Résumé de thèse
Thèse de nouveau doctorat Soutenue par John Mullen
Le 5/6/93 à l'université de Saint Denis. Préparée sous la direction de Maurice GoldringTitre : Une profession honorable ? Le conflit social dans la fonction publique britannique sous les gouvernements Thatcher-Major 1979-92
L'élection du gouvernement Thatcher en 1979 déclencha une série d'attaques contre le secteur public, considéré comme cause de gaspillage et d'inefficacité, et contre les syndicats, perçus comme défenseurs d'intérêts corporatistes et anti-nationaux. Les syndiqués de la fonction publique se sont trouvés au carrefour de ces deux offensives.
En même temps, les employés des services sociaux, syndiqués depuis très longtemps, se tournaient de plus en plus vers des formes classiques de syndicalisme combatif - les grèves devenaient de plus en plus fréquentes, et le développement de réseaux de délégués de bureau a entraîné une radicalisation de leur syndicalisme qui s'est dès lors apparenté à celui des ouvriers.
Salariés de l'État, travaillant dans des bureaux, en majorité des femmes, ces employés ont souvent été considérés comme ne faisant pas partie de la classe ouvrière. D'autres encore considèrent ces salariés comme des membres de la classe moyenne parce qu'ils ne produisent rien", parce qu'ils ont "un travail intellectuel et non manuel" ou parce qu'ils jouissent de "privilèges" ou de "prestige". Plus encore, certains considèrent que les cols blancs, même si objectivement ce sont des travailleurs, ne sont pas capables de développer une conscience de classe. Leur syndicalisme se réduirait donc à un corporatisme économique et apolitique.
D'autres considèrent que le secteur public se trouve en dehors du marché capitaliste, et qu'il n'y a donc ni employeur ni conflit de classe en ce milieu - tout au plus des problèmes de régulation.
Des auteurs féministes, par ailleurs, ont considéré que les employées féminines du bas de l'échelle subissent une oppression qui est due avant tout à leur sexe. De nouvelles modalités de lutte seraient donc nécessaires pour faire face à leurs problèmes, le vieil outil du syndicalisme étant inapproprié, démodé ou masculinisé.
Ce syndicalisme, lieu de tant d'interrogations, me semblait donc riche de possibilités d'études, et j'ai voulu en particulier essayer d'appliquer une grille d'analyse marxienne au conflit social dans ce secteur.
J'ai étudié les conditions de travail, les grèves et autres actions collectives des syndiqués au CPSA en Grande Bretagne, syndicat qui regroupe les employés de bureau de la fonction publique, pour tenter de répondre aux questions suivantes.
* Font-ils partie d'une nouvelle classe ouvrière ?
* Quelles sont leurs conditions de travail ?
* Quelles sont les modalités du contrôle social utilisé par l'Etat-employeur ?
* Peut-il y avoir une lutte de classes proprement dite dans le
secteur public et quelles sont ses modalités ?
* Y a-t-il des limites dans le développement d'une conscience de classe dans ce groupe ?
* Le groupe des hommes et femmes syndiqués est-il uni ou divisé par des conflits d'intérêts ?
* Quel est le rôle dans le conflit social de la direction syndicale ? Quelle différence y a-t-il entre dirigeants de gauche et de droite ?
* Quelle importance donner à la lutte des tendances politiques au sein de ce syndicat ?
* Que peut-on tirer de cet exemple pour développer une analyse plus générale de la classe ouvrière en mutation ?
Les sources principales dont je me suis servi sont les suivantes :
* Les travaux universitaires précédents concernant les cols blancs et leurs syndicats.
* Les médias britanniques, surtout en ce qui concerne leurs couvertures des plus grandes grèves. J'ai tenté aussi d'analyser l'intervention de la presse, y comprise celle des journaux tabloïds, lors des grèves, et lors des élections syndicales.
* La presse du syndicat CPSA. La presse syndicale, peu exploitée par les chercheurs, s'est révélée une source très riche, de par la masse d'informations qu'elle contient sur les conditions de travail, et de par le débat politique très vif dans les rubriques courrier.
* La presse des tendances politiques au sein du CPSA
* Les comptes rendus très détaillés des congrès du syndicat, qui permettent de cerner les opinions des délégués locaux qui n'ont pas en temps normal une voix publique. Ces comptes rendus m'ont permis de faire, par exemple, une analyse statistique de la participation des femmes au congrès.
* Des sondages d'opinion menés parmi les syndiqués du CPSA, commissionnés par la direction du syndicat.
* De précédents recueils d'interviews menés par d'autres chercheurs parmi des grévistes du CPSA en 1979 et 1981
* Les publications du gouvernement au sujet de la fonction publique.
* La presse socialiste britannique, une source indispensable quant aux grèves locales, très nombreuses et fréquemment menées sans l'approbation de la direction du syndicat.
J'en conclus qu'il y a eu effectivement un rapprochement de ces employés aux conditions de travail et de conflit de la classe ouvrière
Leurs conditions de travail sont entièrement prolétarisées. Le moyen normal de les défendre ou les faire progresser est par un combat collectif contre l'employeur, et ce conflit est permanent, "parfois caché, parfois ouvert", au sein de la fonction publique.
Leur combativité peut s'orienter vers toutes les questions du mouvement ouvrier, y comprises par exemple celles du racisme et du fascisme. Des rapports de solidarité peuvent exister entre ces employés et le reste du mouvement ouvrier.
Je me penche également sur la question théorique de la position de classe des employés de l'État. En rejetant l'idée selon laquelle la nationalisation ou le contrôle étatique de certains secteurs de l'économie est de nature non-capitaliste voire socialiste, je reprends une grille d'analyse qui part d'un concept de capitalisme d'État. Les forces du marché international forcent les gouvernements à opprimer leurs employés.
A partir d'une analyse détaillée de la position et des actions des dirigeants principaux du CPSA dans les années 1980, il apparaît qu'elle joue un rôle d'intégration du conflit endémique et de frein à la combativité de la base.
Quant à la question des femmes, j'ai trouvé qu'il existe le potentiel d'une unité entre hommes et femmes dans une démarche revendicative, même sur les nouveaux terrains de lutte tels que contre le harcèlement sexuel, contre le racisme. Il n'y a pas de modalités de lutte féminines. En même temps, l'oppression des femmes est omniprésente, et l'unité des syndiqués ne se forme qu'au prix d'une intervention consciente et déterminée des militant(e)s les plus actifs du syndicat.Lisez le premier chapitre sur le grande-bretagne.net
John Mullen
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