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OCTOBRE 2011

 

séisme au Sénat

 

Difficile en cette rentrée politique 2011 de ne pas s'intéresser au "séisme politique" (dixit la presse) que constitue l'arrivée d'une majorité de gauche au Sénat. Selon Lionel Jospin, qui aimait bien les formules, le Sénat était devenu sous la Vème République une "anomalie de la démocratie". De fait, la gauche n'a jamais beaucoup aimé cette Chambre haute, considérée comme conservatrice voire rétrograde, incarnation d'une "France profonde" passéiste et frileuse et représentative du...troisième âge. Cette critique récurrente de l'âge des sénateurs (un train de sénateur, disait-on...) n'est pas infondée puisque l'âge moyen était avant le renouvellement actuel de 60 ans (contre 55 ans pour la Chambre, pas des jeunots non plus). Les sénateurs ont simplement l'âge des nombreux baby boomers proches de la retraite.

Ce que voulait dire Jospin par "anomalie", c'est qu'il est anormal que l'alternance épargne systématiquement le Sénat, chambre qui serait par nature hostile à certains progrès démocratiques. Il a pu vivre d'ailleurs dans les années 1981-86 puis 1988-93 la coexistence entre une chambre rose vif et un Sénat bleu pâle. Mais en matière de progrès et de leçons de progrès, la gauche sénatoriale n'a pourtant pas toujours été très inspirée, ainsi lorsque les radicaux s'obstinaient sous la IIIème République à repousser les projets de loi de la Chambre concernant le suffrage des femmes. Mais le contexte était celui d'un anticléricalisme militant et rural, où la peur d'un retour des droites monarchistes au pouvoir se mêlait à une misogynie très rad-soc.

Quant au "séisme politique", la Vème République en a vu d'autres. Ainsi, entre autres tremblements de terre de forte magnitude :

- 1962 : le projet de l'élection du président de la République au suffrage universel mobilise contre lui (et de Gaulle) une partie de l'Assemblée et surtout le Sénat, qui entre en résistance. (magnitude 7)

- 1965 : de Gaulle est en mis en ballotage. (5, mais 9 pour Charles de Gaulle)

- 1968 : les institutions sont quasi impuissantes face à la crise de mai, le régime menace de s'effondrer mais la dissolution de l'Assemblée permet d'assurer un raz de marée gaulliste aux élections législatives de juin. (9)

- 1969 : le Sénat est très opposé (et pour cause) à la réforme gaulliste qui veut sa mort et le référendum d'avril provoque la démission du général. (6)

- 1981 : l'alternance devient un tremblement de terre politique, sur un mode passionnel gauche/droite très français. (8)

- 1986 : Mitterrand ne démissionne pas après la défaite électorale et engage une cohabitation (la première, tendue) avec un gouvernement de droite (Chirac) (6)

- 2002 : Droite et extrême-droite au second tour de la présidentielle. (7)

Mais alors pourquoi avoir conservé un Sénat, vieux (et mauvais ?) souvenir de l'Empire puis de la Restauration ? La République démocratique et sociale, la vraie, celle des quarante-huitards, n'avait-elle pas choisi de faire l'impasse sur une deuxième chambre qui rappelait trop la Monarchie de juillet et les dérives autoritaires précédentes :

Chapitre IV
Du pouvoir législatif
Article 20. Le peuple français délèguele pouvoir législatif à une Assemblée unique.

(Constitution de 1848)

Rappelons succinctement l'histoire du Sénat, des "origines" révolutionnaires jusqu'à nos jours. Son ancêtre se nomme "Conseil des Anciens" (le bien nommé) selon les termes de la Constitution thermidorienne de 1795.

Conseil des Anciens

Article 82. - Le Conseil des Anciens est composé de deux cent cinquante membres.

(Constitution de 1795)


L'édifice institutionnel du Directoire est fragile et ne résiste guère à l'ascension de Bonaparte. Devenue le "Sénat Conservateur" sous le Consulat, puis l'Empire (1799-1814), la seconde Chambre napoléonienne est à l'image de la démesure romaine du consul puis de l'Empereur des Français. Cette Chambre Haute qui ne cache pas son jeu ("conservateur" à l'image du Sénat romain d'ailleurs) accumule les fastes et honneurs, composée des principaux soutiens du régime. Le Sénat comprend alors les princes princes de la famille impériale ayant atteint leur dix-huitième année, les titulaires des grandes dignités de l'Empire, les quatre-vingt membres nommés sur la présentation de candidats choisis par l'Empereur, sur les listes formées par les collèges électoraux des départements, les citoyens que l'Empereur juge convenable d'élever à la dignité de sénateur. Rien de très démocratique dans cette assemblée sur mesure.

Sous la Restauration (1814-1830), l'infléchissement ( relatif ) vers un régime parlementaire à l'anglaise fait de la "Chambre des Pairs" une réplique française de la Chambre des Lords.

“Nous avons enfin cherché les principes de la Charte constitutionnelle dans le caractère français, et dans les monuments vénérables des siècles passés. Ainsi nous avons vu dans le renouvellement de la pairie une institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les souvenirs à toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes.” Charte de 1814

Sous la monarchie de juillet (1830) de Louis-Philippe, la chambre des Pairs "s'embourgeoise" : une nouvelle classe de notables compose une partie de l'élite sénatoriale, qui désormais n'est plus héréditaire.

"Nous chercherons (...) un juste milieu, également éloigné des des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoir royal". (Louis-Philippe)

La Seconde République refuse on l'a dit de mettre en place une Seconde chambre, en dépit des modèles anglo-saxons existants (l'Angleterre parlementaire pour les Orléanistes ralliés, l'Amérique démocratique pour un Tocqueville), mais les tensions politiques entre le président Louis-Napoléon Bonaparte et l'Assemblée nationale ne sont pas étrangères au coup d'état du 2 décembre 1851. La Constitution de 1852 est clairement consulaire dans son esprit et ne laisse de doutes sur les orientations à nouveau très conservatrices de la Chambre haute :

    Article 20. 
    Le Sénat se compose : 
    1° des cardinaux, des maréchaux, des amiraux ; 
    2° des citoyens que le président de la République juge convenable d'élever à la dignité de sénateur.

    Article 21. 
    Les sénateurs sont inamovibles et à vie.

    (Constitution de 1852)

Le Sénat du Second Empire (1851-1870) constitue donc un retour à l'esprit du Sénat Conservateur, puis qu'il s'agit bien de restaurer le prestige impérial de l'Ancêtre, tout en favorisant le développement économique et financier du pays (plus question de guerre avec l'Angleterre, devenue un modèle socio-économique). On trouve ainsi un Eugène Schneider président de cette Assemblée très bonapartiste. Avec une opposition en exil (Hugo flamboyant), une presse sous haute surveillance, un Corps Législatif docile, l'Empire autoritaire de Napoléon III bride toutes les manifestations de la démocratie parlementaire. L'Empire libéral de 1870 prévoit pourtant un bicamérisme plus équilibré et une évolution incontestablement démocratique mais il n'a guère le temps de se mettre en place !

Il faut donc attendre les Lois Constitutionnelles de 1875 pour que soit institué en France un Sénat républicain (1875-1940), qui joue un rôle important sous la IIIème République. Le Sénat d'abord élit le président de la République avec la Chambre (d'ailleurs la présidence du Sénat sera souvent l'antichambre de la présidence de la République).

Loi du 25 février 1875 
relative à l'organisation des pouvoirs publics

Article 2.
Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible.

Loi du 24 février 1875 relative à l'organisation du Sénat

L'Assemblée nationale a adopté la loi dont la teneur suit :

Article premier

Le Sénat se compose de trois cents membres : deux cent vingt-cinq élus par les départements et les colonies, et soixante-quinze élus par l'Assemblée nationale.

En 1879, c'est un véritable séisme politique : le Sénat passe à gauche ! Ou plutôt il devient républicain, ce qu'il n'était guère de 1876 à 1879. Le renouvellement du premier tiers du Sénat fait élire en effet 66 sénateurs républicains, ce qui leur assure une majorité de 179 contre 121. Le président monarchiste (de la République!) Mac-Mahon doit démissionner. Toutefois, ce Sénat républicain va progressivement redevenir une chambre modérée sinon conservatrice et en tout cas peu juvénile (l'âge minimum légal est de 40 ans, c'est déjà vieux à l'époque)... Les radicaux militent d'abord pour sa suppression puis finalement s'en accomodent, d'autant qu'il a été un rempart efficace aux ambitions boulangistes à la fin des années 1880.

A la Libération (le Sénat comme la Chambre se sont sabordés en 1940 en votant les pleins pouvoirs à Pétain), la Constitution de 1946 réduit le rôle du Sénat, comme le marque symboliquement le nom de "Conseil de la République" jusqu'en 1958. Malgré le statut défavorable que lui confère la Constitution, la Seconde Chambre retrouve peu à peu son influence et gagne un rôle stabilisateur dans un système politique marqué par les incessants changements de majorités et de gouvernements.

Gaston Monnerville

Le système institutionnel de la Vème République restitue au Sénat sa place et son nom, même si le bicamérisme demeure très inégalitaire, au détriment logique de la Seconde chambre. On peut toutefois parler d'une restauration du Sénat, dans la mesure où celui-ci prend de plus en plus d'importance politique. De 1959 à 1968, le président du Sénat Gaston Monnerville, un ancien résistant d'origine guyanaise, aparaît comme un opposant résolu à la volonté gaulliste de brider le Sénat (il ne peut plus élire le président de la République à partir du référendum contesté de 1962) puis de le réformer voire de l'abolir (le référendum perdu de 1969). Son successeur, Alain Poher, va nourrir une image à la fois pateline et centriste du Sénat, qui s'incarne ensuite dans les présidences pépères de René Monory, de Chritian Poncelet (toutefois un gaulliste dit de gauche) et de Gérard Larcher, qui ne semble pas ravi de lâcher "son" perchoir. De toute évidence, le Sénat se pose en organe modérateur d'un exécutif parfois empressé et autoritaire et d'une Chambre des députés trop souventi vélléitaire lorsqu'il s'agit de faire passer des réformes à la hussarde.

Le nouveau président, Jean-Pierre Bel (ou "Bel inconnu", mauvais jeu de mot de la presse qui trahit un parisianisme assez méprisant) ne déroge pas à cette tradition, même s'il appartient au Parti socialiste et qu'il est un peu plus jeune que la moyenne de ses collègues. Le sénateur de l'Ariège, né en 1951, met en avant son attachement au terroir, à sa région (Midi-Pyrénées, l'Ariège) et à sa ville (Lavelanet, dont il fut maire), ses goûts sportifs (la randonnée et le rugby), incarnant bien l'ancrage rural (ou de petites communes) des sénateurs, version Sud-Ouest.

Lavelanet (Ariège), photo mairie de Lavelanet

Un séisme? A l'échelle sénatoriale, ce serait plutôt un glissement en douceur...

 

 

 

 

 

   
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