QUELQUES ELEMENTS BIOGRAPHIQUES SUR GABRIEL MONOD
Gabriel Monod est né au Havre, en 1844. Issu d'une famille protestante célèbre (descendant de pasteurs genevois), il entre à l'École normale supérieure en 1862, reçu premier à l'agrégation d'histoire en 1865 (devant Lavisse!). Il fonde la Revue historique en 1876, qu'il co-dirige avec le chartiste Gustave Fagniez. Ce membre de l'Institut de France, Directeur d'Études à la IVe section de l'École pratique des Hautes Études, Maître de conférence à l'École normale Supérieure, Professeur au Collège de France, se fait le défenseur d'une histoire positiviste (ou plus exactement d'une "histoire-science" dite méthodique) et prône le développement des sciences dites auxiliaires comme l'archéologie, l'anthropologie, la philologie comparée, l'épigraphie, la numismatique, la paléographie, la diplomatique. L'école méthodique a l'ambition d'imposer un recherche rigoureuse, sans spéculation philosophique et qui se fonde sur la critique rigoureuse des sources.
Même s'il considère après 1870 que la grandeur de la patrie ne doit pas être absente des préoccupations historiennes, Monod prend ses distances avec l'histoire et la géographie "nationalistes" (ainsi la génération des Renan, Taine, Fustel de Coulanges) et refuse de contribuer exclusivement à la construction idéologique d'un Etat-Nation. Pour lui l'Allemagne n'est pas une ennemie mortelle ; elle est avant tout un "vaste laboratoire historique" (et pas seulement d'érudition, de belles idées générales fondées sur de la science) et il n'a aucune raison d'en faire un repoussoir. Plutôt partisan de la Revanche jusqu'aux années 1880 pour "punir le crime de l'invasion prussienne", il devient après le boulangisme partisan d'un sage pacifisme et de l'amitié entre les deux peuples ennemis.
Sans être strictement politique, sa revue est en opposition à La revue des Questions historique, catholique et réactionnaire, tout à fait dans la ligne ultramontaine et légitmiste des années 1870. Elle accueille ainsi des protestants (beaucoup de protestants, ainsi le grand spécialiste des Gaules, Camille Jullian !), des Juifs, des Libre-penseurs et des franc-maçons. Les protestants et les FM forment un vrai lobby d'historiens influents, qui n'est pas pour rien dans le grand chambardement scolaire des années 1880. D'ailleurs Monod ne cache pas ses sympathies pour la république opportuniste. Aux obsèques de Gambetta, il défile ainsi précédé de la bannière "L'Histoire est une science maîtresse". Toute uné époque !
Monod demeure un grand admirateur de Michelet - dont il se fait le biographe rigoureux - et il défend comme son mentor une approche empathique du passé, qui n'est pas contradictoire d'ailleurs avec l'approche "méthodique". Former le citoyen rationnel, capable de comprendre le passé et de discerner légende et histoire, travailler pour le progrès du genre humain, faire aimer la patrie sans céder aux discours militaristes, assurer le lien entre les générations, tel est le discours programmatique de Monod.
Entre 1894 et 1897 il domine à la Rue d'Ulm du haut de sa chaire d'histoire médiévale et moderne (mais pas par son charisme professoral, assez terne), intéresse le jeune Péguy qui se lie d'amitié avec lui. Le professeur réputé s'engage pleinement en 1897 dans le camp dreyfusard, utilisant ses talents d'expert en archives pour étudier le fameux faux bordereau. Le 6 novembre 1897, dans une lettre publiée par Le Temps, il déclare sa conviction de l'innocence du capitaine et réclame la révision en niant qu'elle puisse être une insulte à l'armée : « Aucune honte ne saurait être attachée à une erreur consciencieusement commise et consciencieusement réparée ». Co-fondateur de la Ligue des Droits de l'homme, il publie, sous le pseudonyme de Pierre Molé, un Exposé impartial de l'affaire Dreyfus. La haine de l'Action française poursuit Gabriel Monod et Ch.Maurras persiste à dénoncer l'État-Monod et son « influence métèque », visant directement la communauté protestante, l'une des composantes pour Maurras de l'anti-France.
Il meurt en 1912 en laissant une oeuvre qui a sans nul doute changé la nature même de la discipline historique en France. Si elle domine l'enseignement jusqu'aux années 1940 voire même 1960, c'est surtout dans sa version pédagogique developpée par Lavisse - à base de galerie de héros et de combats exemplaires, ce qui n'est pas tout à fait le projet initial de Monod - mais il ne faut pas négliger son versant universitaire,représenté par les enseignements de Langlois et de Seignobos en Sorbonne et prolongé un peu plus tard par l'Ecole des Annales.