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MAI/JUIN 2014

LA COMMUNE DE PARIS

Enfin le livre classique de R.Tombs traduit!

Enfin...! Notons cependant qu'aucun "grand" éditeur français d'histoire n'a cherché à sortir ce livre qui n'a pourtant rien d'un pamphlet libertaire. C'est en effet le "petit" éditeur Libertalia qui s'en est chargé, après avoir publié en 2013 La Commune n'est pas morte, Les usages politiques du passé, de 1871 à nos jours d'Eric Fournier. L'ouvrage de R.Tombs se situe à la fois dans le sillage universitaire de J.Rougerie (le précurseur), de W. Serman et même d'A.Corbin (avec une écoute plus "sensible" et régionaliste des Communards, qui rejoint celle de Stéphane Trayaud dans Les Limousins de la Commune de Paris, Au Petit Editeur (!), 2012) et dans celui d'une riche tradition anglo-saxonne d'études sur le 19ème siècle français. A dire vrai, ce professeur à Cambridge n'est pas un inconnu et il a déjà été traduit en français, ainsi La Guerre contre Paris, 1871 (aux éditions Aubier, 1998).

La France aurait-elle malgré tout un problème avec sa mémoire communarde, tout comme avec sa mémoire coloniale ou avec celle de la période de Vichy ? Mémoires plurielles et conflictuelles, certes, mais faut-il attendre que les Anglo-saxons défrichent les jachères de notre histoire - et encore, à la condition de diffuser leurs travaux dans notre langue ?!? Je pense notamment au livre de Roger V.Gould, Insurgent Identities: Class, Community and Protest in Paris from 1848 to the Commune (Univ. of Chicago, 1995), à celui de S. Hollis Clayson, Paris in Despair: Art and Everyday Life Under Siege (1870-71), Univ.of Chicago 2002, ou encore de Martin P. Johnson, The Paradise of Association: Political Culture and Popular Organizations in the Paris Commune of 1871 (Univ. of Michigan Press, 1996), de A.Boime, Art & the French Commune - Imagining Paris after War & Revolution (Univ.of Princeton, 1997), de David Barry, Women and Political Insurgency, France in the Mid-Nineteenth Century (Univ.of Durham, Macmillan 1996). N'en jetez plus ! Y a-t-il autant d'historiens français qui ont travaillé sur la civil war américaine (1860-1865) ?

Lors de la célébration du centenaire de la Commune en 1971 - nous étions alors dans les années Pompidou - on aurait pu envisager un revival et le début d'une nouvelle entreprise historiographique autant que mémorielle. Dépouiller les nombreuses archives encore enfouies, écrire des thèses d'Etat et pourquoi pas au passage débaptiser quelques rues Thiers au profit de rues Gustave Courbet ou de rues Louise Michel...! Ce fut plutôt un chant du cygne (E.Fournier). Le Parti communiste a très largement occupé le terrain communard, ce qui a eu pour conséquence, selon certains militants anarchistes/trotskystes, d'en faire - durablement - un domaine historiquement sinistré. Jacques Duclos fut l'artisan d'une mobilisation politico-historique, qui voulait faire un peu oublier les errances et les désillusions de 68. On pouvait lire dans l'Humanité du 24 mai 1971 : "Paris, hier, célébrait sa Commune. On a toujours dit qu'elle n'était pas morte. Chacune des cent années qui se sont écoulées depuis que tomba la dernière barricade a bien prouvé que c'était vrai. Cela semblait hier plus vrai que jamais. Il y avait de la République au Père-Lachaise tant et tant de drapeaux qu'ils faisaient comme une longue écharpe écarlate, avec des taches de bleu et de blanc : les drapeaux du socialisme et les drapeaux de la nation que tenaient les mêmes mains, les mains solides de la classe ouvrière, les mains nerveuses de la jeunesse". De son côté, Emmanuel Fleury relançait pour l'occasion l'Asssociation des Amies et Amis de la Commune, un groupement qui existe depuis 1882 (la Société fraternelle des anciens combattants et des amis de la Commune) et le retour des bannis. [Cette association publie aussi un bulletin trimestriel, souvent d'un grand intérêt historique]. Mais ce qui a été le plus marquant en 1971, ce furent d'une part le succès populaire de la chanson de Jean Ferrat sur La Commune et d'autre part la synthèse publiée au Seuil par Jacques Rougerie, Paris libre 1871. Jean Ferrat n'a jamais caché ses sympathies communistes mais il n'en reste pas moins que cette chanson - composée par Ferrat et écrite par Georges Coulonges à la gloire des Communards - mais aussi hommage à Jean-Batiste Clément - a permis un authentique redécouverte de ce drame national, bien au-delà des opinions partisanes. Quant à Jacques Rougerie, il est devenu après la publication de Paris libre (réédité avec une nouvelle préface en 2004) l'un des rares spécialistes français de la Commune et on pourra retrouver un certain nombre de ses articles essentiels sur son site internet. C'est aussi en 1971 que Bernard Noël a publié son Dictionnaire de la Commune, réédité en 1978 puis en 2001 mais jamais vraiment remplacé.

 

Depuis une quinzaine d'années, on ne peut pas dire que la Commune ait beaucoup fait parler d'elle. On entre selon E.Fournier dans le temps de l'apaisement mais aussi du déclin. L'historiographie est restée assez confidentielle et les nouvelles pistes de réflexion trop rares dans nos universités. Les manuels scolaires ont été le reflet de cette relatif désintérêt. Autant l'histoire de Vichy et de l'occupation allemande ont été sérieusement révisées à la lecture de Paxton, Marrus, Azéma, Rousso, Baruch (etc.), autant celle de "l'année terrible" (1870-71) n'a pas connu de grand bouleversement. " Le 18 mars 1871, Paris, qui a voté socialiste et anarchiste, se dresse contre l’Assemblée. Des élections municipales désignent le Conseil général de la Commune qui prétend (sic) instaurer une République sociale. Retirés à Versailles, le gouvernement et l’Assemblée envoient une armée, commandée par Mac-Mahon, écraser les communards (21 au 28 mai)", telles sont les cinq lignes qui "résument" la Commune dans un manuel Hatier de 1ère en 2007...

Il y eut certes quelques expositions et des films pour maintenir le souvenir communard. Il se tint en 2001 à l'Assemblée Nationale, sous la responsabilité de son président Raymond Forni (un PS un peu atypique, originaire de Belfort) une présentation hétéroclite qui mêlait archives et peinture contemporaine (Monory, Pignon-Ernest, Fougeron entre autres) : "On débattra toujours de la Commune écrit alors Forni ; les uns pour y voir la déraison et le crime ; les autres pour y reconnaître la liberté et la résistance à l’ennemi ; mais aucun pour soutenir que ce fut un événement mineur. Rarement période si brève (une soixantaine de jours) donna lieu à tant de polémiques, encore vives aujourd’hui".

Dix ans plus tard, plusieurs expositions furent organisées par la Ville de Paris, sous la direction de l'historien Jean-Louis Robert - à l'Hôtel de Ville puis au Réfectoire des Cordeliers - en mars/juin 2011, à l'occasion du 140ème anniversaire. Il n'y eut malheureusement aucune publication d'un vrai catalogue (alors que le moindre artiste y a droit lorsqu'il expose au Palais de Tokyo !). Ces rétrospectives montraient notamment comment la Commune a été instrumentalisée dès son écrasement par les Versaillais, notamment à l'aide de l'image (photographies truquées, images des ruines à destination des "touristes" venus de l'Europe entière constater les dégâts occasionnés aux bâtiments parisiens). Le livre de Bertrand Tillier, La Commune de Paris, révolution sans image ? - Politique et représentations dans la France républicaine, 1871-1914, Champ Vallon, 2004, constitue sur ce plan une stimulante approche d'histoire de l'art et des représentations culturelles (le rapport complexe de la Commune aux images - photographie, peinture, sculpture - celle-ci étant littéralement "rejetée de l'art"). A cette exposition, il faudrait aussi adjoindre quelques belles réussites littéraires et artistiques à propos de la Commune : Le cri du peuple de Jean Vautrin illustré par Tardi (2004), le film-fleuve (près de 6 heures) très didactique mais hors norme de Peter Watkins, La Commune (Paris, 1871) en 2000. Mais oui ! Encore un Britannique iconoclaste, qui a su s'affranchir des mythologies révolutionnaires pour proposer un discours actuel sur la Commune ! Un réalisateur français aurait-il pu avoir cette audace,très éloignée des reconstitutions dite "historiques" ? (sur la filmographie complète de la Commune, voir cette page, l'un des autres films importants est celui de Ken McCullen en 1990).


Exposition "La Commune - 1871, Paris capitale... par mairiedeparis 

 

La Commune de Peter Watkins (1ère partie, 3h30)

L'histoire de la Commune de Paris n'est - il est vrai - pas facile à appréhender et à construire. Elle demeure une histoire à forte identité politique et sociale, l'un des principaux éléments structurants de la gauche socialiste et anarchiste depuis les années 1880, tout en restant un sorte de repoussoir pour la République modérée comme radicale. « Depuis le 18 mars, Paris est mené par des inconnus, ce qui n’est pas bon mais par des ignorants, ce qui est pire » écrit Victor Hugo qu'on ne peut suspecter d'anti-républicanisme. Clemenceau, alors maire du 18ème (Montmartre), ami proche de Louise Michel, déclare que "l’insurrection a un motif illégal. (…) Paris n’a pas le droit de s’insurger contre la France et doit accepter formellement l’autorité de l’Assemblée" et il cherche des solutions de compromis entre Versailles et Paris. Certes, les deux hommes plaideront avec force en faveur de l'amnistie des Communards, mais ils n'ont jamais vraiment soutenu le mouvement de mars. D'un autre côté, l'événement a dès 1871 fortement impressionné Karl Marx en raison de la profusion des décisions politiques prises par les Communards. Ainsi cette chronologie très synthétique et très précise tirée de La Guerre civile en France:

"Le 26 mars, la Commune était élue; le 28, elle fut proclamée; le Comité central de la garde nationale qui, jusqu'alors, avait exercé le pouvoir, le remit entre les mains de la Commune, après avoir aboli par décret la scandaleuse «police des mœurs» de Paris. Le 30, la Commune supprima la conscription et l'armée permanente et proclama la garde nationale, dont tous les citoyens valides devaient faire partie, comme la seule force armée; elle remit jusqu'en avril tous les loyers d'octobre 1870, portant en compte pour l'échéance à venir les termes déjà paves, et suspendit toute vente d'objets engagés au mont-de-piété municipal. Le même jour, les étrangers élus à la Commune furent confirmés dans leurs fonctions, car « le drapeau de la Commune est celui de la République universelle». Le 1er  avril il fut décidé que le traitement le plus élevé d'un employé de la Commune, donc aussi de ses membres, ne pourrait dépasser 6.000 francs. Le lendemain furent décrétées la séparation de l'Église et de l'État et la suppression du budget des cultes, ainsi que la transformation de tous les biens ecclésiastiques en propriété nationale ; en conséquence, le 8 avril, on ordonna de bannir des écoles tous les symboles, images, prières, dogmes religieux, bref « tout ce qui relève de la conscien­ce individuelle de chacun », ordre qui fut réalisé peu à peu. Le 5, en présence des exécutions de combattants de la Commune prisonniers, auxquelles procédaient quotidiennement les troupes versaillaises, un décret fut promulgué, prévoyant l'arrestation d'otages, mais il ne fut jamais exécuté. Le 6, le 137e bataillon de la garde nationale alla chercher la guillotine et la brûla publiquement, au milieu de la joie populaire. Le 12 la Commune décida de renverser la colonne Vendôme, symbole du chauvinisme et de l'excitation des peuples à la discorde, que Napoléon avait fait couler, après la guerre de 1809, avec les canons conquis. Ce qui fut fait le 16 mai. Le 16 avril, la Commune ordonna un recensement des ateliers fermés par les fabricants et l'élaboration de plans pour donner la gestion de ces entreprises aux ouvriers qui y travaillaient jusque-là et devaient être réunis en associations coopératives, ainsi que pour organiser ces associations en une seule grande fédération. Le 20, elle abolit le travail de nuit des boulangers, ainsi que les bureaux de placement, monopolisés depuis le Second Empire par des individus choisis par la police et exploiteurs d'ou­vriers, de premier ordre ; ces bureaux furent affectés aux mairies des vingt arrondissements de Paris. Le 30 avril, elle ordonna la suppression des monts-de-piété, parce qu'ils constituaient une exploitation privée des ouvriers et étaient en contra­diction avec le droit de ceux-ci à leurs instruments de travail et au crédit. Le 5 mai, elle décida de faire raser la chapelle expiatoire élevée en réparation de l'exécution de Louis XVI."

Sitôt tombée, la Commune est glorifiée sinon transfigurée par Marx, qui regrette toutefois l'absence d'un vrai leader, Blanqui ayant été une fois de plus emprisonné : « Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d'une société nouvelle. Le souvenir de ses martyrs est conservé pieusement dans le grand coeur de la classe ouvrière. Ses exterminateurs, l'histoire les a déjà cloués à un pilori éternel, et toutes les prières de leurs prêtres n'arriveront pas à les en libérer. »). Elle l'est aussi par Bakounine : « La Commune de Paris qui, pour avoir été massacrée, étouffée dans le sang par les bourreaux de la réaction monarchique et cléricale, n’en est devenue que plus vivace dans l’imagination et dans le cœur du prolétariat de l’Europe. » Enfin la Commune trouve dès 1876 son historien généreux et engagé, Prosper-Olivier Lissagaray, exilé à Londres et dont l'Histoire de la Commune (disponible en version numérique ICI) est traduite par Eleanore Marx, la fille de Karl (en 1886). La Commune devient alors un puissant mythe révolutionnaire, en dépit de ses faiblesses et de son échec patent. En 1921, Trotsky tente un parallèle avec la révolution d'octobre dans La Commune de Paris et la Russie des Soviet, Les Leçons de la Commune, qui est aussi une réponse aux écrits de Karl Kautsky, apologue de la Commune mais critique sans concession de la dictature bolchevique (Terrorisme et communisme, contribution à l'histoire des révolutions) : "La Commune de Paris de 1871, écrit Trotsky, a été le premier essai historique — faible encore — de domination de la classe ouvrière. Nous vénérons le souvenir de la Commune, en dépit de son expérience trop restreinte, du manque de préparation de ses militants, de la confusion de son programme, de l'absence d'unité parmi ses dirigeants, de l'indécision de ses projets, du trouble excessif dans l'exécution et du désastre effroyable qui en résulta fatalement. Nous saluons dans la Commune — selon une expression de Lavrov — l'aube, quoique bien pâle, de la première République prolétarienne." La Commune de Paris échoua écrit de son côté Rosa Luxembourg Tout le chemin du socialisme dans ses luttes révolutionnaires est couvert de défaites. Et, cependant, cette même histoire nous conduit pas à pas, sans arrêt, à la victoire finale. Comme le montre la polémique entre Trotsky et Kautsky au début des années 1920, la Commune embarrasse les gauches plus qu'elle ne les unit - marxistes, anarchistes, socialistes indépendants très divisés sur le sujet - et cela jusqu'aux années 1960 et les dernières illusions de nature communarde (la Commune de la Sorbonne, la Commune de Nantes...). Et justement, au milieu des années 1960, les éditions Gallimard proposent à Henri Lefebvre, intellectuel marxiste hétérodoxe et professeur de sociologie à Nanterre, de participer à la collection des "Trente journées qui ont fait la France" et d'écrire un livre remarqué sur La proclamation de la Commune (1965). On y sent comme un avant-goût de mai-68 ! Mais peut-être le dernier mot (?) revient-il aux situationnistes de Guy Debord : «Tout le monde a su faire de justes critiques des incohérences de la Commune. […] il est temps de considérer la Commune non seulement comme un primitivisme révolutionnaire dépassé dont on surmonte toutes les erreurs, mais comme une expérience positive dont on n'a pas encore retrouvé et accompli toutes les vérités » (Internationale situationniste, septembre 1969).

Détournement situationniste d'un tableau Pop de Roy Lichtenstein

Alors où sont donc les "vérités" de la Commune à la lecture (entre autres) de J.Rougerie et de R.Tombs ?

1.Le mouvement communal révolutionnaire n'a rien pour surprendre dans la capitale. Depuis le milieu du XVIIIe siècle, Paris est une poudrière, elle est "le bivouac de la Révolution", mais elle accouche en 1871 d'une révolution urbaine d'un type nouveau, dans la mesure où Paris s'est vu transformée sous l'Empire par l'haussmannisation. Paris détestait le Second Empire, comme l'illustrèrent les résultats des élections de 1863, de 1867 et 1869 ainsi que les nuits de violence en 1870, à l'annonce des résultats du plébiscite du 8 mai (Paris a voté NON). Napoléon comme Haussmann n'ont pu "normaliser" la capitale et la rendre inoffensive, ce qu'a bien compris Thiers installant le pouvoir à Versailles plutôt qu'à Paris : ce ne sont pas moins de 9000 barricades qui se seront dressées entre mars et mai 1871, avec un pic dans l'Est de Paris lors du mois de mai. Aux élections de février 1871, remportées par les monarchistes, Paris se distingue également : sur 43 députés, 33 sont des républicains plus ou moins radicaux et quatre des révolutionnaires. Le 26 mars les Parisiens élisent (les quartiers de l'ouest se sont abstenus et certains Parisiens aisés ont fui la ville) la Commune de Paris : les nouveaux élus sont responsables et révocables à tout moment et ils sont payés le même salaire qu’un ouvrier.

2. Paris était loin d’être "rouge" en 1871 : il y avait beaucoup d’indécis, de sans-avis, de silencieux, un Tiers parti neutre, conciliateur mais pas Versaillais, souvent bourgeois, favorable aux Communes municipales, fédéralistes, mais pas vraiment socialistes. Comme le souligne Tombs il faut prendre en compte tous " les neutres, les opportunistes et les ennemis " et ne pas négliger non plus la grande peur des milieux d'affaire et de commerce, qui font pression sur Thiers. De gauche (ou d’extrême gauche) la Commune ? Dans leur masse, les communards se seraient dits « républicains » (ce qui, il est vrai,  revient alors au même), et leurs chefs républicains jacobins, proudhoniens, républicains socialistes ou encore collectivistes nous dit Rougerie. Le Communard est-il une sorte de passéiste, sans-culotte attardé et nostalgique de 1848 ? C’est en tous cas encore typiquement un insurgé du premier 19ème siècle, à savoir un homme de travail, un citoyen travailleur. Or le travail, c’est ce qui définit en premier lieu le « Peuple » de Paris, un travailleur qualifié, éclairé, politisé : Napoléon Gaillard, un cordonnier devenu chef barricadier de la Commune se nomme lui-même « artiste chaussurier ». La Commune légifère d’ailleurs abondamment sur le travail. Mais  l’insurgé citoyen de 1871,  comme en 1793 et en 1848 est le défenseur d’une République inséparablement démocratique et sociale, associant de manière indissoluble liberté/égalité/Fraternité. C’est bien donc un "Républicain vrai", pas un communiste…En cela il est déjà bien un Républicain du XXème siècle.

3.La guerre civile de la Commune, c'est aussi et surtout une guerre entre deux armées. Après l'examen de la reconstitution d'une armée nouvelle par Thiers, R.Tombs compare les deux troupes, versaillaise et fédérée, leurs méthodes, leur style de vie. Il présente une armée fédérée terriblement humaine, mal préparée à l'affrontement militaire, mais qui ne manque pas d'efficacité sinon de pensée stratégique (la garde nationale, les barricades, mais pas unisquement). Quant aux Versaillais, il montre comment une armée est composée avec le but précis de mater efficacement une insurrection ouvrière : limogeage des éléments suspectés de fraternisation communarde, interdiction de la de la presse ennemie dans les rangs versaillais, recrutement d'éléments ruraux, étude (par l'espionnage, généralisé et efficace) des positions militaires des fédérés, discipline rigoureuse et surtout un traitement confortable pour les soldats, ceux-ci étant de surcroit bien nourris, ce qui n'était pas sans importance après les horreurs du Siège.


4. Les femmes ont eu un rôle non négligeable dans l’insurrection, qu’on a longtemps minimisé. Aujourd’hui, il est reconnu (trop selon certains qui pensent qu'on surévalue leur rôle, un rôle très bien précisé par R.Tombs), à travers l'engagement le 11 avril du Comité central de l’Union des Femmes (cantines, soins aux blessés, ambulances, fabrication d’uniformes pour la garde Nationale. Bataillon de femmes, La légion des fédérées du XIIème arrondissement, la Société l’Education Nouvelle. Chaque combattante est vue par l’ennemi comme une « pétroleuse », une incendiaire de Paris. Les Communardes sont dominées par leur sexe fou, les vices sexuels…On compare l’institutrice Louise Michel à Théroigne de Méricourt dans une incroyable hystérie anti-communeuse, lourde de fantasmes masculins (on pense à l'épuration après la guerre de 39-45, dans un contexte toutefois inversé). Là aussi, il faut remercier les gender studies anglo-saxonnes, ainsi Carolyn Eichner, "Surmounting the Barricades : Women in the Paris Commune" (Indiana University Press, 2004) qui décrit trois figures de femmes illustrant le pluralisme socialiste et féministe de la Commune de Paris : Elisabeth Dmitrieff, Paule Mink, André Léo.

5. La "semaine sanglante" atteste par sa brutalité que les civils sont bien devenus des cibles militaires, augurant là bien des évolutions du XXème et XXIème siècles. Cette semaine tragique demeure du reste un épisode dont on peine à faire le bilan exact. On connaît bien le nombre de prisonniers (43 522) et de condamnations (10 137, 93 à mort, 4586 au bagne en Nouvelle Calédonie) mais par respect des martyrs, on n’a jamais osé contester le nombre de victimes ou le sens de la répression versaillaise. Robert Tombs estime qu'elle a fait 10 000 victimes (Mac Mahon en avouait 17 000, Rougerie en estimait lui 30 000, ce qui paraît trop élevé). R.Tombs montre que les massacres ne sont pas imputables à la férocité de soldats paysans alcooliques et détestant la ville, mais que la responsabilité en revient entièrement à des chefs militaires bonapartistes et royalistes pour la plupart, qui voient dans le Paris insurgé le repaire des classes dangereuses, qu’il faut purger radicalement. L'historien y développe aussi une analyse intéressante sur les logiques de la violence politique en France. Mais pour lui « La réalité eut peu de rapports avec les discours parlementaires de Thiers [pour justifier le massacre auprès des Républicains] La répression fut atroce et démesurée ».

6. La République de Paris est de toute évidence une utopie, au sens d’un rêve non réalisé, mais réalisable. La Déclaration au Peuple français de 19 avril 1871 est ainsi votée à l’unanimité moins une voix, programme conçu par Delescluze et Vallès. Certains n’y ont vu qu’un amalgame improbable entre le proudhonisme et le jacobinisme, mais il faut le lire aussi à travers cette exigence quasi libertaire depuis 1789-94 puis juin 1848 (date bien oubliée) d’une démocratie directe et d’un contrat social démocratique. Quelle forme donner au fond à un gouvernement du peuple qui émane du peuple, sans être oppresseur du peuple ? La Commune s’appuie donc sur une tradition républicaine communaliste, que la Révolution de 89 n’a jamais reniée complètement et qui s'est d'ailleurs réactivée en province en 1870-71 (Communes de Marseille, Lyon, Le Creusot, Saint-Etienne, Toulouse, Narbonne). Le très Jacobin Robespierre ne disait-il pas le 11 mai 1793 : « Fuyez la manie ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner. Laissez aux Communes, laissez aux familles, laissez aux individus le soin de diriger leurs propres affaires et tout ce qui ne tient pas essentiellement à l’administration générale de la République » ! Napoléon a bien plus "inventé" la centralisation jacobine que Robespierre. Et c’est donc ce type de programme d’administration « par le bas » que la Commune va tenter d’appliquer, en opposition aux principes impériaux, avec ses préfets inquisiteurs et son pouvoir central omnipotent. D’ailleurs, l’assemblée communale élue a été soumise dans sa courte vie à la pression contante de la démocratie directe (efficacité relative évidemment) : "serviteurs du peuple » disaient certains comités de quartier, ne prenez pas de faux airs de souverains, ne vous pressez pas de juger et de décider au nom du Peuple, restez dans votre rôle de simples commis".
La Commune est donc d'une très grand modernité, au sens  où elle pose la question – non résolue – de la vraie souveraineté populaire en démocratie. Qu’est-ce qu’une démocratie qui serait « faussement représentative »  ? C'est incontestablement, au-delà des débats sur une "révolution sociale" ou une "révolution culturelle", une authentique révolution du peuple (par en bas et non pas en haut) qui s'appuie sur l'expression du suffrage démocratique.


Aujourd’hui, les historiens libéraux qui veulent réconcilier Marx et Tocqueville (ainsi P.Rosanvallon autour d' idées vaguement autogestionnaires) tendent à considérer que l’idée démocratique moderne est justement faite d’imperfection, de consensus et d’équilibre relatif, ce que la IIIème République va construire – contre l’utopie communarde - de 1871 à la fin du siècle. Mais ne peut-on pas voir autrement le problème et considérer que la démocratie vient du bas et non du sommet et que c’est là tout le problème. La IIIème République, pas plus que les républiques suivantes, n’ont su et pu, n’ont voulu sortir du moule centralisateur napoléonien. L'histoire de Paris depuis 1870 confirme bien cette analyse : plus de maires élus (les derniers furent Etienne Arago et Jules Ferry), retour du pouvoir politique et des assemblées à Paris en 1879, virage à droite de Paris à l’époque du boulangisme puis au tournant du siècle (vers 1900-1902). Il faut attendre 1977 pour que Paris se dote d’un maire élu (Jacques Chirac) et 1982 pour que soient créés de véritables mairies d’arrondissements…L’élection d’un socialiste à Paris en 2002 est alors un événement politique, car c'est un retour à gauche de la capitale, confirmé d'ailleurs en 2014 par l'élection d'Anne Hidalgo, qui succède à Bertrand Delanoé. Pourtant, les mémoires de la Commune finissent par quitter, non sans bizarrerie d'ailleurs, le domaine exclusif des gauches et le lieu symbolique du mur des Fédérés au Père-Lachaise (cf.Madeleine REBÉRIOUX dans Les Lieux de mémoire, t.1, Paris, Gallimard, coll. "Quarto", 1997, p. 535-558) pour devenir une "mémoire communale" partagée et...parisienne - rappelons qu'il y eut d'autres Communes en France. Le 19 avril 2000 est ainsi inaugurée par Jean Tibéri - un maire qui n'avait pas vraiment le profil communard! - une (petite) place  de la Commune-de-Paris, dans le XIIIe arrondissement, au coin de la rue de l’Espérance et non loin du siège de l'Association des Amies et Amis de la Commune.

Le 4 juin 2003, invoquant la mémoire de Georges Clemenceau, qui avait été maire  de Montmartre jusqu’au 26 mars 1871, et rappelant sa définition de la Révolution comme un bloc (la Révolution française, pas la Commune), le président du Sénat Christian Poncelet, un gaulliste dit de gauche, pose dans les jardins du Luxembourg, une plaque à la mémoire des insurgés de la Commune et déclare:

« Aujourd'hui, […] le Sénat, la Nation assemblée, réintègrent symboliquement dans le corps, dans le bloc de l'histoire nationale et de notre conscience républicaine les insurgés de la Commune, victimes de dénis multiples et nombreux dans leurs sanglants sacrifices. […] (Ils) ont toute leur place dans le bloc de notre histoire nationale.[…] Par ce geste symbolique, le Sénat leur rend aujourd'hui justice. »

Il y aurait donc une nouvelle lecture républicaine (et modérée) de la Commune, incluse désormais dans le "bloc" révolutionnaire français (1789-1795, 1830,1848, 1871...bientôt 1968?). Adolphe Thiers va t-il sortir de sa tombe...du Père Lachaise pour rejoindre, non loin de sa sépulture, les 147 fédérés ?

 

 

 

   
 

 

 

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