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Lire mon billet sur le 10 mai 1981

 

 


 

 

Le 8 mai, fête de la Libération de 1945

Chronique : La Libération, une renaissance ?
           

Michel Debré écrit dans ses Mémoires : « Soutenue par l’espérance d’un peuple, la Résistance rêvait d’un gouvernement  épuré par l’épreuve, de dirigeants animés par un élan vers le bien public, d’une nation solidaire, d’une société juste, d’une France puissante ».
On ne saurait mieux résumer de la part d’un gaulliste historique ce qu’a été l’espoir du peuple français – autant que celui du peuple résistant - dans un moment à la fois difficile et glorieux, la Libération de la France. De Gaulle y voyait même en 1944 « une révolution, la plus grande de son histoire [que] la France a commencé à accomplir (…) pour construire une société plus juste et plus sociale ».
            « La Libération », au sens strict et avec une majuscule, c’est l’action militaire de Libération du territoire français (métropole et colonies) par les troupes alliées – y compris les corps d’armée français – et par la résistance intérieure des FFI. Cette Libération militaire ne débute pas en 1944 (débarquements en Normandie et en Provence) mais en 1942 (Afrique du Nord) et en 1943 (Corse). Les opérations militaires de Libération sont symboliquement marquées par la Libération de Paris (24 et 25 août 1944), mais elles ne s’achèvent qu’en mars 1945, où les Allemands sont chassés du territoire national, sauf quelques poches qui tiendront jusqu’à la fin de la guerre, le 8 mai 1945. Sur le plan politique, la Libération s’accompagne d’un retour à la légalité républicaine, d’abord dans les « vieilles colonies » puis sur l’ensemble du territoire métropolitain (ordonnances du GPRF, 26 avril et 3 août 1944), même si de Gaulle ne proclame pas officiellement une République qui n’a jamais cessé selon lui de vivre en exil. Le 21 octobre 1945, le référendum constitutionnel donne quitus à l’Assemblée pour établir une République sur des bases nouvelles. 
            Il est d’usage aujourd’hui de parler de Libérations, afin de distinguer Libération armée, Libération politique, Libération fêtée, voire Libération contrariée, mais il y a bien dans ce mot et cette période un événement unique et non sécable, celui qui permet à la France de briser ses chaînes, de redevenir une démocratie et de retrouver le sens profond du mot « liberté » tant chanté par les poètes de la Résistance comme Aragon, Desnos, Eluard.

« Et par le pouvoir d'un mot/Je recommence ma vie/Je suis né pour te connaître/Pour te nommer/Liberté » (Eluard).

C’est là que le terme de « renaissance » (sans majuscule) prend tout son sens : il donne à la période une autre dimension chronologique, tout en appelant une réflexion sur un nouveau monde – régénéré par les forces de la Résistance - qui se profile.
            La Libération du territoire est en soi une renaissance : c’est le retour de la « France de toujours » selon de Gaulle, mais c’est aussi plus prosaïquement le retour de la liberté (de penser, de circuler, d’écrire, de voter) après plusieurs années d’occupation qui ont marqué les esprits : ne parle t-on pas des « années sombres », des « années noires » où les couleurs grisâtres laissaient peu d’espoir d’un monde nouveau, si ce n’est sous la botte nazie ? Les épurations qui précèdent le retour de la légalité et de la justice républicaines sont une façon violente et spontanée d'exorciser Vichy, qui a cru incarner – à travers la Révolution nationale et la soumission à l’occupant nazi – la renaissance française. Sortir de l’obscurité, retrouver la lumière. Les fêtes populaires de 1944 ont une dimension cathartique ; elles constituent aussi un moment rare dans l’Histoire de France, celui d’un peuple rassemblé dans une authentique et puissante émotion collective. La construction d’un nouveau mythe ? On peut toujours le soutenir, tant de Gaulle a œuvré pour héroïser la Résistance et l’identifier à la France, mais ce serait alors minimiser l’authentique sentiment collectif qui se manifeste pendant l’été 1944.
            La Libération a-t-elle permis à la France de renaître – et sous quelles formes – dans les premières années de l’après-guerre ? Il s’agit donc d’une acception large de la « période de Libération », qui peut se justifier à bien des égards : rôle et poids des Etats-Unis (ils sont bien présents à la Libération !), importance du Parti communiste et du général de Gaulle dans la vie politique française, achèvement des procès d’épuration, retour des déportés etc. De plus, la Libération suscite un certain nombre d’espoirs et un fort désir de renouveau, notamment des classes dirigeantes, ce que formalise le CNR dans son beau programme de mars 1944 (lire le texte dans notre chronique de juin 2010), puis les Constituants dans l’ambitieux préambule de la deuxième mouture de la Constitution en 1946 :


Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après: La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme.
Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République.
Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances.
Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix.
Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises.
Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité.
La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développe- ment.
Elle garantit à tous, notamment à l' enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence.
La Nation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales.
La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L' organisation de l' enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État.

            Pourtant, bien des espoirs de la Libération sont déjà déçus au moment où s’achève l’année 1947 : le consensus politique de la résistance a éclaté, l’atmosphère de l’automne est quasi insurrectionnelle et la jeune IVe République montre déjà d’inquiétantes limites, avec la poussée du RPF gaulliste (40% des voix aux municipales). Si la reconstruction de la France s’est très vite engagée, non sans volontarisme et avec le soutien actif des communistes, la belle unanimité se disloque ou se dilue à travers les « plans » ou les « programmes » de reconstruction,  le plan Marshall apparaissant aux communistes comme un épouvantail impérialiste.
            La  réalité quotidienne demeure, elle, très difficile et c'est ce que l'on a volontiers oublié. De toute évidence, les lendemains de la Libération sont des lendemains qui déchantent; c'est toujours le gris qui domine, même si Piaf chante « La vie en rose » et Trenet « La  mer » avec des « golfes clairs » et des « reflets d'argent ». Bien des villes sont toujours détruites, le ravitaillement demeure très précaire et le régime de pénurie suscite de légitimes frustrations après plus de cinq ans de privations. Il faut s’imaginer qu’à la fin août 1947, la Une du Monde porte sur la ration quotidienne de pain, qui diminue, par décision du conseil des ministres, de 250g à 200g par jour ! La reconstruction se heurte à de nombreux obstacles, et d’abord au manque d’argent et de main d’œuvre. L’ambitieux plan de Sécurité sociale mis en place en 1945-46, les nouveaux statuts de la fonction publique et les « régimes spéciaux » ne peuvent encore compenser les difficultés matérielles du plus grand nombre.
            Sans être tout à fait anachronique, le terme de renaissance semble curieusement décalé au regard de la réalité vécue, même si l’on parle volontiers à l’époque d’une « renaissance de la presse » ou plus largement d’une « renaissance de la France ». Dans les travaux postérieurs des historiens, le mot est souvent accolé - sans grand discernement - à «reconstruction », « rénovation » et même « restauration », ce qui ne clarifie pas la question (cf. Eric Duhamel, La vie politique à la Libération, Matériaux, 1995, No39, l’auteur confond les quatre termes). S’il existe entre 1944 et 1947 un consensus sur l’idée générale selon laquelle la France doit prendre un nouveau départ, ce n’est certainement pas en référence au passé. Les résistants souhaitent construire un Homme nouveau (qui inclus désormais les femmes citoyennes) dans une France nouvelle, en s'appuyant très largement sur le programme du CNR.
            Mais veut-on faire du neuf avec de l’ancien, à l’image de la Renaissance qui prit ses modèles dans l’Antiquité ? Si la France renaît en 1945-1947 ou en tous les cas se donne les moyens de renaître, c’est nettement en rupture avec le monde ancien, autant celui de Vichy que celui de la IIIème République, sans nostalgie d’un âge d’or perdu.  Le renouveau passe par toute une série de reconstructions (politiques, matérielles, psychologiques), par des restructurations dans les médias, des nationalisations dans l’industrie, les banques et les transports, par des modernisations technocratiques (l’ENA), par des modes d’expression qui relient la culture des libérateurs à celle de la vieille Europe (les caves « existentialistes » de Saint-Germain-des-Prés), mais aussi par un sursaut démographique, un véritable « coup de jeune » dans une France vieillie depuis des lustres. Il passe aussi par un sentiment retrouvé d’unité, de foi dans l’avenir, sinon d’oubli des querelles partisanes. La vraie renaissance est probablement là : dans cette volonté du peuple français à se redresser après le désastre et de la capacité de la France à retrouver son rang de grande nation. Et à la fin de la délicate année 1947, le peuple de Paris – et la France entière – rendent un émouvant hommage au grand libérateur militaire, le général Leclerc. Puisse en cette journée, écrit en substance Syrius dans Le Monde, « galvaniser nos volontés, ranimer notre confiance, se couronner d’une nouvelle libération et d’une résurrection nationale qui est l’œuvre des héros.

 

 

 

 


   
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