Christian Victor
La musique populaire anglaise des années 60
Le Merseybeat



A Liverpool, dans les années 60, quelques jeunes musiciens jouaient le rock'n'roll d'une façon bien à eux. Issus des classes populaires, ils exprimaient la joie de vivre, la fierté identitaire de la jeunesse du nord industriel anglais.
Le succès international des meilleurs d'entre eux, " The Beatles ", fut tel qu'il donna une nouvelle dimension au rock. Il apparut alors que cette musique n'était pas un simple style musical éphémère mais un phénomène d'une toute autre ampleur, porteur de valeurs nouvelles, générateur d'une révolution tant sociale qu'artistique.

Le bonheur d'être anglais
Au début des années 60, un livre au titre retentissant, Suicide d'une nation, qui met en relief la décadence de l'Angleterre, connaît un grand succès à Londres. Il s'agit d'un ouvrage collectif dirigé par Arthur Koestler, l'auteur de Le zéro et l'infini, miraculeusement rescapé de la guerre civile espagnole, une sorte d'équivalent britannique d'Albert Camus, donc un intellectuel très respecté alors. Mais si ce livre touche tant les Anglais, c'est qu'il ne s'agit pas d'une spéculation intellectuelle abstraite. Les chiffres parlent d'eux-mêmes, l'Angleterre qui dominait le monde au 18e et 19e siècle, était sur le déclin. Sa part dans le commerce international était de 30 % en 1913, de 22 % en 1951, elle est de 15 % en 1960. Dans la décennie 50, son taux de croissance est de moitié inférieur à celui des autres pays de l'actuelle CEE.
En fait, avec la publication de ce livre, les Anglais prennent conscience d'un phénomène qui n'est pas nouveau. Le déclin a débuté dans les années 20, avec la plus grande ouverture du commerce mondial qui a provoqué une crise des exportations. Le chômage en 1921, a atteint brusquement 12, 9 % des actifs, et il est resté important durant plus d'une décennie. Toutefois, dans les années 30, la reprise fut plus vigoureuse en Angleterre que dans n'importe quel autre pays au monde. La crise des années 20 n'avait pas eu que de mauvais effets sur l'économie. Il y avait de la croissance, le niveau de vie avait augmenté grâce à des salaires élevés dans certains secteurs et une indemnisation du chômage généreuse. Par semaine, un couple de chômeurs avec un enfant touchait 30 shillings, alors qu'un ouvrier du textile dans le Lancashire n'en gagnait que 27. L'industrie se restructura. Elle se déplaça des lieux de production, côtes et bassins miniers, vers les lieux de consommation, c'est à dire le bassin de Londres. On fabriqua des biens d'équipement. En 1951, 60 % des logements anglais étaient équipés d'une salle de bains (France : 10% en 1954). Une société de consommation à l'américaine s'implantait alors. Les loisirs, favorisés par un taux d'urbanisation de 80 %, y tenaient une place importante. On vit apparaître les tondeuses à gazon et le livre de poche dès 1935. (1955
en France), et les bureaux de pari, les pubs, les cinémas, les salles de danse connurent de beaux jours. L'acteur Charles Laughton symbolisait bien les Anglais d'alors dans le rôle de L'extravagant Mr. Ruggles, un film de Leo Mc Carey, où le personnage, un domestique, abandonnait les rigidités britanniques pour le mode de vie libéral et démocratique américain.
Cet élan des années 30 facilita une gestion rigoureuse durant la guerre et permit au peuple britannique de supporter l'effort. Mais quand la paix fut venue, l'économie anglaise, bien qu'elle fut l'une des grosses bénéficiaires du plan Marshall, ne galopa pas aussi vite que les autres. L'avance prise dans les années 30 a sans doute été alors un handicap. Tandis que les Continentaux couraient après le confort américain, les Anglais déjà bien pourvus, ne se bousculaient pas pour changer leur téléviseur ou leur voiture. Cette apathie du marché intérieur ne stimulait pas l'innovation, donc la compétitivité internationale. Les Britanniques étaient cependant bien loin d'avoir abandonné la voie prise dans les années 30. Bien au contraire, quelques semaines après la paix, ils remerciaient Churchill en lui préférant les Travaillistes, manifestant, on ne peut plus clairement, leur demande de réformes sociales. Les nouveaux élus allaient créer le welfare state, qui préfigurait le rôle qu'allaient jouer les Etats dans l'Europe occidentale d'après guerre. Les Anglais choisissaient la qualité de la vie plutôt que la course à la production. Ainsi, la reconstruction ne se fit pas à l'identique, mais en aménageant des espaces verts au cœur des grandes villes. Là encore, les Anglais prenaient de l'avance. Les jeunes de 15-21 ans travaillaient à 80 %, mais pour la plupart dans le secteur tertiaire, alors que les mines manquaient de main-d'œuvre. Comme répondra plus tard Joe Gormley, le chef du syndicat des mineurs à Margaret Thatcher : " L'anglais n'est pas né pour travailler ".
Tout n'allait pas si mal pourtant dans ces années 50. Si la croissance n'était pas si forte qu'ailleurs, elle était quand même là, tirée par le boom économique généralisé. L'Angleterre continuait de danser. La vogue des dance halls symbolisait au mieux cette frénésie de loisirs. Ces grandes salles de danse accueillaient, dans les années 50, des orchestres de jazz traditionnel comme ceux de Chris Barber ou de Ken Colyer. Sociologiquement, le public du jazz New Orleans anglais était sensiblement différent de ce qu'il était de l'autre côté de la Manche à la même époque. En France, les amateurs de jazz étaient principalement étudiants et parisiens, alors qu'en Angleterre, ils étaient pour une large part issus des milieux techniciens et ouvriers qualifiés. Le jazz y bénéficiait donc d'une plus vaste assise sociale. Il y avait chez les Anglais moins de vénération respectueuse et érudite envers les légendaires musiciens noirs créateurs du genre et une adhésion plus spontanée à la musique et aux orchestres locaux qui la jouaient. Le skiffle relevait de la même relation décomplexée vis-à-vis de la musique américaine. Ces guitaristes et banjoïstes issus des groupes de jazz traditionnel interprétaient, d'abord durant l'entracte, des chansons des folklores ruraux noir et blanc américains, de Woody Guthrie à Leadbally. L'Ecossais au fort accent de Glasgow Lonnie Donegan connut dans ce style un énorme succès dans la deuxième moitié des années 50.
Le jazz trad, le skiffle étaient des musiques très vivantes, dont la scène était le lieu naturel d'expression. Les compagnies discographiques anglaises n'enregistraient les musiciens de ces styles que quand ils avaient acquis une forte réputation sur scène, mais elles ne les recherchaient pas, ne les découvraient pas, ne jouaient aucun rôle dynamique dans cette musique. Elles avaient d'ailleurs dans les années 50, des pratiques routinières basées sur la diffusion des produits américains et d'une variété nationale très stéréotypée. Quand le rock'n'roll arriva, le firme Decca eut la chance d'engager Tommy Steele, un musicien de skiffle à l'enthousiasme sympathique, qui passa sans problèmes, dès 1956, au style de Bill Haley. Le rock'n'roll s'était développé en Amérique à partir des petites firmes de disques régionales et d'un réseau de radios privées locales qui diffusaient leur production. Cela n'existait pas en Angleterre où quatre grandes compagnies (Decca, EMI, Philips, Pye) monopolisaient la production et où la radio était un monopole national. Les jeunes musiciens de rock'n'roll, peu expérimentés de la fin des années 50, étaient d'autre part difficilement admis dans les circuits du skiffle qui avaient leurs exigences. La rencontre avec leur public ne put se faire que sous la dépendance des maisons de disques, dont l'esprit d'aventure n'était pas le point fort. Malgré la compétence de Cliff Richard et de son groupe The Shadows ou l'inspiration du guitariste de Johnny Kidd, le rock'n'roll anglais présente peu de caractères originaux. On n'y retrouve pas l'approche jubilatoire et naturelle de la musique américaine propre au skiffle.
Ayant connu les bienfaits de l'américanisation dans les années 30, l'Angleterre était dans les années 50, le pays européen le moins ébloui par la culture d'outre atlantique. On put s'en apercevoir au début des années 60, quand la vogue du twist, partie des grandes villes populaires et métissées de l'est américain, fit se trémousser tout l'Occident. L'Angleterre resta à la traîne.

Vivre à Liverpool
Débouché portuaire du bassin minier du Lancashire, à l'estuaire de la rivière mersey, Liverpool a connu de belles heures dans le passé grâce à sa position de port le plus proche de l'Amérique. Il a ainsi été très actif dans le commerce de la main d'œuvre et l'importation du coton américain. L'industrie textile s'y est beaucoup développée au 19e siècle. La crise des années 20 affecte la Grande Bretagne de façon très variable suivant les régions et les secteurs. Les ouvriers mécaniciens du bassin de Londres sont très peu touchés mais les travailleurs des mines, des chantiers navals et du textile du Lancashire le sont durement. Cela entraîne des disparités de salaire importantes, (un mécanicien londonien gagne 66 shillings par semaine quand un ouvrier du textile en gagne 27), et une dépopulation du nord du pays au profit du sud. Au début des années 30, la population de la région londonienne augmente de 18 % alors que dans le même temps celle du pays noir diminue de 1 %.
Une véritable fracture nord-sud s'installe alors dans le pays, et elle perdurera malgré la chute généralisée du chômage et les efforts d'investissement de l'état dans le Lancashire après-guerre. Dans les années 50-60, le docker londonien, souvent d'origine galloise ne se sent pas tout à fait du même monde que son confrère liverpoolien, d'origine irlandaise, de religion catholique, à l'accent marqué et aux manières rudes.
Si l'industrie ne redémarre pas vraiment à Liverpool dans l'après-guerre, on y vit quand même assez bien à la faveur de la bonne santé économique occidentale. Les échanges avec l'Amérique sont importants, et les jeunes trouvent des emplois dans les services : secrétaires, manutentionnaires, coursiers, etc. Ce qui est, somme toute assez conforme à l'aspiration générale des jeunes Anglais à une vie basée non sur la production mais sur la consommation. Un autre secteur où quelques jeunes trouvent à s'employer est l'industrie du loisir qui tient une place non négligeable dans la vie liverpoolienne grâce à l'activité du port, à la présence des marins qui fréquentent les pubs et les boîtes de nuit. Les ensembles de skiffle dont le répertoire est propice à satisfaire l'importante clientèle américaine, sont nombreux. Et la demande de ces matelots d'outre-atlantique pousse les groupes à s'orienter vers le rock'n'roll, qui depuis 1955 fait fureur aux Etats-Unis et convient parfaitement à leur désir de défoulement. Vers la fin des années 50, quelques ensembles de skiffle s'orientent dans cette voie et adoptent les guitares électriques. Ce sont souvent ceux dont les musiciens sont très jeunes. Ainsi George Harrison, du groupe John Lennon and the Quarrymen a 15 ans à ses débuts. Bientôt, certaines boîtes de jazz comme la Cavern ou la Casbah accueillent principalement ces nouveaux groupes qui attirent non seulement les noctambules traditionnels mais aussi la jeunesse. Un bon nombre de ces jeunes ensembles sont seulement instrumentaux, influencés par les Shadows, qui viennent d'avoir un grand succès instrumental avec Apache. Dans ce registre, lors de leur première séance d'enregistrement The Beatles s (nouveau nom des Quarrymen) graveront Cry for a shadow. L'adoption de ce style instrumental est aussi dû à la difficulté de se faire entendre dans les lieux bruyants, à l'atmosphère chaude, où se produisent ces musiciens. Néanmoins certains de ces groupes utilisent aussi le chant. Souvent ils sont plusieurs chanteurs qui se relaient ou chantent ensemble. Cela permet de reprendre son souffle ou d'avoir plus de puissance à deux ou trois voix. Chez les Beatles, les trois guitaristes John Lennon, rythmique, Georges Harrison, soliste et Paul Mc Cartney, bassiste, sont aussi chanteurs. Seul le batteur est dispensé. Ainsi, pour répondre à la volonté d'excitation et d'enthousiasme du public, les groupes de Liverpool créent un style joyeux, confus, bruyant. Même si leur répertoire puise aux mêmes sources, le rock'n'roll américain et ses dérivés du début des années 60, on ne confond pas alors un groupe de Liverpool et les rock'n'rollers anglais comme Marty Wilde, Adam Faith ou Billy Fury, qui sont engagés par les grandes compagnies nationales et passent à la radio et à la télévision. Il s'est créé à Liverpool un style régional de rock, (au moins un style d'interprétation) comme cela s'était passé dans quelques régions des Etats Unis au cours des années 50. Ce phénomène n'intéresse pas du tout le show business. Les quelques groupes du Lancashire qui passent des auditions sont refusés. Il est vrai qu'ils représentent à peu près le contraire du musicien à recruter. Le manque de maîtrise étant une composante de leur son. La réputation des groupes de Liverpool ne dépasse donc guère les limites de leur ville. Plutôt que le sud de l'Angleterre, bien gardé par le show-business, leur terrain d'expansion naturel est le port d'Hambourg et les bases américaines en Allemagne. Ainsi les plus fameux combos liverpooliens , les Beatles, Rory Storm and the Hurricanes et tant d'autres font de longs séjours dans les clubs d'Hambourg où ils perfectionnent leur art. Un journal spécialisé à diffusion locale, Merseybeat paraît et publie chaque année un hit parade des groupes les plus populaires de la ville. En 1962, les Beatles sont classés premiers.

L'irrésistible ascension des prolétaires anglais
Propriétaire du plus grand magasin de disques de Liverpool, Brian Epstein est bien placé pour s'intéresser aux groupes locaux. Il peut raisonnablement penser que s'ils étaient connus, des groupes, qui sont si populaires sur les scènes locales, vendraient des disques dans son magasin, et pourraient élargir leur public au-delà des seuls clients des boîtes de nuit. Il fonde une écurie et engage quelques groupes locaux dont le plus réputé d'entre eux, The Beatles. Ce groupe a une bonne expérience de la scène, acquise notamment à la Cavern et à Hambourg. Dans cette dernière ville, il a enregistré avec le chanteur de Liverpool Tony Sheridan, des versions merseybeat des traditionnels My bonnie et When the saints go marchin in. Brian Epstein prend 25 % des bénéfices et va s'occuper d'eux. Au début, dès que le groupe s'éloignait un tant soit peu de sa base, Epstein affrétait un ou deux cars de fidèles qui assuraient le succès du groupe, dans une terre où il était inconnu. Dès le début de l'année 62, il obtient des auditions auprès des maisons de disques. Decca semble hésiter un moment puis opte pour un groupe de la région londonienne, Brian Poole and the Tremeloes. Les autres compagnies Philips, Pye, CBS ne sont pas intéressées, EMI non plus à priori, mais l'insistance d'Epstein finit par payer, et au mois de juin, un contrat est signé. L'un des arguments-clé d'Epstein a probablement été l'importance de ses activités dans la distribution du disque. En plus de sa boutique, il était grossiste pour tout le nord de l'Angleterre. Il avait donc une bonne connaissance du terrain et un fort pouvoir d'influence sur la diffusion des produits.
Love me do, sur le premier 45 tours des Beatles, atteignit la dix-septième place des hit-parade britanniques. Les disques avaient largement été achetés par la boutique d'Epstein. Une bonne façon de faire apparaître les Beatles dans les charts et d'obtenir ainsi des passages en radio qui faisaient augmenter les ventes. Le deuxième disque du groupe, Please, please me, reçut encore un meilleur accueil et apparut dans les toutes premières places des ventes. Dès le début de l'année 1963, Epstein n'avait plus besoin d'affrêter des cars de fans pour soutenir les Beatles, le public venait tout seul et l'enthousiasme qui gagnait les jeunes de la Cavern au passage de leurs groupes, gagnait toute la jeunesse anglaise. Et le phénomène s'amplifiait rapidement et considérablement. On parlait de beatlemanie à propos de cette forme d'hystérie collective qui s'emparait des foules, surtout des filles. Les succès se succédaient à la tête des hit-parades, From me to you, She loves you, Can't buy me love. Brian installa des bureaux à Londres, La musique de Liverpool avait gagné la bataille d'Angleterre. Il signa un contrat aux Etats Unis avec Swan et VeeJay, des petits labels spécialisés dans la musique noire, dont le circuit de diffusion s'avéra mal adapté aux Beatles, mais dès la fin de l'année, la grande compagnie Capitol allait fournir le soutien nécessaire et assurer le triomphe des quatre de Liverpool aux USA, où I want to hold your hand était numéro 1 au début de l'année 64. Leurs titres allaient se succéder à cette place jusqu'en juillet. Il y eut une semaine où ils occupèrent les cinq premières places des classements. Cette même année, Brian organisa une tournée américaine méticuleusement préparée, soutenue par une campagne médiatique maximale avec comme temps fort, un passage dans l'Ed Sullivan show, l'émission de variété la plus populaire des Etats-Unis. Cette tournée déclencha les mêmes émotions dans les grands stades américains que dans la petite cave de Liverpool, d'où le groupe était parti. On vit les mêmes scènes d'hystérie qu'en Europe avec des cordons de policiers protégeant les musiciens. Leur second album, With the Beatles, dépassa le million d'exemplaires en quelques semaines. Cela n'était jamais arrivé auparavant. En 1965, la Reine Elizabeth faisait des Beatles des Members of British Empire, en récompense pour leur contribution au commerce extérieur anglais qui se portait bien mal alors. Jusqu'en 1966, date où ils arrêtèrent de donner des concerts, la beatlemanie resta au même niveau. La France fut la seule fausse note dans ce parcours. Quand les Beatles se produisirent à l'Olympia durant quelques semaines, en janvier-février 64, alors qu'au moment-même ils s'installaient à la première place des hits américains, l'accueil fut plutôt réservé. La couverture médiatique avait pourtant été bien assurée. Sans doute que la compréhension des textes était nécessaire au public féminin pour être pleinement conquis. La France vint aux Beatles par la suite, mais d'une façon moins passionnelle que dans les pays anglo-saxons, et avec une proportion masculine plus importante.

L'économie d'un succès
Qui aurait pu prévoir un tel écho à ce petit groupe de club, si éloigné des critères établis du succès dans la musique de variétés. Brian Epstein, même s'il croyait à son produit, ne lui imaginait probablement pas un rendement aussi démesuré. Il joua un rôle crucial dans la carrière du groupe, par son appui au départ, par sa maîtrise de la situation par la suite et son application méticuleuse à ne négliger aucun détail qui puisse servir son groupe. Il ne révolutionna pas le management, cependant. Sur un grand nombre de points, il utilisa des moyens éprouvés pour promouvoir les Beatles . On vit ainsi apparaître dans les magasins des tee-shirts, des vestes, des bottines, des perruques Beatles, ainsi qu'un Beatles monthly chez les marchands de journaux. En amont, Brian semble avoir pris une part importante dans la mise au point de l'image du groupe, fin 62. Les Beatles abandonnèrent alors le cuir noir des fans de rock violent pour des costumes simples, qui devinrent parfois un peu fantaisistes. Leur coupe de cheveux allait dans le même sens, les Beatles prenaient le contre-pied des coupes rock'n'roll avec bananes et cheveux relevés en arrière, à la Presley ou James Dean et laissaient tomber leurs cheveux en avant, à plat sur le front et les tempes. Par ces signes forts, les Beatles gommaient toute référence à la rébellion de la jeunesse, mettaient en avant la gentillesse, la bonne humeur. Ils rompaient avec l'image " voyou sophistiqué " qui avait été dominante chez les chanteurs de rock avant eux, pour une allure décontractée, de garçon du coin de la rue qui ne prend pas la pose. Cette image sympathique passait bien dans les médias et auprès des parents. Elle était aussi tout à fait nouvelle et construisait au groupe une identité forte, affirmait un nouveau développement de la musique jeune, semblait s'adresser à une nouvelle génération.
En 1963, les enfants nés à la fin des années 40, lors du premier baby boom anglais, ont entre 13 et 20 ans et commencent à avoir de l'argent de poche. Ils vont constituer le public de base des Beatles, en Angleterre et dans le monde entier. Mais dans son pays, le groupe est aussi apprécié par les parents. Ainsi ils touchent un public beaucoup plus large que les rock'n'rollers qui les avaient précédés.
Sociologiquement, le public des Beatles était d'abord employé, ouvrier et féminin. Toutes les couches de la population qu'on ne trouvait pas ou peu parmi les fans de jazz quelques années plus tôt, et qui, maintenant, accédaient aussi aux loisirs. En fait c'était un public assez proche de celui des dance halls, mais les moyens et la puissance de diffusion avaient changé. Le succès de Lonnie Donegan au milieu des années 50 suit un cheminement assez similaire à celui des Beatles depuis les clubs skiffle jusqu'aux tops américains.
Avec les Beatles, les valeurs, les manières de la jeune classe ouvrière s'invitaient dans l'univers du rock et de la variété. Et ils y entraient tels qu'ils étaient, sans déguisement de star, sans laisser leur identité au vestiaire. Ils se conduisaient parfois comme des prolétaires dans un château, c'est à dire comme des chiens dans un jeu de quilles, pratiquaient un humour corrosif qui tournait beaucoup de choses en dérision, donnait de l'attrait à leurs interviews et à leurs films et une dimension subversive à leur image. Ainsi quand John Lennon disait en 63, au cours d'un gala réunissant toute la haute société, " Que ceux qui sont aux places bon marché applaudissent, les autres n'auront qu'à secouer leur quincaillerie. "

Les chants de l'innocence
Brian Epstein ne s'occupe pas de la musique des Beatles. C'est le travail de George Martin. Ce musicien de formation classique enregistrait surtout des artistes comiques chez EMI, avant de travailler avec eux. Peut-être était il donc plus sensible au message social et plus libre envers les conventions en vigueur dans la musique de variété. On dit qu'il aurait aimé enregistré à la Cavern en direct, mais renonça devant les difficultés techniques. Ce qui est sûr, c'est qu'il sut recréer en studio l'atmosphère du lieu dans I saw her standing there. Il réarrangea Love me do, que le groupe jouait trop à la manière de Buddy Holly, à son goût. Il leur fit aussi retravailler Please,please me. Il écarta Georges Harrison du chant et remplaça Pete Best par Ringo Starr, le batteur de Rory Storm and the Hurricanes.
Néanmoins, quel que soit l'importance d'un management et d'une réalisation bien compris, le succès des Beatles est dû d'abord aux Beatles eux-mêmes. Le mérite de Martin fut de comprendre et de respecter le style du groupe. Contrairement à un bon nombre de jeunes chanteurs, ils n'étaient pas que vocalistes mais aussi auteurs, compositeurs et instrumentistes. De plus, comme ils jouaient beaucoup sur scène, ils avaient déjà rôdés sur le public les chansons qu'ils apportaient et avaient une bonne idée sur la façon dont elles fonctionnaient.
Le style des Beatles avait pris naissance sur les scènes où ils interprétaient la musique américaine dans leurs années de formation, en relation avec les demandes et les réponses du public. Ils chantaient avec des voix aiguës, souvent à plusieurs et en canon, utilisaient des chœurs et des contrechants. La batterie était résolument binaire, la basse lourde et la guitare rythmique très métallique. Ils avaient une large connaissance de la musique américaine. Ils affectionnaient particulièrement les rock'n'rollers frénétiques noirs Little Richard et Larry Williams, les country rockers blancs Buddy Holly et les Everly Brothers, les guitaristes rockabilly Carl Perkins, Scotty Moore ou James Burton pour le jeu du soliste Georges Harrison, les girl groups comme les Shirelles ou les Chiffons, ou les groupes vocaux noirs doux, Drifters, Miracles , Ben E King.
On retrouve quelques unes des meilleurs caractéristiques de ces artistes dans le premier style des Beatles. Ils reprendront alors de nombreux classiques rock'n'roll, Long tall Sally, Rock'n'roll music, en les portant à un très haut degré d'excitation. Ils donnent dans ces versions comme dans leur composition I'm down, une image sublimée de ce qu'était le style merseybeat dans les clubs du Lancashire ou de Hambourg, ces années là. Ils reprennent également des succès de la musique noire en plein renouveau au début des années 60, Baby it's you, Boys,You really got a hold on me. Cette musique leur inspirera des versions aux arrangements assez complexes et influencera leurs harmonies.
Au confluent de toutes ces sources, Paul Mc Cartney et John Lennon se révèleront vite d'excellents compositeurs, charmants mélodistes, yesterday, habiles harmonistes, Help, et d'exceptionnels interprètes. Ils sauront maîtriser l'énergie du rock'n'roll, mettre le rythme au second plan sans perdre le dynamisme, grâce à un chant enjoué, avec des syllabes étirées sur plusieurs notes et des yeah yeah en fin de vers. Les textes bien ciselés autour d'une phrase-image clé, étaient très anodins et ne parlaient que d'amour adolescents, en évitant toute allusion sexuelle. I want to hold you hand (Je veux tenir ta main), le titre qui fit entrer les Beatles aux USA, est assez significatif sur ce plan. Cette réelle élaboration artistique n'ôtait pas à l'ensemble son caractère naturel, spontané qui était son premier atout auprès du public. Par leur maîtrise de sources très diverses, leur habilité, leur inventivité, les Beatles créaient une nouvelle forme de musique populaire.

Les chants de l'expérience
A leurs débuts, les Beatles se montrèrent surpris mais pas changés par leur succès. A la fin de l'année 63, alors que l'Angleterre leur était acquise, ils étaient toujours des petits prolos de Liverpool, un peu fatigués par les tournées, Paul pensait à se tourner vers la composition et Ringo, dont la fiancée était coiffeuse, rêvait d'un salon de coiffure. Quand l'Amérique tomba à leurs genoux, le phénomène Beatles prit aux yeux de ses membres une autre dimension, dans laquelle ils ne se sentaient plus tout à fait eux mêmes. Dans un premier temps, il semble que cela les ait incité à affiner encore leur travail musical, I feel fine, Help. Puis, en 1966, John Lennon déclarait que les Beatles étaient plus célèbres que Jésus. Cela n'était pas une simple boutade. Les Beatles avaient alors pris conscience de leur importance, de l'ampleur du phénomène dont ils étaient les fers de lance. Un phénomène qui n'était pas seulement artistique mais qu'on pouvait assimiler à une révolution des organisations sociales et des mentalités.
Cette prise de conscience avait été aidée par l'évolution de la musique jeune outre-atlantique, où l'apparition et la rapide popularité internationale de Bob Dylan avait mis en avant des préoccupations politico-sociales et une poétique plus individualisée. Cela incita John et Paul à écrire sur des thèmes plus personnels, I'm a loser, Penny Lane. D'autre part, les Beatles suivaient passionnément toutes les nombreuses démarches innovantes qui animaient la musiques jeune au milieu des années 60. Ainsi ils utilisèrent des harmonies vocales à la Beach Boys dans Paperback writer ou le sitar dans Norvegian wood et Within you,witout you, un quatuor à cordes dans Eleanor Rigby.A partir de 1966, les Beatles abandonnent la scène pour se consacrer au travail de création musicale proprement dit. Leur musique devient dès lors plus ambitieuse, parfois expérimentale, déjà dans l'album Rubber soul, en 65 et encore plus dans le suivant Revolver. En 67, Sergent Pepper's lonely hearts club band est le premier album concept de la musique jeune, c'est à dire un disque L P, dont les chansons ne sont pas réunies par hasard mais composées et organisées à partir d'un thème. Cet album, présenté dans une pochette ouvrante illustrée par un montage photo représentant divers personnages célèbres ou typiques autour des Beatles vêtus de costumes évoquant un orchestre de kiosque du 19e siècle, synthétise divers modes d'expression musicale On entend de la musique classique, des ensembles à cordes et de cors, de la musique de variété des années 20, du sitar indien, des trucages de studio modernistes, When I'm sixty four, des rêves éveillés, A day in the life, qui semble faire assez clairement allusion à la drogue. Avec ce disque en même temps somptueux et bon marché, les Beatles créent véritablement l'idée de pop music, c'est à dire d'une appropriation des formes musicales classiques, folkloriques et exotiques par les musiciens populaires contemporains et leur public.
Sergent Pepper's aura été un sommet créatif pour les Beatles. Après 67, des désaccords sur l'orientation artistique apparurent au sein du groupe. Paul avait été pour beaucoup dans Sergent Pepper's et se réjouissait d'explorer diverses formes d'expression musicale. John, qui avait été l'élément dominant au début du groupe, s'orientait vers le pacifisme révolutionnaire et une musique plus basique. De son côte, George versait dans le mysticisme. Toutefois, usqu'en 1970, les Beatles continuèrent d'exister et publièrent cinq albums, dont l'excellent " Double blanc " avec quelques petits chefs d'œuvre, où le charme de leurs premières années se mêle à un propos plus âpre, Get back, Let it be, Let it be, Something, Come together, Across the universe.

Une vie après les Beatles ?
Dès 69, John Lennon avait participé à un festival de rock'n'roll revival à Toronto, avec sa femme Yoko Ono, et Eric Clapton à la guitare. Un disque fut pressé. Yoko, artiste underground japonaise, vocalisait sur une face, et sur l'autre, John chantait des classiques du rock et un hymne à la paix, Give peace a chance. Il allait poursuivre dans une veine proche avec Instant Karma, Working class hero et l'une de ses plus célèbres ballades, Imagine. Jusqu'en 73, John se partagea entre cette voie engagée, et l'influence de Yoko, Les pochettes de disque les présentaient souvent dans une intimité très douce et unie, comme un modèle de couple. La provocation n'en était pas absente toutefois, et une pochette qui les montrait nus recto verso, fit scandale. Après 73, John prit ses distances avec la politique. Il enregistra un disque de rock'n'roll produit par Phil Spector, avec une excellente version du Stand by me de Ben E.King, qui avait toujours été une de ses références. Il donnera ensuite quelques ballades du plus haut niveau comme Woman, Starting over.
Bien que réputé plus modéré, Paul n'hésita pas à s'engager comme le montre l'un de ses premiers titres en solitaire interdit sur les ondes, Give Ireland back to the Irish. Il forma ensuite avec sa femme Linda et Denny Laine, ancien guitariste des Moody Blues, le groupe Wings, qui eut un grand succès tout au long des années 70, dans les hit-parades comme en tournée, avec de jolies mélodies soigneusement arrangées, Mull of Kyntyre, Let'em in, With a little luck. Dans les années 80, Paul devint végétarien, écologiste, donna des concerts humanitaires et connut encore un grand succès avec Ebony and ivory, une chanson anti-raciste, interprétée en duo avec Stevie Wonder.
George Harrison allait connaître un énorme succès dès 1970, avec My sweet lord, extrait de son triple album All things must pass. George était alors au sommet de son inspiration de compositeur. Il n'allait pas connaître de période aussi faste par la suite. Ringo Starr, qui ne composait pas et était un chanteur limité, connut néanmoins quelques belles réussites artistiques et commerciales dans les années 70, avec un rock relaxé et subtil, You're sixteen, It don't come easy.

Du Mersey à Hollywood
Le succès des Beatles amena les grandes compagnies londoniennes à s'intéresser à la musique de Liverpool, et à engager les meilleurs groupes. Environ 200 singles furent enregistrés en 63-64 par des groupes de cette ville. Très peu composaient. Leur répertoire était à base de rocks frénétiques américains et leur succès tenait à l'excitation qu'ils parvenaient à créer dans l'assistance, bien plus qu'à leur savoir-faire technique. Recréer cela dans un studio n'allait pas de soi. De plus, il fallait orienter le répertoire dans une veine plus mélodieuse, à l'instar des Beatles. Il fallait encore que les producteurs se remettent en cause, acceptent comme qualité une confusion que jusqu'alors ils auraient rejetée.
Homme du terrain, Brian Epstein est bien placé pour engager les meilleurs groupes de Liverpool dans la firme de management qu'il vient de créer. D'aucuns comme The Big Tree, qui pratiquaient un rock violent très apprécié sur scène, ne purent faire aussi bien en studio. Gerry and the Pacemakers, produits par George Martin, furent trois fois numéro 1 des ventes en Angleterre en 63 avec deux morceaux dans le ton Beatles, How do you do it et I like it et le reprise d'une ballade emphatique américaine, You'll never walk alone. Leur inspiration et leurs possibilités étaient assez limitées. D'autres recrues de Epstein connurent des succès, pour la plupart avec des mélodies de Lennon/McCartney. Ainsi, Billy J. Kramer and the Dakotas avec Do you want to know a secret, The Fourmost avec Hello little girl. A ses débuts, Cilla Black, qui fut gardienne du vestiaire de la Cavern, chanta aussi Lennon/McCartney, mais dans un arrangement variété. Elle s'orienta par la suite vers des reprises de succès américais et devint une vedette de la télévision.
D'autres groupes de la ville furent engagées dans les grandes compagnies en dehors d'Epstein. Ainsi The Swinging Blue Jeans reproduirent assez bien en studio l'énergie des scènes liverpooliennes dans Good golly miss Molly ou Hippy hippy shake. Ce dernier titre était repris du rocker hispano-américain, Chan Romero, et le solo de guitare était rejoué note pour note. The Merseybeats étaient aussi violents sur scène que doux sur disque, dans des ballades comme I think of you, avec de jolies harmonies et parties de guitare. Mais le plus créatif des groupes du Mersey fut The Searchers. Leur directeur artistique Tony Hatch, qui était aussi celui de Petula Clark, les aida à mettre au point un son original avec des voix douces et une guitare douze cordes. Influencés par les harmonies des Beatles, ils posaient les bases du son folk rock qui sera repris plus tard par les Byrds. Malgré un manque de matériel original, ils auront de beaux succès avec des reprises des Drifters, Sweets for my sweet ou de Jackie De Shannon, Needles and pins.
A quelques miles de là, vers l'intérieur des terres, au centre du bassin minier, Manchester, l'autre capitale du nord industriel a aussi ses jeunes ensembles rock et un club où ils se produisent, l'Oasis. On y découvrit quelques groupes brillants. The Hollies débutèrent avec des versions dynamiques de succès noirs américains, Searchin des Coasters et Stay des Zodiacs, puis évoluèrent avec des morceaux faits pour eux ou par eux, qui décrivaient la vie quotidienne avec un humour léger, Bus stop, On a carrousel, Jennifer Eccles. Ils se situaient quelque part entre la délicate fantaisie des Kinks et le folk rock des Byrds. Graham Nash, lassé d'un répertoire trop léger quitta le groupe pour Crosby, Stills, Nash, à la fin des années 60. Mais les Hollies eurent encore quelques succès au début des années 70.
Herman's Hermits fut l'autre grande réussite de Manchester. Le producteur Mickie Most mit en avant la voix et le charme enfantin du chanteur Peter Noone, qui n'avait que 16 ans. Le premier disque I'm into something good, fut un grand succès. Dans les studios, le groupe était assisté ou remplacé par des musiciens comme Jimmy Page ou John Paul Jones (futurs Led Zeppelin), et les arrangements étaient propres, plus dans le ton du soft rock américain que du merseybeat. Le succès fut immense aux Etats-Unis, où le groupe déclencha des scènes d'hystérie et entra 11 fois dans le Top 10, notamment avec des reprises de vieilles chansons de music hall anglais, I'm Henry the eght, Mrs Brown, you've got a lovely daughter, ou de charmantes mélodies interprétées et arrangées avec beaucoup de savoir faire, There's a kind of hush, Something's happening, No milk today.
Freddie, chanteur de Freddie and the Dreamers, était livreur de lait avant de chanter I'm telling you now, You were made for me, des chansons de style mersey doux, gentilles et gaies qui plurent tant au jeune public que Freddie devint la vedette d'une série pour enfants à la télévision. Wayne Fontana and the Mindbenders connurent également le succès avec une jolie ballade Groovy kind of love, avec sa gracieuse partie de guitare et un morceau plus rhythm'n'blues Game of love.
La popularité du merseybeat inspira des musiciens un peu partout en Angleterre. Quelques ensembles de la banlieue de Londres illustrèrent le style et en donnèrent parfois des visions personnelles. Ainsi Brian Poole and the Tremeloes, un orchestre de bal, enregistra des versions frénétiques de deux succès américains du jour, Twist and shout et Do you love me. Entre 67 et 70, sans Poole, The Tremeloes eurent de beaux succès avec des chansons optimistes aux harmonies ethérées, Silence is golden. The Dave Clark five, mené par le batteur du même nom, au jeu très spectaculaire, apparut un temps comme l'inventeur d'une alternative au merseybeat, le Tottenham sound, du nom de cette banlieue du nord de Londres d'où ils étaient originaires. Ils eurent quelques succès avec Glad all over, Catch us if you can, où ils créaient une atmosphère très excitée avec des cris et divers bruits.
The Zombies n'étaient pas issus des mêmes banlieues. Ils étaient étudiants et avaient reçu une éducation musicale. Leur connaissance du jazz et de la musique classique apporta un son différent dans la musique beat. La voix voilée du chanteur, le piano électrique jazz moderne et les changements de rythme créaient un climat étrange dans She's not there, Tell her no. Ils furent plus appréciés en Amérique qu'en Angleterre, peut-être à cause de leur allure d'étudiants qui était plutôt celle d'un groupe de la fin des années 60 que du début. Tous les membres du groupe firent carrières dans la musique par la suite.
Avec le succès des Beatles, le merseybeat eut aussi des répercussions sur la production américaine. Ainsi The Knickerbockers pastichèrent les Beatles avec succès dans Lies, et The Beau Brummels s'inspirèrent des Searchers dans Laugh, laugh, laugh.
Des producteurs de télévision hollywoodiens songèrent aussi à exploiter la beatlemanie, en racontant dans un feuilleton les aventures d'un groupe imaginaire qui leur ressemblait beaucoup, The Monkees. Pour cela, ils engagèrent quatre musiciens chanteurs, dont Davy Jones, un ex enfant star anglais né à Manchester. Grâce à un gros effort publicitaire et au concours d'excellents compositeurs comme Goffin &King, Pleasant valley Sunday ou Neil Diamond, I'm a believer, le succès et les scènes d'hystérie furent au rendez vous. On disait alors qu'en un an les Monkees gagnèrent autant d'argent que les Beatles en trois. Malgré le manque d'authenticité du groupe, la musique, un répertoire de sensiblité country, joué à la manière des Beatles, était de très bonne qualité.

Une révolution mondiale dont ils furent les héros
Le succès du merseybeat était complètement imprévisible. Il fut également éphémère. En 65, la scène de Liverpool ne jouait plus un rôle innovant dans la musique populaire anglaise. Il fut aussi déterminant. Que se serait passé sans les Beatles ? Les Rolling Stones, les Kinks, les Who auraient ils pu s'imposer ? Et la musique progressive des années 70, Genesis, Procol Harum, aurait-elle pu se développer sans Sergent pepper's ? Des garçons de la rue, issus des milieux populaires avaient envahi l'industrie des loisirs avec leur musique toute simple, leur joie de vivre et leur insouciance envers les préjugés et les critères de la respectabilité. Ils ne s'étaient pas grimés en jeunes rebelles sortis du cinéma américain, ils étaient restés eux-mêmes. Grâce aux médias modernes, ils avaient recueilli un immense écho, en particulier dans la jeunesse, porteuse du monde de demain. Le succès de la musique du sud Lancashire agît comme un révélateur. Il fut à l'origine d'une évolution décisive de la musique populaire.Il lui donna une toute autre dimension, d'autres ambitions.
Quand La période faste du style mersey fut terminée, les membres des groupes eurent peu de difficultés à se recycler. L'industrie du disque était alors en plein essor et leur offrait divers débouchés. Quelques musiciens qui avaient suffisamment de maîtrise technique furent engagés dans les studios des grandes compagnies. Mais un bon nombre de groupes qui avaient acquis une forte réputation, devinrent des attractions appréciées et bien rémunérées dans les cabarets. Ainsi les Searchers, Merseybeats, Pacemakers firent de très longues carrières.
Au fond, la brève période que ces artistes avaient passé sur le devant de la scène n'avait guère bouleversé leur vie. Il n'en fut pas de même pour les Beatles. Ringo ne devint jamais coiffeur et Paul jamais simple compositeur. A partir de 1964, avec la mondialisation de leur succès, les quatre de Liverpool prirent conscience de ce qu'ils représentaient, de leur propre pouvoir et se sentirent comme porteur d'un message. John se posa maintes questions sur lui-même et sur la religion, qui ne sont probablement pas sans relations avec la démesure de l'aventure Beatles. Paul resta plus concentré sur la musique et fut plus raisonnable dans les excès. On lui reprocha d'ailleurs cette sobriété, cette savante délicatesse qui était le propre de nombre de ses compositions. John et Paul furent tous deux très liés à leurs épouses respectives, Yoko et Linda. Sans doute, étaient elles un élément stabilisant, bien nécessaire à ces hommes qui étaient en même temps si célèbres et si seuls par leur destinée. En 1968, les Beatles se firent les disciples d'un maharishi hindou. Ils se lassèrent vite de cette relation peu claire, mais George resta attaché au mysticisme. Ringo lui, préféra l'alcool.
D'un coté, ce sentiment de responsabilité face à un tel investissement du public, de l'autre, ce besoin d'être fidèle à soi-même, de rester simple, de garder les pieds sur terre. Pas facile d'être un Beatles ! Mais le plus malheureux des quatre fut sans doute le cinquième. Brian Epstein, personnalité complexe, reconnu inapte aux armées, mentalement et émotionnellement. Il n'avait pas réussi à être acteur, mais il fallait un certain sens du théâtre pour mettre en scène les Beatles face aux médias comme il le faisait. Ses liens avec le groupe se relâchèrent quand les concerts s'arrêtèrent. Cela ne fut peut-être pas pour rien dans sa mort survenue un an plus tard, d'une surdose de barbituriques, seul dans son pied-à-terre londonien, tandis que les Beatles méditaient avec leur gourou. Un mauvais moment à passer pour tous.
C.V.

Bibliographie
Bertrand Lemonnier - Un siècle d'histoire industrielle du Royaume uni, Sédès 1997
Charlie Gillett - The sound of the city, Albin Michel 1986
Francis Newton - Une sociologie du jazz, Flammarion 1966

Discographie
The Beatles - Anthology 62-66 - EMI 7970362
Anthology 67-70 - EMI 7970392
With the Beatles - EMI 7464322
Beatles for sale - EMI 7464382
Help - EMI 7464392
Rubber soul - EMI 7464402
Revolver - EMI 7464412
Sergent pepper's - EMI 7464442
Magical mistery tour - EMI 7480622
The Beatles - EMI 7464438
Abbey road - EMI 7464462
Let it be - EMI 7464472
John Lennon - Imagine - EMI 52485826
Rock'n'roll - EMI 7467072
Paul Mc Cartney - All the best of - EMI 7485072
George Harrison - The best of - EMI 7468224
Hollies - The best of - EMI 5503429
Herman'Hermits - The story - EMI 7600323
Searchers - The greatest hits collection - Castle 40207951
Zombies - Greatest hits - EMI 0113036