quelconque vertu pédagogique, à l'instar du Dictateur ou de To be or no to be ? Ou relève t-il d'un exercice de style assez vain, appliqué à une période de l'histoire qui regorge déjà de stéréotypes et de caricatures cinématographiques (résistance, collaboration, batailles) ? On pencherait pour la seconde option si la scène finale - l'incendie du cinéma et l'exécution du gotha nazi - ne nous mettait pas dans une certaine jubilation. Cette vengeance doublement conduite (par la jeune juive Shoasanna et par les basterds, sans se concerter) a une vertu libératoire. Les libertés prises avec l'histoire trouvent finalement leur sens lorsque le méchant nazi, qui croit s'en sortir à bon compte, est marqué lui aussi de l'empreinte indélébile de l'abjection (la croix gammée gravée sur son front). Façon de dire, l'air de rien, que tout cela n'a pas été un rêve ou plutôt un mauvais rêve. Ni une simple pochade cinématographique.

 

 

 

 

 

   
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