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Billet de décembre 2010 : en avant!

En novembre 2010, à l’occasion du 40ème anniversaire de la mort du général de Gaulle, le président Sarkozy a justifié son action politique en se posant comme le continuateur naturel du fondateur de la Vème République. Florilège de citations: «Si la France m’a appelé à lui servir de guide, ce n’est certes pas pour présider à son sommeil», [De Gaulle] « savait qu’en repoussant trop longtemps la décision, les souffrances seraient plus grandes encore », «On l’accusa de coup d’Etat permanent lui qui avait sauvé deux fois la République ».
De Gaulle est devenu non seulement une icône historique inaltérable et quasi consensuelle (de la stature lavissienne des Vercingétorix, Jeanne d’Arc, Henri IV, Napoléon…) : un homme qui incarne la France résistante (1940-44), puis la France renaissante (1945), la France qui décolonise (1958-62) et enfin la France forte, indépendante  et moderne (1962-68) ; un homme qui représente un modèle contemporain de gouvernance pour un pays qui ne cesse de se croire en déclin. D’où l’originalité foncière d’un courant politique (le gaullisme), qui repose sur la pensée politique du général plus que sur une idéologie et qui semble encore survivre au XXIème siècle, même si la « famille politique » gaulliste est en lambeaux.

Il existe en réalité un de Gaulle avant le gaullisme. De Gaulle est d’une génération qui a vécu la Grande Guerre (blessé comme capitaine), l’entre-deux guerres où il publie L’armée de métier (1934), défendant l’idée d’une armée professionnelle de blindés. Il entre le 5 juin 1940 au gouvernement Reynaud, l’un des plus courts et dramatiques de l’histoire de France…
Date fondatrice : certainement l’appel du 18 juin 1940, prononcé par le sous-secrétaire à la guerre, juste débarqué à Londres le 17, alors que Pétain demande aux français de cesser le combat. Il réitère cet appel le 22, cette fois enregistré. L’appel de juin 1940 est une décision politique forte. Il y est question de la confusion des âmes françaises, de la liquéfaction d’un gouvernement tombé sous la servitude ennemie, l’impossibilité de faire jouer les institutions.
De Gaulle, alors presque un inconnu, dit « parler au nom de la France », alors qu’il ne dispose d’aucun mandat électif. C’est un incroyable pari politique, qui fonde à lui seul toute la légitimité ultérieure du général, alors qu’il n’est guère suivi d’effets concrets en 1940 : l’armistice est signé le 22, aucun homme politique important ne vient à Londres, les ralliements dont rarissimes (Félix Eboué, le gouverneur du Tchad). Heureusement pour lui, le juriste René Cassin parvient à convaincre Churchill de reconnaître en août le chef des Français Libres (la croix de Lorraine contre la croix gammée!), mais sa situation demeure précaire au moins jusqu’en octobre 1943 (où il est le seul président du CFLN, après en avoir évincé Giraud, soutenu par les Américains). Toute l’action à Londres du général va être en réalité politique, à savoir rassembler les résistances et les faire reconnaître par des Alliés suspicieux sinon hostiles.
Le transfert à Paris le 9 septembre 1944 du GPRF présidé par de Gaulle consacre la victoire totale du chef de la Résistance (il rencontre d’ailleurs Staline ce même mois, car il ne veut plus être mis à l’écart). Il est le « rassembleur » et il se donne comme tâches prioritaires de redonner à la France son rang international, d’instaurer un ordre républicain dans la France libérée. Tâche immense en raison de la désorganisation partielle de l’Etat, qu’il mène à bien en déléguant les pouvoirs aux commissaires de la République, en remettant en place l’administration (souvent avant toute épuration, quitte à garder des fonctionnaires de Vichy), en faisant des voyages triomphaux en France et en imposant au PCF la dissolution de ses milices (28 octobre 44) qui faisaient courir selon lui un risque à la République. Car celle-ci, tout provisoire fût-elle, n’a pas disparu : il souligne l’importance de la continuité de l’Etat républicain, tandis qu’il fait appliquer par ordonnances en 1945 le programme d’action du CNR publié le 15 mars 1944 (programme auquel se réfère aujourd’hui une partie de la gauche anti-libérale).
Logiquement, de Gaulle aurait dû rester le chef de l’exécutif après 1945, mais il va développer des idées politiques en contradiction avec les institutions de 1946 (même si c’est lui qui impose l’idée d’un référendum destiné à donner au peuple français la parole sur la nouvelle constitution). Sa démission de chef du gouvernement, le 20 janvier 1946, prend un peu tout le monde de court, y compris une Assemblée constituante, certes peu docile - mais comment lui reprocher cette indocilité à l’heure de la démocratie retrouvée ?
On ne sait s’Il attendait qu’on le rappelât ou s’Il considérait que, de toute façon, la réforme de l’Etat n’aurait pas lieu avec cette Assemblée. Dans ses Mémoires, Il commente à sa façon – gaullienne – cette démission « historique » (il n’y en aura que deux dans sa vie politique, l’autre en 1969) :
« Cependant, tandis que le personnel du régime se livrait à l'euphorie des habitudes retrouvées, au contraire la masse française se repliait dans la tristesse. Avec de Gaulle s'éloignaient ce souffle venu des sommets, cet espoir de réussite, cette ambition de la France qui soutenaient l'âme nationale. Chacun, quelle que fût sa tendance, avait, au fond, le sentiment que le général emportait avec lui quelque chose de primordial, de permanent, de nécessaire qu'il incarnait de par l'Histoire et que le régime des partis ne pouvait pas représenter. »
Dans ce texte bien connu et archi commenté, on retrouve les axes fondamentaux du gaullisme: condamnation du régime des partis, appréhension historique de la France, certitude d’incarner l’âme nationale…

S’il n’existe plus de parti « gaulliste » depuis 2002 (l’UMP a absorbé le RPR créé en 1976 sur les ruines de l’UDR), un certain nombre de personnalités politiques revendiquent encore l’héritage du gaullisme. Comme le dit Serge Berstein « il est assurément plus simple de parler du gaullisme que de le définir ». Le gaullisme, c’est bien de Gaulle plus autre chose, ses fidèles, ses soutiens, ses réseaux, ses héritiers.
Le problème en effet, c’est que la référence à la pensée et l’action du général de Gaulle n’implique l’adhésion à aucune doctrine en dehors d’une « certaine idée de la France » développée dans ses Mémoires de guerre, mais qui n’a rien d’une doctrine, même si on a pu y voir une forme d’acclimatation de la République à une forme de nationalisme jugé jusqu’alors anti-républicain (de Gaulle est un catholique qui n’a jamais adhéré au positivisme ou au néokantisme qui font de la IIIème république laïque un idéal de société).
De Gaulle s’est toujours gardé de théoriser ses vues, considérant l’histoire comme le lieu de la contingence, qui réclame du pragmatisme. Le gaullisme n’est-il qu’une pratique du pouvoir ?
Ou n’est-il pas au fond (Jean Touchard) inséparable de la personne charismatique du général. Au contraire, se place t-il (R.Rémond, repris ensuite par Ph.Seguin et d’autres) comme l’héritier du bonapartisme (des deux Bonaparte, le conquérant comme le modernisateur de l’économie)? On peut donc s’interroger sur sa place aux côtés des grandes idéologies du XXème siècle et des grandes cultures politiques de la France contemporaine, comme le radicalisme, le socialisme, le conservatisme ou même la démocratie chrétienne. Pourtant, le gaullisme a eu – avec de Gaulle puis sans de Gaulle – un destin tout à fait exceptionnel dans l’histoire politique de la France de la seconde moitié du XXème siècle et cela pour au moins quatre raisons :

  1. Le gaullisme est issu de la France résistante, une France que De Gaulle a reconstruite à la Libération selon l’image qu’il s’en faisait : unie, solidaire et sociale au-delà des clivages partisans. Sur le plan politique, la démocratie parlementaire a repris ses droits, n’en déplaise à De Gaulle qui fut même paraît-il anéanti d’être mis en ballottage en 1965 par Mitterrand. Mais sur le plan des symboles, cette France unanimement « résistante » a repoussé de plusieurs dizaines d’années la nécessaire introspection nationale sur Vichy et sur la période de l’Occupation. C’est ce qui explique qu’un Maurice Papon, ancien préfet du général de Gaulle et ancien ministre républicain, ait pu être condamné…en 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité.
  2. Les institutions de la Vème république ont été élaborées par De Gaulle et par des gaullistes (Michel Debré en tête). Seul véritable talon d’Achille de cette constitution inaltérable (?),  le mode d’élection du président, changé en 1962 : « Le point le plus contestable de l’héritage est bien l’élection du président au suffrage universel (dont on a oublié la dramatique origine, en un temps où les candidats au meurtre du président en exercice couraient les rues et où il pouvait paraître urgent de donner de l’autorité à son successeur éventuel), qui favorise une polarisation en deux camps et amène chacun des deux à s’aligner derrière sa personnalité la plus populaire, sans égard pour la misère cérébrale que pourrait cacher le photogénique sourire »  écrit justement François Delpla dans son blog.
  3. La décolonisation de la France a (en gros) été l’œuvre de Gaulle, en dépit de fortes contestations dans son propre camp sur la politique algérienne, et malgré des atermoiements du général, qui ont généré bien des incompréhensions…
  4. La modernisation et la mutation socio-économique de la France se sont déroulées pendant la période De Gaulle/Pompidou, selon des schémas très volontaristes de "grandeur nationale" (ainsi les grandes ambitions présidentielles dont le nucléaire, le Concorde ont été des symboles). Il faut aussi noter que De Gaulle a été le premier à savoir utiliser les médias au service de la politique, de son allocution en 1940 à la BBC à son dernier discours radio-diffusé d’avril 1969.
  5. Le gaullisme a donné à la France quatre (puisque Sarkozy se dit gaulliste) présidents qui ont dirigé la France plus de 30 ans depuis 1958. Il a en même temps provoqué une profonde recomposition des gauches et des droites, laminant durablement les centres et rassemblant les droites, tout en obligeant les gauches à s’unir pour exister (ainsi la candidature Mitterrand de 1965, point de départ de l’union de la gauche anti-gaulliste)

Selon S.Berstein toujours, personne (ou presque) ne se réclame plus du gaullisme « historique » en raison des discordances de cette culture politique – plus ou moins adaptée aux années 60 – avec les transformations de la fin du XXème siècle et du début du XXIème siècle. On a aussi tendance à oublier ce qu'a été le gaullisme de gouvernement entre 1962 et 1969 : une monarchie présidentielle qui monopolisait les médias (l'ORTF), laissait peu de place aux oppositions, à la parole publique (notamment celle des jeunes, des femmes) et qui a découvert en mai 1968 (avec stupeur) que la société avait changé en profondeur pendant les Trente Glorieuses. Pourtant les deux derniers présidents se disent (ou se sont dits) « gaullistes ». D’abord l’ancien président Chirac, qui raconte être devenu gaulliste à 26 ans, en 1958 et qui devient dès 1962 chargé de mission au cabinet du premier ministre G.Pompidou et en juillet 1968 jeune « ministre » du Gal de Gaulle (en fait secrétaire d’Etat aux affaires sociales). Pourtant, ceux qui n’ont pas aimé Chirac à droite – et ils ont été assez nombreux – se sont plu à rappeler qu’en 1974, il a torpillé à jamais le gaullisme « historique », en soutenant la candidature du libéral centriste Giscard d’Estaing contre celle du maire de Bordeaux, J.Chaban-Delmas, figure de la Résistance, compagnon de la Libération, fidèle des fidèles du Général, ancien premier ministre de G.Pompidou et flanqué pour l’occasion d’un Malraux dépassé. « L’appel de Cochin » de 1976 et la fondation du RPR (nouveau RPF ?) a des relents gaullistes certes, mais c’est plutôt une machine de guerre anti-Giscard, destinée à gagner les élection de 1981. Et lorsque le président Chirac décide en 1995 de reconnaître la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs et singulièrement dans la rafle du Vel d’Hiv, il rompt avec le mythe résistantialiste gaulliste selon lequel la France de Vichy n’était pas la France (puisque celle-ci était à Londres puis à Alger).
Si l’on met à part Chirac, dont le gaullisme demeure discutable mais envisageable, et si l’on disqualifie Sarkozy, dont le gaullisme est aussi authentique que son jauressisme, les candidatures réellement gaullistes à la présidentielle ont toutes été des échecs cuisants depuis 1974 : défaite de Chaban-Delmas au premier tour des présidentielles de 74, mauvais score obtenu par Michel Debré en 1981 (1,65% une humiliation pour l’ancien fidèle). De même, les tentatives de faire renaître un parti authentiquement gaulliste contre la machine RPR n’ont guère été couronnées de succès. En juin 1999, Charles Pasqua et Philippe de Villiers fondent le RPF (Rassemblement pour la France), dont le nom et le signe renvoient au gaullisme politique (en effet le rassemblement pour le peuple Français est lancé par De Gaulle en avril 1947). Ils espèrent réitérer le succès du RPF gaulliste, qui, à la fin de 1947, compte plus de 500 000 militants. Cela a été  un fiasco. De son côté, Philippe Séguin, gaulliste ombrageux et admirateur de Napoléon III, a bien essayé de faire revivre un « gaullisme social », mais sans grand succès et cette tendance - que le Premier Ministre Fillon affirme représenter - est aujourd’hui dispersée au sein de multiples chapelles. Il reste toutefois au sein de l’UMP quelques trublions « souverainistes » tel Nicolas Dupont-Aignan et son DLR et le néo-chiraquien De Villepin dont la posture gaullienne manque tout de même singulièrement d’épaisseur politique (en dehors d’une opposition radicale à Sarkozy, qu’il considère comme le fossoyeur de l’héritage gaulliste cf le numéro de Marianne à ce sujet).

De Gaulle appartient donc définitivement à l’Histoire et c’est tant mieux. Mais en plein retour du « mémoriel » (le conseiller du prince Henri Guaino nous a gâtés de ce point de vue depuis deux ans), les historiens peinent encore à travailler sereinement sur De Gaulle et le gaullisme, entre les multiples témoins et témoignages, les propos rapportés, les instrumentalisations politiques, les mythes et les légendes qui brouillent (ou simplifient à outrance) la vérité du personnage et de son action politique. On pourra écouter là-dessus l’historien Jean-Pierre Rioux, auteur d’un bel essai, De Gaulle la France à vif, Liana Lévi, Paris, 2000. et qui intervenait en conclusion d’un grand colloque sur le Général.

 

 

 

 

 

   
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