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septembre/octobre 2013

 

Qui a inventé l'Ecole ? Charlemagne ?



Ce n'est pas "ce sacré Charlemagne" qui "a inventé l'école" (la chanson n'a d'ailleurs pas tout faux : Charlemagne est bien le digne fils de Pépin! ). Des écoles monastiques, épiscopales et presbytérales existaient bien avant les carolingiens, tandis que Carloman et Pépin le Bref ont compris dès le milieu du VIIIème siècle la nécessité de mieux former les clercs dans le cadre d'une réforme globale de l'Eglise. Charlemagne n'a fait que restaurer ces écoles, ce qu'il officialise dans l' Admonitio generalis de 789 (la première grande réforme scolaire !), par lequel il s’efforce de «corriger les erreurs, supprimer ce qui est superflu et encourager ce qui est juste» car «il est nécessaire de rassembler tous ceux que nous pouvons en vue de la pratique d’une bonne vie en l’honneur et à la gloire de notre Seigneur, Jésus-Christ» :

"Que dans chaque évéché, dans chaque monastère, on enseigne les psaumes, les notes, le chant, le calcul, la grammaire".

Attaché aux traditions franques et guerrières, Charlemagne n'est pas le prototype du lettré. Sachant très mal (ou pas du tout) écrire et ne maîtrisant pas le latin, le souverain s'est pourtant fait un devoir impérieux pour ne pas dire impérial de diffuser une culture qu'il considère comme essentielle à la diffusion du christianisme et à l'unification de l'Empire. Il y a en effet urgence pour le roi sacré en grande pompe (byzantine) à Rome en 800 : inculture crasse du clergé, latin écrit plus qu'incorrect (du "langage inculte" dénoncé par Charlemagne lui-même ou du moins son entourage), évêques débauchés et corrompus, retour en force des superstitions populaires, interprétations fausses des écritures...De fait, le souverain veut définir un bagage culturel minimal pour les prêtres. Après un niveau élémentaire où l'élève apprend à lire, puis à écrire, ainsi que des rudiments de chant et de calcul, il apprend le latin à l'aide de grammaires, de glossaires et de commentaires d'œuvres classiques; le clerc apprend donc à parler un latin purifié, langue de la prière et de la liturgie, mais aussi moyen d'accès aux connaissances supérieures. La plupart du temps, sa formation s'arrête là et parfois elle se poursuit par l'étude des autres branches des arts libéraux (comme le comput, la notation musicale ... ).

Charlemagne est un hyperactif et son entourage peine à le suivre. Il se préoccupe de l'inspection des écoles (notamment celle du palais, l'école palatine d'Aix-la-Chapelle), tel un ministre de l'Education nationale le jour de la rentrée scolaire. Ouverte à des fils des dignitaires de la Cour et de l'aristocratie destinés à exercer de hautes charges dans l'administration ou l'Église, l'école du Palais dispense à une trentaine d'élèves des éléments de culture générale dans un cadre animé d'une intense vie intellectuelle (mais il est probable que cette école soit bien la seule à ce niveau en dehors de quelques monastères bénédictins !). Charlemagne impose aussi dans son Royaume l'écriture en minuscule caroline (lettre ronde, plus facile à lire que la cursive), une vraie révolution scripturale avant celle de l'imprimerie : le personnel administratif laïc doit savoir lire et écrire, autant sinon mieux que les clercs. Une réforme qui ne touche en aucun cas la grande majorité de la population qui ne sait rien du latin et s'exprime en langues romanes ou germaniques.

Charlemagne, en bon empereur de la tradition romano-byzantine, rassemble à la cour des savants, des lettrés venus de toute l'Europe (Alcuin, Theodulphe) et il fait du latin une langue officielle, à la fois langue administrative et langue savante de la culture. C'est l'occasion d'une relecture des textes chrétiens des premiers siècles, la (re)découverte de beuacoup de "classiques" de l'Antiquité romaine, ce qui a d'ailleurs poussé les historiens romantiques à y voir une "renaissance carolingienne" (le terme est resté, toujours discuté mais jamais abandonné). Pierre Riché, le médiéviste bien connu, envisage la naissance d'une Europe politique et culturelle (une culture occidentale) dans son Europe des Carolingiens.

L'école sous Charlemagne et Louis le Pieux

Eginhard, un élève d'Alcuin, prend modèle sur Suétone pour dresser un portrait très vivant de l'Empereur, ce qui contribue aussi à en faire un mythe durable ; la Vita Caroli Magni qu'il rédige, sans doute entre 830 et 836, devient très tôt la vulgate du règne de Charlemagne et ne cesse d'être recopiée tout au long du Moyen Âge et au-delà.

Eginhard, biographe de Charlemagne.

"Doué d’une éloquence abondante et forte, il s’exprimait avec une grande netteté sur toute espèce de sujets. Ne se bornant pas à sa langue paternelle, il donna beaucoup de soins à l’étude des langues étrangères, et apprit si bien le latin qu’il s’en servait comme de sa propre langue ; quant au grec, il le comprenait mieux qu’il ne le parlait. La fécondité de sa conversation était telle au surplus qu’il paraissait aimer trop à causer. Passionné pour les arts libéraux, il respectait les hommes qui s’y distinguaient et les comblait d’honneurs.

Le diacre Pierre, vieillard, natif de Pise, lui apprit la grammaire ; dans les autres sciences il eut pour maître Albin, surnommé Alcuin, diacre breton, Saxon d’origine, l’homme le plus savant de son temps ; ce fut sous sa direction que Charles consacra beaucoup de temps et de travail à l’étude de la rhétorique, de la dialectique et surtout de l’astronomie, apprenant l’art de calculer la marche des astres et suivent leur cours avec une attention scrupuleuse et une étonnante sagacité ; il essaya même d’écrire, et avait habituellement sous le chevet de son lit des tablettes et des exemples pour s’exercer à former des lettres quand il se trouvait quelques instants libres ; mais il réussit peu dans cette étude commencée trop tard et à un âge peu convenable. Élevé dès sa plus tendre enfance dans la religion chrétienne, ce monarque l’honora toujours avec une exemplaire et sainte piété.

Poussé par sa dévotion il bâtit à Aix-la-Chapelle une basilique d’une grande beauté, l’enrichit d’or, d’argent, et de magnifiques candélabres, l’orna de portes et de grilles de bronze massif, et fit venir pour sa construction, de Ravenne et de Rome, les colonnes et les marbres qu’il ne pouvait tirer d’aucun autre endroit. Il s’y rendait exactement, pour les prières publiques, le matin et le soir, et y allait même aux offices de la nuit et à l’heure du saint sacrifice, tant que sa santé le lui permettait ; veillant avec attention à ce que les cérémonies s’y fissent avec une grande décence, il recommandait sans cesse aux gardiens de ne pas souffrir qu’on y apportât ou qu’on y laissait rien de malpropre ou d’indigne de la sainteté du lieu.

Les vases sacrés d’or et d’argent et les ornements sacerdotaux dont il fit don à cette église étaient en si grande abondance que lorsqu’on célébrait les saints mystères, les portiers, qui sont les clercs du dernier rang, n’avaient pas besoin de se servir de leurs propres habits. Ce prince mit le plus grand soin à réformer la manière de réciter et de chanter les psaumes ; lui-même était fort habile à l’un et à l’autre, quoiqu’il ne récitât jamais en public et ne chantât qu’à voix basse et avec le gros des fidèles."

C'est le début d'une histoire légendaire, faites d'images d'Epinal qui ont marqué des générations d'écoliers. L'image de Charlemagne ci-dessous est typique de celles qui illustraient les manuels scolaires de l'école élémentaire et aussi secondaire. Elle succède à celle des Mérovingiens (les rois fainéants affalés sur leurs chars, une invention d'Eginhard) et précède celle de Saint-Louis rendant la justice souveraine sous le chêne de Vincennes.

 

 

L'histoire légendaire de Charlemagne se met enfin à la mode yé-yé, dans une chanson plutôt rigolote de France Gall. Et dans le "clip" tourné à la rentrée de 1964, Charlemagne est bien présent, statue géante et débonnaire (quoique un peu lubrique) autour de laquelle dansent des écolières (?) bien sages...Pas si sages que cela. Quatre ans plus tard, elles seront peut-être sur les barricades de la rue Soufflot, passant de la haine de Carolus à celle de Charles le Grand !

 

   
 

 

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