Les chansons de Noël : un choix raisonné (version 2019 revue en décembre 2020) !

C'est un peu l'exercice imposé de fin d'année (je sais que la période est assez difficile, mais défendons l'idée d'une "trêve de Noël", comme en 1915-1916, avec ou sans covid) : élaborer une play-list de chansons qui ne sont pas nécessairement les plus écoutées les 24 et 25 décembre mais qui sortent un peu des sentiers battus. Alors par quoi et par qui commencer ? Par Edith Piaf bien sûr et cette chanson de Marc Heyral & Henri Contet qui fleure bon le réalisme et son Noël de la rue qui date de 1951 (repris aussi par Olivia Ruiz en 2011). Il existe un 45 tours de ce titre avec les Compagnons de la Chanson, comprenant une face A où Edith Piaf est accompagnée par les choeurs de René Saint-Paul, tandis que sur la face B les Compagnons de Fred Mella reprennent "Douce Nuit", le célèbre chant autrichien du 19ème siècle. On se contentera d'Edith Piaf.

 

Et puis voici Anne Sylvestre, en 1965, qui reprend une vieille chanson française (du XVIème siècle?) et l'actualise avec son phrasé inimitable : c'est le très nostalgique et très chrétien Noël Nouvelet. Disparue en décembre 2020, Anne Sylvestre a enchanté plusieurs générations, celle de mes parents, la mienne aussi - je dois avoir dans ma discothèque Ecrire pour ne pas mourir - et celle de mes enfants avec les fabuleuses Fabulettes. Dans le registre de reprise des vieilles chansons de France, qu'elles soient religieuses ou beaucoup plus séculières, il faut donc louer le travail d'Anne Sylvestre dans les années 1960 mais aussi celui de Guy Béart et sa remarquable adaptation des "très vieilles chansons de France" (1966), une compilation malheusement sans chanson de Noël.

Noël nouvelet, Noël chantons ici.
Dévotes gens, crions à Dieu merci.
Chantons Noël, pour le Roi nouvelet
Noël nouvelet, Noël chantons ici.

 

On poursuit ce Noël féminin avec un hommage à la "grande dame brune", très présente ces dix dernières années, à travers des films (Barbara, de Mathieu Amalric avec Jeanne Balibar), des spectacles (celui de Depardieu, très émouvant), des disques/hommages (Elles et Barbara, le pianiste Alexandre Tharaud), des documentaires (Chansons pour une absente sur Arte) et une quantité de reprises. Il faut rappeler que dans les années 1960, Barbara a écrit une quinzaine de chansons parmi les plus belles du répertoire francophone d'après-guerre, dans un style qui n'appartient qu'à elle. "Joyeux Noël", sur une musique de Michel Colombier, date de 1968 et l'enregistrement qui suit est peut-être issu d'un Discorama de Denise Glaser, je ne sais, mais l'expressivité du visage de Barbara est extraordinaire, donnant vie à cette comptine malicieuse.

 

On ne s'en lasse pas...tout comme on ne se lassera pas - dans un registre différent - d'une des plus belles chansons de Brassens, Le père Noël et la petite fille (1960), une reprise de la fin des années 70. Brassens a oublié - et s'en amuse - une partie des paroles.

 

En quatrième choix, restons dans les années 1960, source inépuisable en matière de chanson populaire. C'est en 1966 que le duo Lanzmann/Dutronc prend le contrôle du hit-parade en produisant des chansons pop au ton décalé, mais au rythme imparable, à prendre au deuxième sinon au troisième degré. Il paraît que Jacques Wohlsohn (leur producteur) voulait concurrencer en urgence le succès du jeune Antoine avec ses Elucubrations. Quoiqu'il en soit, Dutronc est pendant quelques années - avec Polnareff et Françoise Hardy - une alternative crédible aux succès pop britanniques. On retiendra donc pour cette thématique l'inévitable "Fille du Père Noël", mais de préférence dans sa version rock (avec le look correspondant) datant de 1992.

 

Cinquième choix du répertoire francophone, Petit Garçon, une chanson découverte en même temps que l'album du néo-zélandais Graeme Allwright, Le jour de clarté, édité aussi... en 1968 ! Dans ce disque se trouvent des adaptations en français de classiques du protest song et du folk américain, ainsi Pete Seeger et surtout le trop méconnu Tom Paxton, l'un des grands chanteurs engagé contre la guerre du Vietnam. Et surtout, Graeme est celui qui a popularisé en France Leonard Cohen, le poète/chanteur canadien, à travers des traductions littérales mais convaincantes de Suzanne, de L'étranger (et sur d'autres disques Avalanche, Jeanne d'Arc, Les soeurs de la Miséricorde). De plus, il a adapté Bob Dylan, de façon peut-être plus convaincante que Hugues Aufray, ainsi "Qui a tué Davy Moore?", presque aussi bon que l'original. Petit Garçon est aussi une adaptation (Old Toy Trains, 1967) de Roger Miller, un chanteur de country un peu oublié, sauf des fanatiques du genre. Malheureusement, Graeme Allwright nous a quittés au début de 2020...

 

Photographie de Graeme que j'ai prise au Festival de Villar-en-Val en 2011. (copyright BL)

Après Graeme Allwright, il ne faut pas oublier nos amis canadiens francophones ni la rigueur proverbiale de l'hiver québécois. Il y a sur ce plan l'embarras du choix. Mais qui donc a pu écrire "Marie-Noël, Marie-Noël, petite fille, joujou fragile Petit Noël de mes Noëls d'enfant" ? Vous n'avez pas trouvé, et bien c'est Robert Charlebois en 1967 et cette jolie chanson du répertoire de Charlebois a été reprise par Isabelle Boulay en 2009 dans ses "Chansons pour les mois d'hiver" et aussi par Roch Voisine.

Terminons le champ francophone avec quelques bonus. Non, il ne sera pas ici question de Tino Rossi (!) mais de Florent Marchet, qui est - à mon humble avis - l'un des meilleurs artistes de sa génération (écouter notamment son opus Bambi Galaxie et le collectif Frère Animal avec Arnaud Cathrine, Nicolas Martel, Valérie Leulliot).

Florent Marchet Noël's Songs (2012)

Il y a quelques années déjà, Florent Marchet a repris non sans humour des chansons de Noël - et aussi les siennes, comme Courchevel - et les a jouées avec ses ami(e)s du Santa Claus Orchestra, notamment au Café de la Danse, à la Cité de la Musique en 2012. Voici un extrait de Vive le vent interprété à Nanterre en 2013 avec une fine équipe qui fleure bon les Bronzés font du ski (film-culte de 1979).

 

Ensuite, puisque notre Renaud national a sorti un dernier (?) album (Les Mômes et les Enfants d'abord!), souvenons-nous de sa période de Gavroche un peu anar, avec cet incontestable hommage à Tino Rossi (et à Coluche) dans Le Père Noël Noir, une chanson plutôt rigolote et bien écrite (2000), où Renaud a commandé Une panoplie d'agents, d'police/Une super boîte de Meccano/Une carte du parti socialiste, mais tout part en couilles. Le père Noël est désormais un vrai "crétin", après avoir été une "ordure" (le film de la troupe du Splendid et de J-M Poiré date lui de 1982 et il est une bonne référence en matière de Noël raté).

Petit Papa Noël
Toi qu'es descendu du ciel
Retournes-y vite fait bien fait
Avant que j'te colle une droite
Avant que j't'allonge une patate
Qu'j'te fasse une tête au carré

Je ne suis évidemment pas le seul à proposer des listes saisonnières de chanson de Noël. Sur son site, Philippe Katerine nous gratifie d'une jolie photographie de l'artiste en prières affublé de très grandes oreilles (on a évité son nez-pénis) et nous rappelle qu'en 2000 est sorti un album Noël ensemble au profit de la recherche contre le SIDA. Katerine y chantait Le petit colis avec Anna Karina mais on y trouvait tout le gratin francophone de l'époque, les Anciens comme les Modernes.

  • Maurane : Jolis sapins
  • Henri Salvador : Vive le vent
  • Hélène Ségara : Brahms' lullaby
  • Charlelie Couture et Elsa : Petit garçon
  • Calogero et Zazie : Douce nuit
  • Larusso, Patrick Juvet, Omar Chakil... : Last Christmas
  • Liane Foly, Marc Lavoine et Michel Delpech : Tout va changer
  • Charles Aznavour et Axelle Red : Noël à Paris
  • Véronique Sanson et Eddy Mitchell : Noël blanc
  • Yuri Buenaventura : Navidad camina descalza
  • Garou et Daniel Lavoie : The Christmas song
  • Lââm : Noël interdit
  • Patrick Fiori et les Polyphonies Corses : Mon beau sapin
  • Roch Voisine : Marie-Noël
  • Anna Karina et Philippe Katerine : Le petit colis (A. Karina / P. Eveno)
  • Sonia Lacen, Cécilia Cara, Nourith : Ave Maria
  • Florent Pagny : Petit Papa Noël

Laissons de côté les artistes francophones et traversons la Manche puis l'Atlantique. Le rock n'a curieusement jamais boudé Noël et il est même difficile de faire un choix tant les chansons sont nombreuses et variées. Dans le rock britannique, j'ai à mon grand regret éliminé John et Yoko dont le Happy Xmas (War is Over) de 1972, sorti dans l'album Some Time in New York City est une vraie daube, le pire étant toute de même la version-massacre de Céline Dion en 1995. Mais pas de jaloux : le Wonderful Christmas Time de McCartney & Wings (1979) est encore plus nul et Le Ding Dong, Ding Dong de George Harrison (1974) n'est pas meilleur non plus. J'ai aussi éliminé de ma sélection quelques titres pas très catholiques (je veux dire pas terribles) de Queen, de Coldplay, de Status Quo ou de U2, ainsi que le Band Aid de 1984, Do they Know it's Christmas ? En revanche on pourra garder pour la route le classique Merry Xmas Everybody des Slade, égéries du glam-rock populaire des années 70 et No2 de Top of the Pops en décembre 1973 (l'année où j'ai découvert Bowie!) et Father Christmas des Kinks en 1977, où s'exprime tout le talent de parolier de Ray Davies, tandis que le batteur Mick Avory est déguisé en Père-Noël.

Don't mess around with those silly toys/We'll beat you up if you don't hand it over/We want your bread so don't make us annoyed/Give all the toys to the little rich boys. Yeah!

 

On ajoutera à cette interprétation des Kinks une autre belle référence du rock anglais des années 60/70, j'ai nommé The Who, toujours en course avec les Stones en 2020, dont la chanson Christmas est tirée de l'opéra-rock Tommy (1969) et reprise dans le film éponyme de Ken Russell en 1975. Le film est un peu baroque mais les chanson tiennent encore la route : Tommy can you hear me ? See Me...Feel me...Touch Me...Hear Me...!!! Bon, Tommy n'entend rien, il est un peu bouché depuis le Blitz.

 

Avant de traverser l'Atlantique et aborder le champ très vaste des musiques populaires américaines, un petit détour par l'Irlande et la voix somptueuse de Lisa Hannigan (une star dans son pays) avec le titre Snow, tiré de son album de 2016 et puis l'inaltérable Van Morrison, avec un "concert de Noël" qu'il a donné en 1998 en Allemagne dans l'émission-culte Rockpalast (il existe aussi un double CD christmas special). Et pour bien passer l'année 2021, on pourra écouter le sublime Celtic New Year du même Van, qui a sorti en 2019 Three Chords & the Truth, la vérité contenue dans trois accords de blues.

 

Nous voilà donc aux USA, le pays de Santa Claus (où est-ce la Finlande, je ne sais plus trop?), et des centaines de (bons) titres rock sur Noël rendent le choix très difficile sinon impossible. De toute façon, il faut rendre un hommage aux Pères Fondateurs du Blues et du Rock. Peut-être en débutant par un peu de jazz, avec Billie Holiday, God bless the Child (1942) et Louis Amstrong, Zat you Santa Claus ? (1970). Et de poursuivre avec Elvis qui nous chante Blue Christmas (1957) puis Merry Christmas Baby (1971). Mais on pourrait aussi retenir les versions plus bluesy de Merry Christmas Baby par Chuck Berry, B.B.King ou Ray Charles, ou encore celle très jazzy d'Etta James ou celle plus rhythm & blues d'Otis Redding. Tranchons dans le vif, ce sera The Genius car il est le seul à apporter la petite touche gospel qui convient bien à ce titre. Et puis, il y a - pourquoi pas? - tous les Merry Christmas de la Motown avec les Jackson Five, les Temptations, les Supremes, Stevie Wonder, une véritable industrie de Noël...

La musique afro-américaine a des ressources inépuisables. Ainsi aux origines du rap américain du début des années 1980, voici le Christmas rapping du jeune Kurtis Blow (il a 61 ans cette année, si si !). Le genre du rap a d'ailleurs donné pas mal d'exercices de style en habit de réveillon comme le "Christmas Rap" des Treacherous Three (1997) ou un peu plus ancien le clip bien délirant sur MTV de RUN DMC et leur chanson Christmas In Hollis (1987), dans le quartier du Queen à NYC.

 

Revenons au rock et au folk. J'ai fait une sélection drastique et c'est tant pis pour tous les oubliés du Christmas song et des compilations qui fleurissent chaque fin d'année sur les plates-formes Deezer et Spotify. Premier choix qui s'impose à moi sans aucune discussion, le clip vintage et de mauvais goût des Ramones, Merry Christmas (I Don't Want To Fight Tonight), en 1989, sur lequel on peut vraiment danser le rock sans se castagner. Et il n'est pas interdit dans la foulée - mais on revient sur le sol anglais - de passer le Jingle Bells des Sex Pistols (?!) et d'essayer de ne pas tout casser en sautant à pieds joints. Dans le genre "mauvais goût", on pourra toujours y ajouter le curieux clip des Killers, Don't shoot me Santa Claus en 2016.

 

Deuxième choix un peu sentimental, en hommage au chanteur/guitariste Tom Petty, disparu il y a peu, une grande vedette aux Etats-Unis mais une notoriété plus confidentielle en Europe. Avec sa prestation - toujours radieuse, c'est l'anti-Robert Smith - au concert Christmas 2000, organisé à la Maison Blanche pour aider l'association Special Olympics (qui milite pour l'intégration par le sport des personnes handicapées mentales). Happy Christmas rock'n'roll !

 

Troisième choix, celui du chanteur de country John Prine - lui aussi mort cette sinistre année 2020 - qui a publié un très bel album de christmas songs en 1994 (très peu joués en public malheureusement). John Prine, c'était la dernière grande référence country/folk après la mort de Johnny Cash, l'auteur du mythique The Christmas Spirit en 1963. Certes, on pouvait aussi s'attendre dans une telle sélection à l'évocation du célèbrissime Hallelujah de Leonard Cohen, chanté par le maître ou bien par John Cale, mais écoutez bien les paroles, ce n'est pas du tout une chanson de Noël! Ou bien qui dégénère...And from your lips she drew the Hallelujah ! Alors pour clore cette sélection, on pourra toujours écouter comme quatrième et ultime choix le génial Sufjan Stevens dans son intégrale des chansons de Noël (4 heures de musique, c'est parti!).

John Prine

 

Sufjan Stevens

Bonne écoute !

Or, messieurs, la co-omédie,
Que l’on juge en cè-et instant,
Sauf erreur, nous pein-eint la vie
Du bon peuple qui l’entend.
Qu’on l’opprime, il peste, il crie,
Il s’agite en cent fa-açons ;
Tout fini-it par des chansons.

Beaumarchais (1784)

 


 

 

 



 


 

 

 

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