Les références à la classe sociale dans la presse de l'Inland Revenue Staff Federation : le syndicat des employés des impôts en Grande- Bretagne
John Mullen

Identités sociales dans la presse du syndicat des employés des impôts en Grande Bretagne Intervention au
séminaire du Centre d’Etudes des Sociétés du Commonwealth et des Iles Britanniques (CESCIB) à
l’université de Paris VIII le 22/1/94.

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Contexte

Depuis au moins 20 ans1, de nombreux auteurs ont souligné l'effacement des différences principales au niveau des conditions de travail et des salaires, entre les ouvriers, les "cols bleus" comme les a nommés la sociologie anglo-saxonne, et les employés, des "cols blancs". Ce processus d'uniformisation (qui est survenu en même temps qu'une croissance massive du nombre de "cols blancs") est devenu si évident que les statisticiens gouvernementaux aux Etats-Unis ont récemment abandonné la distinction entre "col blanc" et "col bleu".2 J'ai défendu ailleurs3que les employés de bureau du secteur public subissent depuis encore plus longtemps des conditions de travail et de salaire comparables avec celles des ouvriers de l'industrie.4

La concurrence internationale entre capitaux nationaux est le facteur décisif qui règle les conditions de ces salariés. Chaque Etat national est obligé de fournir des services à l'économie nationale (services sociaux, collection d'impôts, enseignement, maintien et extension d'infrastructure) au moindre prix, pour pouvoir libérer de l'argent - public et privé - pour l'investissement rentable. La crise économique a renforcé ces contraintes budgétaires, et dans tous les pays développés il y a eu un conflit plus marqué entre employés et employeur dans le secteur public que n'était le cas auparavant.5

Le contrôle indirect du marché sur le secteur public est devenu en Grande-Bretagne depuis 1979 plus direct, à cause de la politique libérale du gouvernement conservateur6. Dans la fonction publique, et dans les municipalités, ceci s'est traduit par l'introduction des "tests dans le marché libre", le Market testing,7 et de nombreuses autres tentatives de faire valoir les forces de marché à l'intérieur du secteur public.

Ces évolutions ont été accompagnées par un changement dans le mode de fonctionnement des syndicats des employés "cols blancs" du secteur public - L'utilisation des armes plus traditionnellement associées aux "cols bleus" (la grève, le piquet de grève, le refus collectif d'heures supplémentaires...) et l'émergence de formes d'organisation également peu connues dans le secteur (des "délégués d'atelier" - shop stewards). Cet article compte examiner le reflet idéologique de certains de ces changements dans la presse syndicale du Inland Revenue Staff Federation, syndicat des employés du ministère des impôts.8

Dans le ministère des impôts la politique thatchérienne s'est traduite par des contraintes nouvelles sur l'organisation syndicale (réduction des heures de délégation et autres droits syndicaux...9) . Et également par une campagne de privatisation graduelle au sein même de la fonction publique. Au sein du ministère des impôts les services qui sont, au moment où j'écris, en attente de privatisation comprennent les services de traitement de texte et de secrétariat, les services informatiques, les services de valorisation foncière, les services de conception et de rédaction d'outils analytiques...

Le syndicat et sa base

Une particularité qu'a l IRSF est celle de syndiquer des salariés de statuts différents. Il compte parmi ses adhérents des dactylos et d'autres employés de bureau, mais également des inspecteurs d'impôts et d'autres cadres.10 En ceci il diffère des syndicats interministériels de fonctionnaires, qui sont divisés entre syndicat d'employés de rang subalterne (CPSA) syndicat de positions intermédiaires (NUCPS) et syndicat de cadres supérieurs (FDA).

Autre particularité : l'IRSF compte un des taux de syndicalisation les plus élevés en Grande-Bretagne, sinon le plus élevé. Il a 57 000 adhérents, et un taux de syndicalisation au dessus de 90%. Dans certaines villes comme Edimbourg, le taux de syndicalisation est de 100%.

Les employés du ministère des impôts n'ont pas, la meilleure des réputations parmi les travailleurs dans l'ensemble. De tout temps, les fonctionnaires qui s'occupent de la collecte des impôts ont été considéré comme responsables des taux d'imposition.

Pourtant, leur position n'est pas spécialement privilégiée. Mais les employés des impôts ont toujours reçu des salaires légèrement plus élevés que ceux des autres fonctionnaires. Selon certains au sein du syndicat, ceci est dû à la nature plus spécialisée du travail. Alternativement, on peut considérer que c'est dû à la nécessité de fidéliser les employés plus que d'autres fonctionnaires, (par exemple ceux des services sociaux).

L'autre différence matérielle dans la position des employés des impôts par rapport aux autres fonctionnaires est la possibilité, au moins jusqu'à des années récentes, de se faire recruter dans le secteur privé. En particulier, les salariés au dessus d'un certain niveau de qualification sont très demandés par des cabinets de consultants financiers.

Ces particularités, à la fois de l'image de l'employé des impôts, et sa position matérielle, en plus d'un certain nombre de circonstances accidentelles ont mené à l'existence même de l'IRSF. Les salariés des autres ministères sont tous regroupés dans des syndicats "horizontaux". Le ministère des impôts est le seul à avoir un syndicat "vertical".

Néanmoins, on peut difficilement parler d'un groupe bien rémunéré. Les salaires actuels (janvier 1994) sont les suivants (en livres par an).
 
 
 
 
 
 
 

Statut Salaire en début de carrière Salaire en fin de carrière Exemple des salariés concernés
E2 6 332 11 556 Dactylo, employé de bureau
E1 8 885 14 232 Secrétaire de direction, agent de maîtrise
D 10 453 18 778 Chef de section

 
C2 14 417 23 306 Inspecteur d'impôts
C1 17 994 26 409 Responsable régional

 

Les statuts de E2 et de E1 ensemble constituent plus de deux tiers des salariés du ministère.

Histoire11

L' Association of Tax Clerks, formée en 1892, avait peu de succès au début. Les employés n'étaient pas payés par l'Etat central, mais étaient engagés à titre individuel par les inspecteurs des impôts. Les réunions de l'association se tenaient clandestinement à cette époque de peur de répression patronale, fait qui rapproche leur histoire à celle des autres syndicats .

En 1900, les premières discussions eurent lieu entre le gouvernement et les représentants des employés. Elles aboutirent au droit à une certaine sécurité de l'emploi. Néanmoins, pendant longtemps, les cadres supérieurs recommandaient le renvoi de tout membre de l'association.

Dès 1911, l'Association of Tax Clerks rentra à la confédération des syndicats, le TUC (Trades Union Congress). Il fut le premier syndicat de cols blancs à y rentrer.

Les pressions du syndicat et la complexité croissante du travail dans ce secteur (donnant lieu à un besoin de fidélisation du personnel) menèrent à la décision gouvernementale de 1914 de donner aux employés des impôts la pleine sécurité de l'emploi.

Après la première guerre mondiale, les débuts du Whitleyism12 signifièrent la reconnaissance par le gouvernement du syndicat, et des négociations régulières, et ce fait a beaucoup aidé à recruter de nouveaux membres.

A cette époque, plusieurs syndicats ouvriers gagnèrent des augmentations salariales importantes, et cela mena les employés des impôts à menacer de faire grève. En 1922 une nouvelle grille de salaires fut mise en place. Il s'agissait dans certains cas d'une multiplication du salaire par deux.

Dès 1922, le taux de recrutement de l'association était très impressionnant : 90 % des employés des impôts étaient membres de l'association.

Pendant la grève générale de 1926, il ne fut jamais question de rejoindre la grève. En fait, à l'époque, la possibilité de faire grève n'était pas prévue dans la constitution du syndicat. Même la proposition faite par quelques dirigeants d'accorder une aide financière aux grévistes était extrêmement controversée au sein du syndicat.

Pendant les décennies suivantes, il semble que la reconnaissance par les autorités du droit du syndicat à représenter ses membres sur les conseils Whitley ait mené à une certaine institutionnalisation du syndicat.

Un conflit continu entre la droite et la gauche à l'intérieur du syndicat se déclencha dans les années trente.. Chaque tendance avait sa presse, ses revendications. La gauche voulait, par exemple, que les dirigeants du syndicat gagnent à peu près le même salaire que les membres ; la droite agissait dans le sens d'une modération des revendications syndicales.

Les décennies d'après-guerre furent avant tout celles d'une résistance contre les politiques d'austérité des gouvernements successifs. Le fait que les employés des impôts, très au courant dans les domaines très complexes de la loi fiscale pouvaient facilement trouver mieux en quittant la fonction publique, a quand même forcé le gouvernement à accorder quelques augmentations salariales.

La Presse syndicale

L'IRSF édite un journal mensuel destiné à tous ses membres, dont le titre, bien sobre est Assessment. En effet, ce titre, faisant référence à la fois au travail professionnel et à une conception d'objectivité, n'a pas l'air excessivement revendicatif.

Assessment est distribué gratuitement à tous les syndiqués. Le contrôle du contenu rédactionnel est tenu par la direction du syndicat : essentiellement par les permanents, qui, depuis un certain temps sont de la tendance de droite du syndicat.13

Evidemment, il n'y a pas d'adéquation exacte entre l'idéologie présentée dans un journal syndical et les attitudes des syndiqués visés par la publication. Les permanents d'un syndicat peuvent être plus à droite ou plus à gauche que la base. Néanmoins, ils font un effort de refléter en partie les attitudes de la base, ne serait-ce que pour assurer une lecture de la presse et éviter d'antagoniser leur base14. En général on peut dire que l'idéologie de la direction syndicale est plus stable que celle de la base, laquelle a tendance à changer rapidement en temps de conflit.15

J'ai voulu découvrir à quel point la prolétarisation relative des employés du ministère des impôts est reflétée dans le contenu du journal, et à quel point des valeurs habituellement identifiées avec la classe moyenne (réussite individuelle, élitisme...) étaient présents dans le journal.

Références culturelles

Pour simplifier, j'ai divisé les références aux valeurs en référence culturelle - ce qui est en général représenté comme étant valable et justifié - et référence directement politique - quelles stratégies sont mises en valeur par rapport au conflit sur le lieu de travail ou dans la société dans son ensemble.

Il n'est pas surprenant qu'en moyenne, un ministère comme celui de la sécurité sociale a une meilleure réputation auprès des gens qui défendent les orientations du mouvement ouvrier que le ministère des impôts. Ce dernier peut donc attirer des personnes qui, même s'ils viennent d'un milieu modeste, partagent certaines valeurs de l'establishment. Mais il ne faudrait pas exagérer ce phénomène : les rangs inférieurs du ministère des impôts sont certainement peuplés, comme ceux des autres ministères, des gens pour qui "les impôts" représente un emploi (job), et pas une carrière (career).

Un phénomène qui marque immédiatement à la lecture de la presse de l'IRSF est la présence d'annonces de recrutement au sein du journal. En effet, les échelons supérieurs des fonctionnaires du ministère des impôts sont recherchés par des entreprises privées à cause de leur connaissances détaillées.

Un exemple typique est apparu en février 1994, de la part de la société d'assurances IRCPC, qui recherchait

      A tax consultant to advise and assist our clients on payroll and PAYE issues

      AND a Claims consultant on issues relating to schedule D tax matters.

      These positions would be ideally suited to people of Revenue Executive grades with at least five years experience at that level.
       
       

En 1989 et 1990, il pouvait y avoir quatre pages entières du journal (sur 16 ou 20) consacrées à ces annonces. En 1993 et 1994, il y en a eu bien moins - récemment seulement 1 ou 2 par journal.

Etant donné qu'il existe bien d'autres endroits où on peut s'informer sur les postes à pourvoir, la présence de ces annonces au sein d'un journal syndical représente une certaine idéologie. Encourager les syndiqués à chercher la réussite individuelle en dehors du service public n'est plus une des priorités de la plupart des syndicats de fonctionnaires. En effet, les journaux des autres syndicats de fonctionnaires ne publient pas de telles annonces.

Un autre numéro du journal donne un soutien chaleureux à l'association Ethnic minority Business Initiative qui vise à encourager et aider des PME dont les propriétaires sont issus des minorités ethniques. Cette position est particulièrement intéressante. Il combine un certain engagement anti-raciste qui ne correspond pas à l'apolitisme classique de la classe moyenne respectable, avec une orientation qui peut être considéré comme une orientation "classe moyenne" : chacun peut réussir s'il y met du sien, il faudrait simplement intervenir pour assurer qu'il y a une égalité des chances ("a level playing field").

Un dernier exemple : l'attitude du journal envers la charité a peu de liens avec les traditions du mouvement ouvrier. Des annonces et des publireportages ("advertorials") pour les associations caritatives sont fréquentes, et passent sans une orientation politique - sans une critique quelconque du rôle de la charité dans la société, critique qui fait pourtant partie de la tradition du mouvement ouvrier. A titre d'exemple, nous pouvons citer la publicité parue dans le numéro de mai 1990 en quête d'argent pour payer des chiens pour les aveugles.

Identifications ouvrières

Les origines ouvrières de nombreux agents des impôts, surtout des rangs inférieurs, l'aggravation de leurs conditions de travail depuis le début de la crise économique, et les changements dans les actions menées par le syndicat sont reflétés dans des références culturelles ouvrières.

La rubrique mensuelle humoristique Harry Dross me semble très intéressante du point de vue des identifications sociales de classe des rédacteurs du journal, et leur perception des identifications de leurs lecteurs. Il s'agit d'un feuilleton d'une demi-page écrit sous un pseudonyme, qui traite de la vie quotidienne d'un employé d'une quarantaine d'années dans le ministère de collection des impôts.

Ce monsieur, qui s'appelle Harry Dross 16 est doté d'une personnalité et des attitudes qu'on peut clairement identifier comme prolétaires. Il s'intéresse à la bière locale17 (à l'heure du déjeuner) les chevaux, et les fléchettes. Il fume des Park Drive18. Il s'efforce de travailler doucement sans trop se dépenser, et considère la direction purement et simplement comme des ennemis. Tout ce qui est cadre supérieur ou chef de l'industrie est présenté comme un parasite de la pire espèce. Ainsi en février 1994, Harry décrit ses impressions des patrons des assurances de Lloyds.

        Well... the way I understand this Lloyds business, these Names, who are all as rich as Croesus, all get together at this fancy club in London.... discussing Polo and drinking designer Latin-American beer which tastes of cats.19 After a while a phone rings and some Panamanian shipping magnate comes on. "How do lads20," he says, "How's tricks? Listen, I've got this chuffin great four hundred thousand ton tanker sailing from Kuwait to Rotterdam this afternoon. I bet you forty million quid it sinks on the way."

        All the Gervaises and Simons21 stop supping for a minute or two, have a quick weigh up of the odds, then they're back on the phone. "OK Gonzalez old boy - we'll give you five to one on that. We bet you two hundred million the old rustbucket22 makes it. Ciao."
         
         

Dans sa réflexion, il "découvre", à travers un ami, que la "méritocratie" capitaliste n'est pas la grande société de justice qu' on aurait pu penser.

      "But that's not fair!" Harry objected. "Neither's Black Beauty's23 bum" Tommy replied... "But thats not how they got rich in the first place, giving suckers even breaks."

Ces références culturelles ouvrières vont de pair chez Harry avec une politique de gauche tout ce qu'il y a de plus classique du militant syndical ouvrier et un esprit anarchisant très éloigné du conformisme habituellement représenté comme l'attitude typique de la classe moyenne. Suite à la journée d'action syndicale de novembre 1993, il ironise :

      I didn't think a one day strike was aggressive enough. I thought we should have kidnapped a couple of Treasury ministers and held them hostage in a small packing case full of live slugs until we got a cast iron guarantee that privatisation was out of the frame24... But ... the slugs objected on hygeine grounds...(décembre 1993)

Lui, ainsi que ses collègues, parlent un langage ouvrier, passent leur temps à se moquer du manager, etc. Il est également doté de certains préjugés sexistes, ou au moins d'une galanterie exagérée. Les épisodes traitent de tels problèmes que comment utiliser l'ordinateur du bureau pour calculer la forme des chevaux et gagner les paris.

Mais la rubrique n'entreprend pas de se moquer d'une caricature. Harry est un véritable anti-héros, qui ose faire ce que chacun rêve de faire au travail, et qui est doté d'un "common sense" présenté comme infiniment supérieur aux méthodes sophistiqués et le langage psychotechnique et autre des gros bonnets.

Des questions syndicales sérieuses sont également traitées dans cette rubrique. Une discussion entre Harry et un employé qui avait refusé de faire grève (décembre 1993) par exemple, traite de la démocratie syndicale et le besoin de solidarité dans la grève.

Harry Dross est ouvert à des interprétations différentes. Il est certain qu'on doit le prendre en partie au deuxième degré (tongue-in-cheek). Les membres de l'IRSF doivent ressembler assez peu à Harry dans l'ensemble. Néanmoins, les attitudes qu'il affiche sont considérées, je crois, par le rédacteur de cette rubrique comme des attitudes qui attireront la sympathie des lecteurs qui les considéreraient comme justes

En même temps, le fait que la présentation d'un employé ouvertement identifié avec la classe ouvrière traditionnelle soit cantonnée à la rubrique humoristique montre bien l'ambiguïté de l'identification de classe. L'éditorial du journal ferait plus facilement appel aux identifications "professionnelles" - de classe moyenne - des employés, là où la rubrique humoristique se permet une identification directe avec la classe ouvrière.

Références politiques

Les campagnes politiques présentées dans le journal et organisées à travers ses pages permettent également d'apercevoir des éléments des identifications sociales des syndiqués de l'IRSF.

L'IRSF a suivi les autres syndicats dans les années 1980 vers un intérêt beaucoup plus profond dans un combat contre le sexisme, le racisme, et d'autres oppressions. Les syndicats des cols blancs ont été ceux qui se sont engagés le plus dans ces activités, les syndicats ouvriers traditionnels ont suivi.

Ainsi dans le Assessment de Octobre 1993, apparaît un rapport de deux pages sur l'expérience des Noirs qui travaillent dans le ministère des impôts, avec des interviews d'employés noirs25. Le syndicat a organisé des stages pour des syndiqués Noirs, des stages pour tous ceux qui veulent combattre le racisme, s'est affiliés à la Ligue anti-nazie, et à l'Alliance anti-raciste, malgré les liens de ces organisations avec l'extrême gauche. Le syndicat a mis en place des responsables qui peuvent être contacté en cas de discrimination raciale. Et il diffuse de l'information sur le racisme de l'employeur (7.8% des Revenue Assistants, l'échelon le plus bas, sont Noirs, 4,5% des Revenue Executives (responsables pour le travail de 5 ou 6 personnes), 2,9% des inspecteurs d'impôts, et 1,9% des Senior inspectors. Il n'y a aucun Noir dans les quatre échelons les plus élevés.

Le journal de mai 1990 comprend un dossier similaire sur le sujet des femmes et les problèmes de santé au travail. Des études ont été faites sur l'effet du travail au bureau parmi les femmes de l'IRSF.

C'est le représentant de l'IRSF qui est intervenu au congrès du TUC pour s'opposer à toute discrimination envers les handicapés et les séropositifs.

Le grand nombre de lettres au journal, et de motions au congrès syndical qui traitent de ces problèmes d'oppression contredit absolument l'idée que ce syndicat est "apolitique". La structure des activités et débats politiques sera examinée ci-dessous quand nous parlons des luttes de tendance dans le syndicat. Le fait que ce soit un syndicat "vertical" ne semble pas empêcher une politisation.

Campagnes de gauche

L'IRSF n'est pas affilié au parti travailliste. Mais il y a néanmoins un lien évident entre ses instances dirigeantes et le parti travailliste. C'est ainsi qu'en 1990 un porte-parole de premier plan du parti travailliste, John Smith ( plus tard dirigeant du parti travailliste) a pris la parole au congrès du syndicat et a été très bien accueilli. Dans les années 80, aucun responsable des conservateurs a pu être entendu au congrès de l'IRSF.

Bien sûr il y a de nombreux syndiqués qui ont voté conservateur. Au sein du syndicat ils font entendre leur voix avant tout en tant qu'"apolitique". Et dans la section courrier, un syndiqué a même ressenti le besoin d'écrire au journal pour faire se plaindre des articles de première page qui attaquaient le gouvernement conservateur.

      We are not all socialists in the IRSF, therefore do not insult us by pretending we are. (5/90)

D'autres campagnes dans le journal ont compris une campagne de solidarité avec des prisonniers politiques en AFrique du Sud (9/90), un jumelage des sections syndicales de l'IRSF avec des groupes de femmes en Afrique du Sud (9/91). Cette campagne a eu lieu à la suite d'une intervention au congrès de juin 1990 par un syndicaliste Noir sud-africain, invité de l'IRSF. (6/90)

Le syndicat s'est également affilié à la ligue anti-nazie, une campagne radicale qui prévoit une opposition physique à toute réunion ou manifestation du Front national ou d'autres organisations fascistes ou fascisantes.

La politisation de l'action du syndicat représente un rapprochement de son idéologie à celle des organisations syndicales de type classique et un éloignement de toute idée d'association professionnelles ou syndicat de maison.

Corporatisme et conscience de classe

Pour ce qui est de l'activité purement syndicale. Il a été suggéré par certains auteurs que le militantisme syndical parmi les cols blancs était plus à même d'être un engagement corporatiste pour défendre des privilèges, qu'une démarche collective proprement dite. Il est vrai qu'on trouve dans Assessment des éléments de corporatisme.

Par exemple, le journal contient des rubriques séparées pour les sous-ministères différents (Valuation department, collection department, et au congrès les discussions sont souvent séparées pour une partie de l'ordre du jour en périodes pour chaque sous-ministère. Cette pratique n'est pas une pratique syndicale courante en Grande Bretagne.

Dans l'histoire des autres syndicats de la fonction publique (NALGO, CPSA) nous avons vu une évolution. Dans les années d'entre-deux-guerres et les années 1950, les corporatismes des sous-ministères dans ces syndicats étaient plus forts. Par exemple, les candidats lors des élections syndicales se présentaient souvent en tant que représentant d'un sous-ministère. Avec le tournant de ces syndicats vers une radicalisation relative - le début de l'utilisation courante de la grève, l'implantation d'un réseau de délégués de base, etc, les divisions entre sous-ministères ont été remplacées dans tous ces syndicats par des divisions entre tendances politiques, phénomènes qui sont maintenant au premier plan de la vie syndicale. L'IRSF voit la même dynamique mais est en retard par rapport aux autres syndicats.

Néanmoins, au sein de Assessment toutes les questions syndicales sont couvertes : des conditions de santé (revendiquant des chaises mieux adaptées, une journée de travail plus variée pour éviter une tension excessive sur certaines parties du corps comme le poignet et le dos.) Le syndicat essaie à travers le journal de mener des campagnes pour accroître l'unité et réduire la concurrence parmi les syndiqués. Par exemple, le salaire au mérite est dénoncé (9/91) car il permet facilement une division des salariés par l'encadrement. Et il revendique les mêmes droits pour les employés à temps partiel que pour les autres. (6/90)

De plus, il y a une conscience de l'unité d'intérêt entre les fonctionnaires des impôts et le mouvement ouvrier dans son ensemble. L'IRSF est affilié aux organisations du mouvement ouvrier - non seulement à la TUC, mais aussi aux organisations de recherche, d'édition etc qui fournit une infrastructure au travail syndical ( la Low Pay Unit, et le Labour Research Department, par exemple...)

Le journal a soutenu les syndiqués du GCHQ, qui ont été privés parle gouvernement conservateur du droit de se syndiquer. En même temps, nous voyons un soutien moins enthousiaste que dans les autres syndicats de la fonction publique tels que CPSA, NUCPS et NALGO. Ainsi, lors des grèves en 1988 contre le gouvernement à ce sujet, l'IRSF n'a pas rejoint les grèves, même si la consultation a vu le vote contre la grève l'emporter par un cheveu.(6/90)

Débat politique et lutte des tendances

Dans l'IRSF comme dans les autres syndicats de la fonction publique, les identifications des membres sont devenues de plus en plus ceux des courants différents du mouvement ouvrier, et de moins en moins des orientations professionnelles. Ainsi les candidats aux élections dans le syndicat sont présentés sur des listes d'organisations politiques. Dans l'IRSF, comme ailleurs il y a deux courants fondamentaux.26

Les "apolitiques", qui sont aussi couramment etiquettés comme étant "la droite du syndicat" même s'ils ne défendent jamais la politique du gouvernement conservateur dans le ministère, proposent des tactiques plus "modérées", mettent l'accent sur la possibilité de convaincre le gouvernement à travers la force de la raison. Ils préconisent une attitude de co-opération et de dialogue avec le gouvernement. Les "apolitiques" se positionnent largement comme une opposition à la gauche du syndicat, et se contentent souvent d'une critique radicale des propositions d'une gauche plus active.

La gauche, plus forte au congrès du syndicat que dans les élections27, plus fournie en militants actifs et engagés, défend une conception classique de l'unité syndicale, selon laquelle l'élément principal qui règle les conditions de travail est le rapport des forces entre l'employeur et le salarié. Tout ce qui peut renforcer l'unité des syndiqués autour des revendications est mise en valeur par ce courant. Ainsi (Assessment 9/90) il revendique des hausses salariales uniformes et non des hausses en pourcentage, car celles-là réduisent les écarts de salaires. Au congrès il propose régulièrement des motions de censure de la direction pour son "manque de combativité". (9/91)

Comme dans certains autres syndicats de cols blancs, les permanents défend la position des "modérés". Ceci est logique dans la mesure que c'est une position qui minimise la participation de la base du syndicat, et donc qui privilégie le rôle des négociateurs professionnels que sont les permanents.

Les "modérés" dans le syndicat nie la légitimité d'un positionnement politique. Ils s'attaquent à la gauche du syndicat dans IRSF Assessment pour avoir "amener la politique dans le syndicat". La gauche est critiquée parce qu'elle organise des réunions de leur tendance, et constitue des listes de tendance lors des élections syndicales. Une organisation opposée à la Broad Left s'est cristallisée autour d'une liste de candidats pour les élections syndicale de 1993 sous le nom de Putting Members First, qui nie régulièrement être une tendance politique elle-même. Elle édita néanmoins des tracts appelant à voter pour elle.

      (We are) people who stood for free choice and democratic decision making... Putting Members First has no constitution, no alternative meetings and no controlling steering committee. Every individual associated with Putting Members First has an equal say and influence. The overriding priority and link between its supporters is an insistence that members' interests are put before political dogma. (Rubrique courrier, juillet 1993)

Dans la rubrique courrier il y a également un débat entre les apolitiques et les défenseurs de la politique, débat qui n'implique pas uniquement les militants des tendances différentes, mais reflète un débat profond dans l'organisation. D'une part il y a Anne Clark qui déclare dans une lettre

      I an thoroughly fed up with the bickering between the different 'political' factions within the IRSF....It is time that all the elected representatives in our union put their differences aside and develop a plan of action to protect all members. (juillet 1993)

Tactique

Les mêmes divisions se voient au niveau des décisions tactiques du syndicat. Les "modérés" demandent de rester dans le cadre de l'idéologie de professionalisme - ainsi de négocier des revendications ou de faire appel à l'opinion publique. C'est ainsi que la campagne contre la sous-traitance suite aux exercices de Market testing fur menée sous le slogan "Keep it confidential", mettant en avant le danger supposé de faire traiter les dossiers des impôts pas des entreprises privées. La campagne essayait de gagner l'opinion publique en utilisant ce slogan "professionnel", plutôt qu'une revendication directe de la sauvegarde des emplois et des conditions de travail. Bien sûr en elle-même l'appel à l'opinion publique est une tactique éloignée de toute idée d'une combativité de classe. Les priorités de cette campagne sont bien présentes dans cet extrait de la première page de IRSF Assessment d'octobre 1993

      In recent weeks the IRSF has been closely involved in trying to persuade the government to change course - and avoid permanent damage to standards of public service.

      * The IRSF's Keep it confidential campaign, highlighting the risk which contracting work out would pose to the security of taxpayer and company information, has been stepped up.

      * General Secretary Clive Brooke led a delegation of union leaders who tried to make Government minister William Waldegrave see the fatal flaws in the madcap rush to more market tests.

      * Deputy General Secretary Jim McAuslan ... spelt out our demands for protection of terms and conditions. The unions have also pressed for a promise of no compulsory redundancies, and a full and free choice about future employment for those affected by market tests.
       
       

La gauche du syndicat défend les tactiques plus classiques du mouvement ouvrier : la grève en particulier. Ainsi la même première page appelle les syndiqués à signer une pétition contre la sous-traitance, et à faire grève pour une journée.

Conclusions

Une analyse de la presse de l'IRSF révèle en ce qui concerne les identifications sociales et la conscience de classe des syndiqués une situation hautement contradictoire. Certains aspects montrent une distanciation par rapport à une idéologie syndicale classique, et une orientation professionnelle typique de la classe moyenne. D'autres aspects montrent une conscience de classe tout à fait comparable à celle qui peut être présente dans un syndicat ouvrier.

Les deux conceptions de ce que devraient être un syndicat sont en conflit permanent au sein du syndicat, et de la presse du syndicat, qui est un lieu de débat permanent. Une des formes fondamentales de cette tension idéologiques est le conflit entre les diverses tendances organisées au sein du syndicat.

Des recherches plus approfondies du débat et des conflits idéologiques au sein des syndicats seraient certainement fructueuses, et la presse syndicale me semble une bonne source, trop souvent négligée, même si il ne faut pas oublier le statut problématique du discours qui s'y trouve.

John Mullen
 
 
 
 

1. En fait le premier était peut être Klingender F D 1935, The Condition of Clerical Labour in Britain 1881-1931, Martin Lawrence, Londres.

2. Adams R 1977, Bain's Theory of White-collar : a Conceptual Critique, in British Journal of Industrial Relations, janvier 1977. Armstrong Peter 1986, White-collar unions, Trade unions and Class Londres, Croom Helm.

Banks J A 1978, A Comment on Rosemary Crompton's "Approaches to the Study of White-collar Trade Unionism", in Sociology vol 12 1978. Blackburn R M 1967, Union Character and Social Class, Londres, Batsford.

Braverman H 1974, Labor and Monopoly Capital - The Degradation of Work in the 20th Century, New York, Monthly Review Press.

Craig Marianne et Phillips Eileen 1991, The Office Worker's Survival Handbook, Londres, Women' Press.

Crompton R et Jones G. 1984, White Collar Proletariat : Deskilling and Gender in Clerical Work, Londres, Macmillan.

Hyman R et Price R (Eds) 1983, The New Working Class? White Collar Workers and Their Organisations, Londres, Macmillan.

Kelly Aidan 1978, Job Satisfaction and the unionisation of the white-collar employee, in Studies vol 67 1978.

Mullen John 1989, White Collar Trade Unionism in Britain Today, mémoire de maîtrise non publié.
 
 

3. "Une profession honorable" ? : le conflit social dans la fonction publique britannique sous les gouvernements Thatcher-Major 1979-1992. Thèse soutenue à l'Université de Paris VIII en juin 1993. Voir surtout chapitres 4 et 5 .

4. Humphreys B V 1958, Clerical Unions in the Civil Service, Londres.

Edwards K 1975, Story of the Civil Service Union, Londres, Allen et Unwin.

Parris Henry 1973, Staff Relations in the Civil Service : fifty years of Whitleyism, Londres, Allen et Unwin.

Walker N 1961, Morale in the Civil Service : a study of the desk worker, Edinburgh, Edinburgh University Press.

5.Ibid ch 12

6. Pour une analyse de la réalité économique des gouvernements "libéraux, voir Beniès Nicolas 1988, L'après-libéralisme -Patronat et classe ouvrière dans la crise, Paris, PEC La Brèche.

7. En effet, l'obligation de faire des appels d'offre publics pour les divers services de la fonction publique.

8. Voir Mullen 1993 chapitre 2 pour une analyse du statut la presse syndicale et des réflexions sur l'absence de cette source dans la majorité d'oeuvres sociologiques traitant du syndicalisme des "cols blancs".

9. Labour Research Department 1986, Unions at Work : a Handbook for stewards and staff reps, Londres, LRD.

10. En ceci il ressemble à la NALGO - syndicat des salariés des municipalités, plus qu'aux syndicats de l'administration centrale. Voir John Mullen 1989 : White-collar Trade Unionism in Britain Today - the case of NALGO and of the MSF (Mémoire de Maîtrise Paris X) pour une étude sur la NALGO.

11. Brown A J 1983, The Taxmen's Tale : the first ninety years of the Inland Revenue Staff Federation, Londres, IRSF.

12. Pour une excellente histoire détaillée des origines de cette forme d'institutionnalisation des négociations et des conflits sociaux, voir : Sheldrake John 1988, The Origins of Public Sector Industrial Relations, Aldershot, Avebury.

Pour l'application du Whitleyism dans le secteur de la santé, voir Vulliamy D et Moore R 1979, Whitleyism and Health : the NHS and its Industrial Relations, Londres, Workers Education Authority.

13. Pour une analyse du sens des luttes de tendances à l'intérieur d'un syndicat voir Mullen 1993 ch11, et pour un traitement du phénomène en France voir Cours Saliès Pierre 1988, La CFDT Un Passé porteur d'avenir, Paris, La Brèche.

14. la désyndicalisation a été évidemment un phénomène important dans les années 1980 dans la plupart des pays développés. Les syndicats des fonctionnaires en Grande Bretagne ont survécu bien mieux que les syndicats du secteur privé. Et l'IRSF n'en a quasiment pas connu de désyndicalisation.

15. Voir Mullen 1993 ch 9

16. Mettons Albert Des Gueux

17. Une passion pour la bière de sa région et une opposition farouche à celle de toute autre région fait partie de la tradition culturelle du milieu ouvrier britannique.

18. Mettons des Gauloises sans filtre.

19. Habiter dans le sud d'Angleterre, et donc ne pas connaître de la bonne bière, qu'on ne peut trouver qu'au Nord, sont deux défauts de la classe moyenne dans la mythologie ouvrière classique du Nord du pays.

20. L'ironie de ce passage vient du fait que les bourgeois représentés parlent dans un langage ouvrier à l'ancienne.

21. Les Pierre-Henri et les Charles-Edouard

22. Caisse pourrie

23. La référence est au cheval dans le roman classique et l'émission télévisée du même nom.

24. Mettons "Exclu du jeu de cartes". En fait, il s'agit d'une image du billard.

25. IRSF Assessment suit la tradition anglo-américaine d'utiliser le mot "Noir" pour se référer à tous les gens issus des minorités ethniques de l'ancien empire britannique : des Antillais et des indiens, des Africains et des pakistanais etc.

26. Voir Edelstein J D et Warner 1979, Comparative Union Democracy : Organisation and Opposition in British and American Unions , Tierney D J 1982, Political Factions and the Rise of the Left in the CPSA, sans lieu. Mémoire de maîtrise non publié, disponible dans la bibliothèque du CPSA, et Mullen 1993 ch 11.

27. Voir Mullen 1993:233 et ss