ARCHIVES

 

 

 


 

LE CLIVAGE DROITE-GAUCHE OBSOLETE ?

L' alternance droite-gauche est un classique de l’histoire politique française, et cela depuis la séance du 28 août 1789 à l'Assemblée constituante, où s'engage le débat crucial à propos du droit de veto sur les pouvoirs exécutif monarchique. A la suite de cette séance en effet, l'Assemblée se sépare en côté gauche et droit. Les partisans du veto allant s'asseoir à la droite du président de séance, les adversaires "dans la partie opposée". Cette séparation rendit ainsi plus aisé le calcul des voix dans le vote "assis/levé" qui était alors en cours. Au 19ème et au 20ème siècles, la France ne connaît donc pas de bipartisme à l'anglo-saxonne mais une alternance droite/gauche, dont le sens évolue fondamentalement au moins à deux reprises, en 1898 (avec l’Affaire Dreyfus) puis en 1944/45 (à la Libération), jusqu’à devenir une sorte de casse-tête politique au XXème siècle et au début du XXIème siècle. Ce sens a t-il évolué une troisième fois en 2017 avec la percée du centrisme de la République En Marche, ni à droite ni à gauche ?

Définir la droite et la gauche est un travail complexe et les historiens (René Rémond, Michel Winock entre autres) ont préféré penser en termes de pluralité des droites et des gauches. Pour le 19ème siècle, René Rémond a pu distinguer trois grands courants de droite, un courant légitimiste, un courant orléaniste, un courant bonapartiste, auxquels s'agrège un quatrième courant néonationaliste (les ligues de la fin du siècle). En réalité, si ces mouvements ont fini par disparaître, se marginaliser ou rallier la République (ainsi les catholiques), ils ont gardé un socle qui n'a jamais tout à fait disparu. D'abord par nature, la droite est conservatrice donc peu changeante, moins  en tous cas que la gauche : c'est un ensemble finalement assez stable, à fortes permanences, et pas en perpétuelle recherche idéologique. Ensuite, les divisions de la droite recouvrent bien souvent des antagonismes de personnes (ainsi entre les figures légitimistes, orléanistes ou bonapartistes) et la figure du chef est centrale. Enfin la droite a des valeurs qui se stabilisent sous la Restauration : elle est catholique, contre-révolutionnaire,  anti-égalitaire et fondamentalement holiste (au sens où elle place les droits de la société au-dessus sinon contre l'individu), autant que la gauche peut de son côté prôner l'individualisme, dont le radicalisme est l'expression le plus aboutie. Après 1945, la droite traditionnelle se relève difficilement de la pédiode de Vichy, mais elle reprend le pouvoir sous de nouvelles formes, ainsi le gaullisme, qui se veut au-dessus des partis mais qui ne peut s'en affranchir tout à fait ou le libéralisme giscardien de l'UDF. La progression d'une "droite nationale" (la "quatrième droite" qu'incarne le Front National) depuis les années 1980 sur des thèmes souverainistes, xénophobes et populistes, fragilise une droite parlementaire néo-gaulliste qui se fracture de plus en plus jusqu'à la Bérézina électorale de 2017.

A la Belle Epoque, Jean Touchard puis Michel Winock distinguent - comme René Rémond pour la droite - trois gauches qui se sont constituées dans la deuxième moitié du 19ème siècle : la gauche radicale, la gauche socialiste et la gauche anarcho-syndicaliste. Ces « trois gauches » des années 1900 sortent du moule républicain - au 19ème siècle, être républicain c'est être de gauche! - avec une « conscience de gauche », qui pourrait se résumer à quelques lignes de force : une certaine idée de la République, une adhésion aux principes de la démocratie politique et sociale, un anticléricalisme viscéral, une certaine forme d'antimilitarisme et de pacifisme (moins peut-être chez les radicaux, mais ce n'est pas toujoursv vrai), un anticapitaliste qui vise surtout les « gros » et les « riches » (« le mur d'argent », « les 200 familles »).
A partir de là il existe un bagage commun minimal, des radicaux les plus modérés,  - très habitués aux allées du pouvoir - aux socialistes révolutionnaires, qui veulent renverser le pouvoir en place. Ce socle est composé de traditions et de références accumulées par strates successives : les Lumières, la Révolution française (en bloc ou en morceaux), 1830 et 1848, la Commune, le 16 mai 1877, l'Affaire Dreyfus. Cet héritage doit être complété par l'influence de certains hommes « de gauche », moins d'ailleurs des théoriciens (Saint-Simon, Fourier, Cabet, Proudhon n'ont plus guère d'écho et Marx ne séduit guère que les Guesdistes avant 1900) que des figures charismatiques, à l'orientation littéraire et philosophique, ainsi Voltaire, Michelet, Hugo. Quant aux « politiques », même avec le recul, les Républicains démocrates n'aiment pas trop leur ériger des statues : ni Gambetta ni Ferry ni Clemenceau n'ont  l'aura d'un Victor Hugo, le premier de la IIIème République à repeupler le Panthéon laïc et cela bien avant Jaurès. En 1920, la gauche socialiste éclate (la SFIO et la SFIC, qui devient le PCF) et le bloc de gauche va alterner entre divisions mortifères et rassemblements unitaires fugaces mais puissants (le Front Populaire en 1936, l'Union de la Gauche en 1981).

Si l'on tente d'établir une rapide chronologie du balancier droite/gauche en France depuis 1815, cela pourrait donner ce résumé politique évidement très schématique :

1815-1848 : nettement à droite, avec une orientation plus libérale de 1830 à 1848.
1848-1852 : d'abord très à gauche (février-avril) puis à droite toute.
1852-1870 : ni à droite ni à gauche ? L'empire est à gauche (démocratie et suffrage universel, aspects socialistes saint-simoniens) et aussi à droite (régime autoritaire, poids de l'Eglise, libéralisme économique).
1870-1879 : plutôt à droite (sauf l' insurrection révolutionnaire de la Commune de Paris, qui elle est très à gauche).
1880-1898 : plutôt à gauche car il y a l'affirmation républicaine, mais avec des périodes plus conservatrices (ainsi dans les années 1890).
Le boulangisme lui va se situer nettement à droite et même refonder la droite.
1898 : l'Affaire Dreyfus recompose les Alliances et accentue le clivage droite/gauche (gouvernement de défense républicaine), la « France radicale » du début du siècle se situe nettement  à gauche, même si elle est conservatrice sur certains plans (l’ordre, le travail, la propriété).
En 1914 la France est à gauche et vote à gauche (poussée socialiste en 1914, le président du conseil en 1914 René Viviani est socialiste et féministe, co-fondateur de L’Humanité. Il crée en 1910 le Parti républicain socialiste).
1914-1918 : Union nationale dite Union sacrée, ni gauche ni droite. Patriotisme valeur partagée.
1918-40 : plutôt une alternance, tendance générale à droite mais Cartel des Gauches (1924-26 et 1932) et le Front Populaire (1936-38), deux périodes très à gauche.
1940-44 : Vichy, résolument  à droite sinon à l’extrême droite, mais rallie aussi d’anciens transfuges de la gauche syndicale, socialiste et communiste.
1944-46 : le GPRF est nettement à gauche, même si les gaullistes s’en défendent.
1945-54 : la IVème est plutôt de centre-gauche, sauf en 1952-54.
1958-81 : plutôt à droite, avec le gaullisme et le néo-gaullisme pompidolien, le libéralisme giscardien (à droite ou au centre?).
1981-1995 : à gauche, mais avec des périodes de cohabitation avec la droite (4 années en tout) et une poussée très sensible de l'extrême-droite.
1995-2012 : à droite.
2012 : à gauche à nouveau... et en 2017 ?

Comme on peut le voir, il n'y a guère eu de place dans cette histoire politique pour le "Marais" centriste...Le centre, dont Jean-Pierre Rioux est l'historien le plus avisé, a peut-être eu son heure de gloire en 1965 (la candidature Lecanuet, qui n'a guère eu de prolongements) ou encore en 1974 avec la société libérale avancée de VGE (mais la coalition parlementaire est restée ancrée à droite), voire en 2007 où le démocrate-chrétien François Bayrou a réussi avec son Modem une remarquable - et éphémère - percée. Le mouvement République En Marche d'Emmanuel Macron rallie plusieurs composantes politiques : le centre chrétien et européen, la droite démocrate et libérale, la gauche socialiste (très) modérée, non sans emprunts très appuyés du président au radicalisme - la symbolique franc-maçonne - comme au gaullisme de gouvernement. Cela en fait-il un mouvement "centriste" ou alors une coalition hétéroclite et pragmatique, profitant du délitement des grands partis de la droite et de la gauche parlementaires ? Il est un peu tôt encore pour répondre à cette question. Face à la montée en puissance de cette force politique nouvelle et peu structurée idéologiquement s'est dressée une gauche républicaine dite "insoumise", en référence directe aux mouvements révolutionnaires qui ont forgé la gauche depuis 1789, et cela sans renier 1793 et encore moins 1848 ou la Commune de Paris. Il s'agit en effet pour Jean-Luc Mélenchon, un ancien sénateur socialiste en rupture de ban, de refonder la "vraie" gauche ainsi que la République (la VIème, sensée corriger les défauts de la Vème gaullienne) face à ce qu'il considère comme la droite et non un improbable centre. Deux visions de la France s'affrontent à nouveau, même si la vision national-populiste et souverainiste incarnée par le FN n'a pas pour autant disparu du paysage politique. Cet affrontement rappelle à l'historien du politique la façon dont Victor Hugo s'est présenté aux électeurs de Paris en juin 1848, ravivant la peur du rouge (à l'époque il est encore orléaniste et l'agitation ouvrière et socialiste lui fait peur) et proposant comme horizon indépassable une République modérée, prospère, apaisée, ouverte au monde et à l'Europe mais en même temps habitée par une sorte de destinée manifeste...Relisons donc Hugo :

« Mes concitoyens,
Je réponds à l’appel des soixante mille électeurs qui m’ont spontanément honorés de leurs suffrages aux élections de la Seine. Je me présente à votre libre choix. Dans la situation politique telle qu’elle est, on me demande toute ma pensée. La voici :
Deux républiques sont possibles.
L’une abattra le drapeau tricolore sous le drapeau rouge, fera des gros sous avec la colonne, jettera à bas la statue de Napoléon et dressera la statue de Marat, détruira l’Institut, l’école polytechnique et la légion d’honneur, ajoutera à l’auguste devise : Liberté, égalité, fraternité, l’option sinistre : ou la Mort ; fera banqueroute, ruinera les riches sans enrichir les pauvres, anéantira le crédit, qui est la fortune de tous, et le travail, qui est le pain de chacun, abolira la propriété et la famille, promènera des têtes sur des piques, remplira les prisons par le soupçon et les videra par le massacre, mettra l’Europe en feu et la civilisation en cendres, fera de la France la patrie des ténèbres, égorgera la liberté, étouffera les arts, décapitera la pensée, niera Dieu ; remettra en mouvement ces deux machines quine vont pas l’une sans l’autre, la planche aux assignats et la bascule de la guillotine ; en un mot, fera froidement ce que les hommes de 93 ont fait ardemment, et, après l’horrible dans le grand que nos pères ont vu, nous montrera le monstrueux dans le petit.
L’autre sera la sainte communion de tous les français dès à présent, et de tous les peuples un jour, dans le principe démocratique ; fondera une liberté sans usurpations et sans violences, une égalité qui admettra la croissance naturelle de chacun, une fraternité, non de moines dans un couvent, mais d’hommes libres ; donnera à tous l’enseignement comme le soleil donne la lumière, gratuitement ; introduira la clémence dans la loi pénale et la conciliation dans la loi civile ; multipliera les chemins de fer, reboisera une partie du territoire, en défrichera une autre, décuplera la valeur du sol ; partira de ce principe qui veut que tout homme commence par le travail et finisse par la propriété, assurera en conséquence la propriété comme la représentation du travail accompli, et le travail comme l’élément de la propriété future ; respectera l’héritage, qui n’est autre chose que la main du père tendue aux enfants à travers le mur du tombeau ; combinera pacifiquement, pour résoudre le glorieux problème du bien-être universel, les accroissements continus de l’industrie, de la science, de l’art et de la pensée ; poursuivra, sans quitter terre pourtant et sans sortir du possible et du vrai, la réalisation sereine de tous les grands rêves des sages ; bâtira le pouvoir sur la même base que la liberté, c’est-à-dire sur le droit ; subordonnera la force à l’intelligence ; dissoudra l’émeute et la guerre, ces deux formes de barbarie ; fera de l’ordre la loi des citoyens, et de la paix la loi des nations ; vivra et rayonnera ; grandira la France, conquerra le monde ; sera, en un mot, le majestueux embrassement du genre humain sous le regard de Dieu satisfait.
De ces deux républiques, celle-ci s’appelle la civilisation, celle-là s’appelle la terreur. Je suis prêt à dévouer ma vie pour établir l’une et empêcher l’autre."

Prochain billet mi octobre 2017 : une étude approfondie de la représentation philatélique de l'olympisme.

©Berlemon.net

 

 



 

 

 

© 2009-2017.