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Comment naît une Révolution (février 1848, il y a 165 ans) La Marianne de H.Daumier (1848), Musée d'Orsay, Paris. Voici plusieurs années que je veux consacrer la chronique du mois de février à la révolution qui éclate ce même mois en 1848 et qui entraîne une partie de l'Europe dans le "printemps des peuples" (d'où l'expression dérivée de "printemps arabe" qui s'est appliquée aux récentes révolutions du Maghreb et du Proche Orient). Une forme de commémoration pour une révolution un peu oubliée, contrairement à celle de 1789. Le Caire, février 2011 La révolution de 1848 est en effet selon les mots de l'historien Maurice Agulhon une "révolution sans prestige", marquée par ses contradictions, ses répressions féroces (dès le mois de juin 1848 une armée dirigée par le général Cavaignac écrase l'insurrection des ouvriers parisiens) et son échec final, à travers la liquidation républicaine réalisée par le prince-président Bonaparte (le coup d'état de décembre 1851 puis l'Empire autoritaire de Napoléon III). Il est vrai aussi que la Révolution de 1848 n'a guère eu les faveurs des meilleurs observateurs de l'époque. D'une certaine façon Karl Marx et Alexis de Tocqueville se rejoignent dans une critique très dure des épisodes révolutionnaires. Marx parle de "parodie historique" ("Les luttes de classes en France", 1848-50) et ajoute méchamment : Alexis de Tocqueville
Lamartine et Hugo : deux poètes en politique. Pourquoi une République en février 1848 ? La Monarchie censitaire dite de Juillet, celle de Louis-Philippe, est une monarchie bâtarde. Les Républicains ne voient plus à quoi sert ce Roi issu des barricades de 1830 : pourquoi ne pas avoir plutôt un président de la République ? Ce qui est décidé en novembre 1848 dans la nouvelle Constitution républicaine. Les Monarchistes légitimistes poursuivent quant à eux la branche d'Orléans de leur haine, Louis-Philippe portant seul le lourd poids du régicide paternel…depuis 1793 ! Il apparaît dès lors comme un double traître, à la Révolution d'une part (il passe à l'ennemi en 1793), à l'idée monarchique d'autre part (il est "fils de régicide"). Cette "double traîtrise" ne le quittera plus… Les députés républicains élus en 1846 au suffrage censitaire se comptent sur les doigts de la main et appartiennent à la frange républicaine de la bourgeoisie (il sont de gros propriétaires terriens). Marx parle avec mépris de "bourgeoisie avocassière". Le plus à gauche - le terme de radical au sens anglais du terme lui est attribué - est Ledru-Rollin. A Paris il ya les avocats Pierre Marie (ex-gauche dynastique en 1842) et Lazare Carnot (le fils du célèbre général et père de l'homme politique Sadi Carnot, pdt de la république en 1887. En province, Dupont de l'Eure à Brionne, avocat et magistrat, grand propriétaire terrien, très âgé (né en 1767!), Garnier-Pagès, négociant marseillais, élu à Verneuil (Eure), frère du leader de 1830, Ledru-Rollin, élu de la Sarthe, avocat libéral et humaniste, partisan d'une république démocratique et sociale, le plus à gauche du lot, Arago (François), le plus célèbre , grand savant, physicien, astronome, père d'Etienne, qui est en 1848-49 l'artisan de la réforme postale (le premier timbre-poste à la Cérès). Le 1er timbre-poste date de 1849
La république à l'Hôtel de Ville (24 février 1848) Le règne de Louis-Philippe (1773-1850) a fortement déçu - à gauche comme à droite. A gauche, on déplore le ralentissement du processus de réforme à partir de 1833 et son gel par Guizot à partir de 1840. Ce protestant libéral, ancien professeur d'histoire en Sorbonne, admirateur du système anglais, exaspère les républicains et certains orléanistes qui voudraient davantage de réformes politiques et sociales ("seul le possédant est véritablement libre et peut représenter les autres" clame Guizot). A droite, les légitimistes n'ont que mépris pour cette monarchie censitaire trop réformiste à son goût (la charte de 1830 a abandonné le catholicisme comme religion d'Etat, le drapeau tricolore a remplacé le drapeau blanc, le roi"citoyen" est proche de la bourgeoisie financière, il est aussi le fils d'un père régicide). Quant aux bonapartistes - qui se rattachent à la fois aux principes de 1789 et à l'imagerie impériale - ils ne voient le salut que par un coup d'état (tenté en 1836 et 1840). Le bonapartisme est pourtant un cas à part dans l'histoire politique. Le bonapartisme a en effet été à la fois réhabilité et muséifié par la Monarchie de Juillet, pour le rendre inoffensif et servir la cause patriotique. Les élites impériales survivantes ont été réintégrées, Napoléon Ier est largement honoré (dépouilles ramenées aux Invalides, achèvement de l'Arc de triomphe de l'Etoile inauguré en juillet 1837). Mais l'héritier présomptif, Louis-Napoléon, fils de Louis et neveu du grand homme, pose problème au régime. Doit-on prendre au sérieux celui qui a tenté deux pitoyables coup d'état en 1836 (à Strasbourg) et 1840 (débarquement dans le Pas-de-Calais à partir de l'Angleterre où il était réfugié!), qui a écrit en prison (il est interné à vie en 1840, mais s'évade en 1846 de la forteresse de Ham (Somme) déguisé en maçon !) des ouvrages d'inspiration saint-simonienne comme L'extinction du paupérisme ? La réponse est positive : l'aventurier est pris au sérieux, y compris d'ailleurs en 1848, où il est persona non grata en France - il apparaît furtivement le 27 février et on ne le revoit durablement en France qu'en septembre 1848. En le condamnant et en l'emprisonnant en 1840, le régime en a fait un martyr et un opposant officiel, tandis que la légende napoléonienne en sort grandie (parallèles de l'enfermement avec son oncle). Dans les campagnes, le mythe impérial reste très présent et dans certaines zones reculées, on croit l'Empereur encore vivant quelque part… Au fond, pour le parti de la révolution, la frustration est grande d'une révolution de 1830 sans lendemains démocratiques. De fait, l'esprit de 1848 est bien dans la droite ligne des révolutions de 1789-1792 (surtout d'ailleurs de 92-93) et 1830 : il faut prolonger un grand mouvement historique qui a été trop vite infléchi sous la Monarchie de Juillet. L'histoire de 1848 est donc hautement une histoire de symboles. D'ailleurs, l'historiographie des années 1840 marque une véritable exaltation de la révolution française, et surtout celle de 1792, qui bénéficie pleinement et avec un curieux effet retard, de la dynamique romantique. Par exemple L'histoire de la révolution française de Michelet (dont la publication débute en 1847 et dont le cours au Collège de France lui vaut une interdiction du gouvernement en janvier 1848) , celle aussi du socialiste Louis Blanc (en 1847), L'Histoire des Girondins de Lamartine (en 1847), L'Histoire des Montagnards d'Alphonse Esquiros. Un système complexe de causalités : l'analyse tocquevillienne de 1848
L'exposé des "imprévus" historiques est surtout centré sur trois ou quatre faits : Louis-Philippe-la-Poire-Gargantua par Daumier 2.Le deuxième impondérable historique est tout aussi lié à la bêtise du pouvoir et à son manque de lucidité politique. Les décisions prises au début de 1848 apparaissent aberrantes ou incroyablement contre-productives. Ainsi lorsque Guizot décide la suspension du cours d'histoire de Michelet au collège de France, Michelet qui est déjà la star du quartier latin (on se presse à ses cours) et qui vient de publier une histoire de la révolution, affiche des positions républicaines. Quel paradoxe qu'un historien (Guizot), dont le cours en Sorbonne avait été interdit de 1822 à 1828 prenne une telle décision à l'encontre d'un autre historien!
165 ans plus tard *Les causalités extérieures ont parfois été avancées, à travers l'idée d'un printemps des peuples, d'une révolution à l'échelle européenne. En réalité, si la dimension européenne de 1848 ne fait aucun doute (avec les mouvements révolutionnaires des Allemands, Italiens, Polonais, en Hongrois, autrichiens, etc.), elle ne se manifeste qu'après février 1848 et c'est donc la France qui donne l'élan, non l'Europe qui influence la France. Ce que l'on peut relever tout de même, ce sont les frustrations générées par la politique extérieure de la Monarchie de Juillet, dans un contexte de plus en plus national et nationaliste. Louis-Philippe et Guizot préfèrent le statu quo autour des Traités de 1815 plutôt que de risquer une dérive belliciste. Une prudence très critiquée par l'opposition, qui pourtant n'aura après 1848 pas d'attitude très différente (les républicains ne lancent pas les troupes au secours de l'Europe en révolution et ne réitèrent pas 1792, Bonaparte est élu sur un programme de paix et non pas de guerre extérieure). Ces traités ne sont cependant pas digérés : rappelons que la France est revenue en 1815 aux frontières de 1789, perdant tous les acquis de la Révolution et de l'Empire (sauf Avignon, Mulhouse et Montbéliard). Berlin, mars 1848 * Il faut évidemment rouvrir un grand débat historique sur la coïncidence (?) entre la révolution (en France et au-delà en Europe) et la grande crise économique de 1846-47. On a pu ainsi parler de "dépression du milieu du siècle", entre les deux poussées de Révolution industrielle sous Louis-Philippe et sous Napoléon III. Comme souvent, les crises économiques - rappelons celle qui précède la révolution de 1789 et qui n'est que très conjoncturelle - ne constituent jamais un facteur unique et révèlent des problèmes plus profonds. Manifestations en 1847 La crise est donc un révélateur économique et social, mais elle n'influe pas sur les événements de 1848, dans la mesure où la période critique est passée début 1848, la récolte de 1847 ayant été excellente . La crise n'est pas non plus un révélateur du paupérisme. Le paupérisme est déjà une préoccupation majeures des années 1830-40, ce qui explique le succès des doctrines de Fourier et de Saint-Simon. Préoccupation que partage Louis-Napoléon Bonaparte, candidat victorieux à la présidence en décembre 1848 et auteur du très saint-simonien L'extinction du paupérisme en 1846. Que reste t-il de 1848 ? Marianne sur son char (allégorie républicaine) Dans la mémoire républicaine, telle qu'elle se transmet de 1852 à la fin du XIXème siècle, la Seconde République, est accueillie avec enthousiasme, et elle est poignardée (dans le dos) par un démagogue ambitieux du nom de Bonaparte. La république de Gambetta et de Jules Ferry cherche à se définir explicitement contre le bonapartisme, fossoyeur de la république. La Seconde République reste donc une référence fondatrice, autant que 1789, même si l'on a tendance à nier tout caractère républicain au bonapartisme d'avant 1852. De fait, les survivants de 1848, tel Hugo vont accorder avec empressement leur parrainage à la Troisième République, continuatrice de la Seconde... Timbres-poste 1848-1948 : il souffle encore l'esprit de la Libération. Le 150ème anniversaire a lieu en 1998 et il contraste par sa discrétion avec les délirantes célébrations en 1989 du bicentenaire de la Révolution française. Il apporte toutefois du nouveau : de nombreuses commémorations sont relatives à l'abolition de l'esclavage et de nouvelles approches historiographiques permettent une meilleure connaissance de la province révolutionnaire. On y réfléchit aussi sur les enjeux idéologiques et politiques (le suffrage universel, le citoyen), sur le genre (les femmes de 48), sur les cultures politiques et symboliques (les Marianne de 1848/1849, chères à Maurice Agulhon). On réhabilite aussi largement l'inurrection provinciale contre le coup d'Etat de 1851 (celle du Var notamment, un département qui fut très à gauche!). Difficile de considérer que la Seconde République n'a pas eu un grand rôle ni de grandes réalisations à son actif. Elle décrète le suffrage universel masculin, abolit l'esclavage et la peine de mort pour raisons politiques, pose les principes du droit au travail et élabore une constitution républicaine qui sépare et équilibre les pouvoirs. Elle tient donc une place fondamentale dans la culture républicaine. Elle est en effet à l'origine de toute une tradition politique avec la distinction entre Démocratie ou Ordre, république populaire et sociale ou république bourgeoise, régime de progrès ouvert aux revendications des masses ou régime strictement constitutionnel. L'épisode quarante-huitard a renforcé en outre trois traits majeurs du programme républicain : se prémunir du pouvoir personnel (il faudra à Louis-Napoléon un coup d'état pour s'imposer!), tenir l'État laïque à l'écart de l'influence catholique, faire que la République soit humaine et tempère par des mesures socialisantes les duretés du libéralisme économique. Et si la Seconde République est un peu oubliée de nos jours, c'est peut-être que ses apports ont été entièrement intégrés et sont désormais considérés comme allant de soi. Deux conceptions de la république qui sont bien la source de nos principales traditions politiques de l'époque contemporaine et du clivage droite/gauche.
Rue Soufflot en...1848. Rue Soufflot en...1968
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