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"l'Europe des Beatles"
Le titre est ici à prendre au pied de la lettre. Il ne s'agit pas de (re)faire l'histoire des Beatles mais de s'interroger sur l'historicité du célèbre groupe pop dans l'Europe de la seconde moitié du XXème siècle. Partons d'un constat simple : les Beatles ont marqué des générations de jeunes Européens dans les années 60 et 70, au travers de leurs chansons et leurs musiques et plus largement de leur vedettariat exceptionnel. Les Beatles, stars britanniques mais aussi planétaires, ne peuvent être réduits à un épiphénomène de la société d'abondance des Trente Glorieuses ou un avatar de la culture de masse américanisée. Ils représentent un phénomène probablement unique au XXème siècle, qui est à la fois économique et social, médiatique et culturel, au sens le plus large du terme. Il serait assez vain de nier l'importance des Beatles et pourtant…peu d’historiens leur accordent la place qu’ils méritent dans l’histoire, non seulement de la musique populaire, mais du second XXème siècle. Il ne s'agit pas non plus d'alimenter un mythe en surestimant leur rôle, mais au fond, peut-on penser les années 1960 en Europe sans les Beatles ? Et peut-on aborder les décennies qui suivent en ignorant tous les mouvements sociaux et culturels qui sont les héritiers des Beatles, à travers leur musique ? Le premier questionnement concerne la genèse des Beatles dans l'Europe de l'après-guerre. Comment le phénomène Beatles est né dans cette Europe de la reconstruction et selon quelle logique – et y a t-il vraiment une logique dans leur éclosion ? Le deuxième questionnement est celui de l'anglicité ou de la britannicité du phénomène : les Beatles sont-ils un produit spécifiquement britannique, influencé par la culture américaine ou ont-ils une dimension spécifiquement européenne ? Le troisième questionnement concerne les Beatles comme éléments d'une mémoire culturelle européenne, aussi bien dans le bloc occidental que dans le bloc socialiste. Autant de problématiques qui mettent au coeur de l'histoire culturelle européenne, non pas tant les Beatles en tant que tels, mais le rock comme phénomène global de société, aux implications internationales. Les Beatles sont-ils un événement improbable ?
C’est donc assez logiquement dans l’Europe anglophone du Nord-Ouest qu’émerge le phénomène Beatles. On y relève une bonne connaissance de la musique populaire américaine (blues, jazz, rock’n’roll, rhythm & blues), une volonté d’imitation des vedettes de la culture populaire US. De plus, à la fin des années 50, c’est le début de la prospérité et la fin de la pénurie en Europe occidentale. You’ve never had it so good proclame en 1958 le Premier ministre anglais Macmillan en 1958, alors que règne le plein emploi ; c’est aussi la période où se développent les médias audiovisuels, le transistor et surtout la télévision. La Beatlemania, phénomène anglais, britannique européen, occidental, mondial ? (non, pas galactique !)
Les dirigeants communistes — se sont-ils bien renseignés sur la réputation du groupe ?— prennent soudainement conscience du potentiel subversif de cette culture, et ne renouvelleront plus l'expérience avant longtemps. En août 1968, les troupes du Pacte de Varsovie investissent Prague après le "printemps" libéral de Dubcek et sont médusées par ce qu'elles découvrent : des jeunes filles en minijupes, des jeunes garçons aux cheveux très longs et en jeans, la guitare à la main, chantant des airs pop. En quelques mois, Prague avait pris des allures de Swinging London, en somme s'était occidentalisée. Une évolution que la "normalisation" ne pourra jamais totalement arrêter. La même année 1968, les Beatles parlent de l'Union soviétique dans une chanson intitulée Back In the USSR qui connaît un énorme succès de Moscou à Vladivostok grâce au "recopiage" des musiques et des textes, aux disques plus ou moins piratés qui circulent dans le pays. Le système D est utilisé pour diffuser le rock hors des canaux officiels (qui le répriment) : enregistrements sur bandes magnétiques d’émissions de radio captées en grandes ondes, gravures de « flexidisques » que l’on peut facilement cacher sur soi et revendre à la sauvette. Même si les Beatles ne sont jamais allés en Union soviétique et même si la chanson n'est qu'une anodine parodie d'un vieux rock américain, Back In the USSR a largement contribué au développement d'une culture rock alternative dans la « patrie du socialisme ». Sur l’influence des Beatles dans le « bloc de l’Est » et singulièrement en URSS, il reste beaucoup à écrire ! Quoiqu'il en soit, les jeunes français, anglais, allemands, qui commencent à se rencontrer dans les années soixante à travers les voyages linguistiques, les correspondances, les jumelages, n'ont pas à trouver les points communs entre Shakespeare, Molière et Goethe : la conversation peut naturellement se faire sur le dernier disque des Beatles, et toute la convivialité que cela suppose (guitares, chansons, émotions et souvent fumeries). A travers les disques, la télévision, la radio, le cinéma, la presse, les concerts et la mondialisation des communications et des échanges, les Beatles sont non seulement devenus des vedettes dans le monde occidental développé, mais aussi dans le Tiers Monde (les Beatles se produisent à Manille, sont célèbres dans toute l'Asie et l'Amérique latine, passent sur la radio officielle cubaine etc.) et dans les pays communistes européens. C’est vrai aussi dans l’Asie anglophone, ainsi Salman Rushdie parle t-il dans ses livres du choc qu’a été à Bombay l’écoute de la pop music et des Beatles dans les années 60. Les Beatles après les Beatles : une mémoire européenne ou une mémoire planétaire?
En grande partie grâce aux quatre jeunes gens de Liverpool, la musique rock a durablement et profondément transformé la culture du monde occidental, bien au-delà de ses bases géographiques britanniques et américaines. Une "révolution culturelle" a bien eu lieu, mais sur le plan historique, il faut nettement distinguer la « vieille Europe » de la jeune Amérique. Aux Etats-Unis, le rock est devenu une part du mythe américain, tout autant qu’un pan de l’histoire américaine, assumé et revendiqué, avec ses héros et ses martyrs, ses leaders et ses troupes de fans. « Etre américain, écrit Leslie Fiedler, l’auteur du Retour du peau-rouge (1971), à la différence d’être anglais, français ou quoi que ce soit d’autre, consiste précisément à s’inventer un destin plutôt qu’à l’hériter, puisque nous avons toujours été, dans la mesure où nous sommes américains, habitants non pas de l’histoire, mais du mythe…» |
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