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BILLET JUILLET-AOUT 2009

Au premier rang des intellectuels anti-totalitaires de l'après Seconde Guerre Mondiale se distingue George Orwell. Les deux dernières œuvres d'Orwell, Animal Farm (La ferme des animaux) et 1984 sont publiées respectivement en 1945 et en 1949. Elles ont la particularité de combiner un grand succès public (notamment aux Etats-Unis), une qualité littéraire indéniable et un engagement politique et social. Le contexte politique, à la fois national (le triomphe des travaillistes) et international (le prestige de l'URSS de Staline, la doctrine Truman et le Kominform) est inséparable de la notoriété de ces deux livres-clé de l'après-guerre, considérés à l'époque comme des Cold War Books mais qui trouvent encore au XXIème siècle (malheureusement?) un très large écho. On en veut pour preuve le succès mérité du "blog Orwell" (ou le journal de G.Orwell), édité par le site Orwell Prize, avec cette en exergue cette belle citation :

What I have most wanted to do… is to make political writing into an art.

Les auteurs récompensés par l'Orwell Prize méritent d'être cités car ces livres intéressent l'historien du temps présent (ainsi ceux de Peter Hennessy en 2007 ou de Michael Collinsen 2005 sur l'Angleterre des fifties)

1994 Anatol Lieven, The Baltic Revolution
1995 Fionnuala O’Connor, In Search of a State
1996 Fergal Keane, Season of Blood
1997 Peter Godwin, Mukiwa: A White Boy in Africa
1998 Patricia Hollis, Jennie Lee: A Life
1999 D.M. Thomas, Alexander Solzhenitsyn: A Century in His Life
2000 Brian Cathcart, The Case of Stephen Lawrence
2001 Michael Ignatieff, Virtual War
2002 Miranda Carter, Anthony Blunt: His Lives
2003 Francis Wheen, Hoo-Hahs and Passing Frenzies
2004 Robert Cooper, The Breaking of Nations
2005 Michael Collins, The Likes of Us
2006 Delia Jarrett-Macauley, Moses, Citizen and Me
2007 Peter Hennessy, Having It So Good
2008 Raja Shehadeh, Palestinian Walks

Revenons sur les conditions de publication des chefs d'oeuvre de G.Orwell. Intellectuel engagé dans le combat antifasciste des années 30, Orwell l'est tout autant dans la lutte contre le nazisme. Dans The Lion and the Unicorn, écrit pendant le Blitz, il analyse lucidement les perspectives politiques de l'Angleterre :

"Nous ne pouvons pas gagner la guerre sans introduire du socialisme ni établir le socialisme sans gagner la guerre".

A la fin de l'année 1943, Orwell est directeur littéraire de Tribune, revue dont les responsables sont George Strauss et Aneurin Bevan, travaillistes de gauche. Tribune est selon Orwell, "le seul hebdomadaire à la fois progressiste et humain - c'est à dire défendant un socialisme radical tout en respectant la liberté de parole et en adoptant une attitude de civilisé devant la littérature et les arts". L'anticommunisme domine en fait la pensée politique de Tribune, dans la perspective d'établir en Angleterre un "socialisme à visage humain", tout à fait opposé au modèle stalinien.
En 1944, Orwell cherche à faire éditer Animal Farm, représentation métaphorique du mythe soviétique et analyse de la théorie marxiste du point de vue des animaux. Le contexte international de 1944 rend difficile sa publication. Malgré ses qualités formelles et la force de sa fable swiftienne, le manuscrit est refusé par les grands éditeurs, Jonathan Cape et surtout Faber and Faber. Alerté par le soufre qui se dégage de ce court roman, le Ministère de l'Information suggère à T.S Eliot et par la même à Orwell de représenter les Bolchéviques par d'autres animaux plus nobles que les Cochons ! Animal Farm est finalement accepté par Secker & Warburg (éditeur alors à la réputation "trotskiste"), mais ne sort qu'en août 1945 et son tirage est confidentiel. Pourtant, Orwell connaît une rapide célébrité, presque une légende vivante en Angleterre, puis aux Etats-Unis. Il devient un personnage public, dont les articles dans Tribune et The Observer font autorité et dont le livre est adapté à la BBC (en 1947) puis après la mort d'Orwell au cinéma (en 1954 sous la forme d'un film d'animation puis en 1999 d'un téléfilm). L'écrivain peut s'engager un peu plus dans les combats politiques, sociaux et culturels de l'après-guerre. En 1946, il devient vice-président du Freedom Defence Committee, chargé de défendre le droit d'expression des minorités politiques, et notamment les socialistes radicaux et les anarchistes. On trouve dans ce comité Herbert Read (président) et des intellectuels et artistes comme E.M. Forster, Bertrand Russell, Cyril Connolly, Benjamin Britten, Michael Tippett, Henry Moore, Osbert Sitwell, Augustus John. L'auteur d'Animal Farm pose aussi les principes avec le philosophe Bertrand Russell et l'écrivain Arthur Koestler d'une League for the Dignity and Rights of Man, inspirée de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme de René Cassin. Ces principes humanistes serviront plus tard de base politique et morale à l'organisation humanitaire Amnesty International. A la fin de sa vie, Orwell collabore aussi - mais plus discrètement - à la propagande anticommuniste du Foreign Office (il y a des polémiques là-dessus, pas toujours de haute tenue).


En juin 1949, Secker & Warburg publient 1984, roman sur une Angleterre future, très inspiré de la guerre, de Postdam et du "partage du monde" mais qui se réfère aussi beaucoup à l'expérience socialiste en cours dans le pays. Un débat agite encore la critique pour savoir si 1984 est un livre de science-fiction ou, selon les mots d'Anthony Burgess, "la meilleure description de ce qu'était la vie pendant une période de privations matérielles qui semblait ne jamais finir."
1984 est une sorte de cauchemar vraisembable, modèle de ce que serait un régime mélangeant le nazisme et le socialisme bureaucratique, (l'Angsoc ou "socialisme anglais") au service d'une élite dont le pouvoir est sans limites ni géographiques ni mentales (Big Brother is watching you). Pour Bernard Crick, "1984 est au XXème siècle ce que le Leviathan de Thomas Hobbes fut au XVIIème siècle". La modernité du propos réside dans la descripition d'un monde envahi par les techniques de reproduction mécanique qui anéantissent la liberté individuelle ainsi que par un nouveau langage universel et simplifié (la novlangue). Si dans sa forme 1984 est moins achevé (?) que Animal Farm, il n'en constitue pas moins l'un des romans les plus importants du domaine anglo-saxon, qui donnera lieu à de multiples tentatives d'adaptation filmée (sur la BBC-TV en 1954 notamment, en 1984 sous la direction de M.Radford avec Richard Burton, sans oublier Brazil de Terry Gillian qui est très librement inspiré d'Orwell).

édition Folio récente


L'année de la mort d'Orwell (1950), 1984 est déjà l'un des premiers best-sellers littéraires de l'après-guerre - 50 000 exemplaires vendus en Grande-Bretagne, 360 000 aux Etats-Unis en comptabilisant les clubs du livre. La guerre froide en fait un livre de dénonciation du communisme, mais il s'agit avant tout d'une anti-utopie pessimiste sur l'avenir politique de l'Angleterre comme de l'humanité. Tout en ouvrant la voie à d'autres œuvres anti-utopiques (Lord of the Flies de William Golding en 1954, A Clockwork Orange de Anthony Burgess en 1962) et en se situant dans une tradition désormais bien établie (H.G.Wells, Aldous Huxley), Orwell anticipe sur les grandes désillusions des années 50 mais aussi sur le développement d'une société de masse dominée par le mensonge, le fanatisme, la violence et par le spectacle médiatique et technologique.

Après la chute du communisme (même s'il reste quelques bastions orwelliens comme la Corée du Nord), Big Brother n'a pas disparu pour autant. On peut certes diaboliser à ce titre le régime iranien (j'ai lu des commentaires récents assimilant ce pays au monde totalitaire de 1984...), mais balayons d'abord devant nos portes occidentales, aujourd'hui surveillées par d'innombrables caméras (selon le discours officiel, elles permettent de sécuriser les villes et traquer les délinquants!), sans parler du pistage de notre vie privée via les téléphones portables, l'Internet, les fichiers informatisés en tous genres, les passeports biométriques etc. Il existe d'ailleurs depuis une dizaine d'années les BBA, les Big Brother Awards, qui ont remis cette année les "césars de la surveillance" avec toute une série d'"Orwell" qui méritent bien cette appellation non contrôlée ! Dans le collimateur (entre autres, pour rester en France), le plan de vidéosurveillance de Paris, le fichier RNCPS et bien d'autres atteintes multiples à la démocratie citoyenne. Il ne s'agit certes pas de sombrer dans la paranoïa (théories du complot à la clé) mais de prendre au sérieux tout ce qui menace réellement nos libertés.©

 

Pour lire Orwell en anglais (ressources Internet)

Plus que jamais, Big Brother is Watching You!

 

 

 

 

 

   
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