UNE VIE D'OMBRE(S)

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Né à Pont-Audemer en 1930, mort le 11 novembre 2020 près de Lisieux (Calvados), Jude Stéfan - son vrai nom est Jacques Dufour - fut poète, nouvelliste, essayiste, diariste, traducteur, critique et moraliste. Il fut aussi auteur de dictionnaire aux articles nourris de références livresques et artistiques personnelles. La variété de son œuvre ne lui ôte pas sa cohérence poétique et nombreux sont les liens qui se tissent ici entre formes brèves, fragmentaires et formes plus longues.
            Sa formation intellectuelle fut initialement très classique.  Par ses études (« Droit, Lettres, Philosophie »)  elle comprend l’étude de la littérature, des langues anciennes - le latin et le grec - et vivantes, dont il ne cessa par la suite d’enrichir la liste. Il y a les langues  apprises qui lui sont chères comme l’Anglais, « la langue manquée », l’Italien, ou encore le  russe, langue de référence qu’il s’est choisie. La culture vaste, universelle, du poète semble n’ignorer aucun livre. Son intérêt pour l’art dont témoigne également sa collaboration avec des  peintres, graveurs,  sculpteurs, photographes fut tout aussi profond et fondateur de son écriture. Le cinéma aussi fut une passion longtemps entretenue, tout comme le sport de compétition (lecteur quotidien de l'Equipe et fin connaisseur du tennis et du football).
            Les aperçus qu’il donne de son existence laissent entrevoir une vie de province retirée, au cours de laquelle le poète Jude Stéfan a exercé en tant que professeur de lettres classiques au lycée de Bernay, dans l’Eure. Parallèlement,  il situe son  entrée en écriture dans les années cinquante,  au moment où il se trouve atteint de polyarthrite et passe plusieurs mois en retrait (alors qu'il était un tennisman accompli). Il compose alors des Satires, qui deviendront Gnomiques lors de leur parution en 1985. Par cette œuvre, à la fin des années soixante, il  entre en contact avec des poètes et des écrivains, tels Maurice Blanchot et Georges Lambrichs qui l’introduit dans le groupe des Cahiers du Chemin. Ces rencontres essentielles pour lui ouvrent la voie à toutes celles qui le rapprochent des personnalités littéraires fortes et sont marquées par des échanges épistolaires et  des collaborations à de nombreuses revues. Il collabore tant à la N.R.F. qu’à des revues plus jeunes ou plus confidentielles. Sa relation à ses éditeurs (Gallimard en premier lieu), son attachement à leur qualité littéraire comptent également.
            Son œuvre garde trace de  son  histoire personnelle  de façon indirecte, par les initiales de prénoms, de noms de personne et de lieu interposées.  Jude Stéfan aimait beaucoup les femmes, assez peu la "province" (où il vivait pourtant) et encore moins la médiocrité. Son vrai/faux cynisme et son ironie mordante, parfois ses déclarations à l'emporte-pièce ne lui ont pas fait que des amis. Mais il a toujours conservé un noyau de fidèles. Son esthétique très singulière  rend  contemporains  les poètes de l’Antiquité et ceux  de ce  début du  XXIème siècle. Ainsi, quoique « auteur inclassable », forge-t-il son appartenance à « l’extrême contemporain ».  Il en fut, à l’instar de Jacques Roubaud ou de Philippe Sollers dont il se sentait proche. La vitalité créatrice de Jude Stéfan s’exprimait symboliquement dans sa faculté d’offrir en une même saison des œuvres différentes, fortes. Ainsi, en 2008, a-t-il publié une somme, le dictionnaire Pandectes ou le neveu de Bayle (Gallimard), un poème long, Les Commourants (Argol) et un recueil de nouvelles, L’Idiot de village (Champ Vallon). En 2010 est paru chez Gallimard Que ne suis-je Catulle, un opus qui résume bien les multiples facettes du poète. Il a également obtenu le Prix Max Jacob en 1985 et le Grand prix de Poésie de la Ville de Paris en 2000. Une belle exposition rétrospective qui s'est déroulée à Orbec-La-Vespiere (Calvados) en juillet 2010 a permis de mieux parcourir cette "vie d'ombres". Son dernier livre est paru chez Gallimard en 2012, Disparates. Comme le souligne une belle nécrologie parue dans le Monde, "son œuvre est l’une des plus marquantes et singulières de la seconde moitié du XXe siècle".

Je connaissais bien le poète qui venait régulièrement (et à l'improviste) déjeuner chez nous en Normandie ou s'invitait pour de longues conversations, surtout avec mon épouse, qui a beaucoup travaillé sur son oeuvre, publié des articles, co-organisé colloque et exposition.

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L’espace de l’exposition d'Orbec (2010) se divisait alors en trois temps
l’Amour,
L’impossibilité est le vrai lieu de l’Amour : lui seul révèle
la tragique ambiguité possible-impossible

le Temps
Attendre ; non plus le miracle, mais la certitude
de son impossibilité

la Mort.
La mort est à la limite de l’inconnaissable
révélation du néant inconnu

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On a pu y admirer un véritable musée imaginaire, où se mêlaient souvenirs, manuscrits, sculptures, photographies, peintures et estampes de différents musées - un Falconet, un Constable, un Valtat ! - , avec des installations du plasticien Marc-Antoine Orellana à partir de poèmes de JS.

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Donatello (1826-1466) :
David au Bargello
Gattamelta à Padoue
sur la fin de sa vie
invente l’art
du non-finito,
l’Inachevé

Jude Stefan

Femme de profil
« de dos
« de face
« de loin
« de près
« partout
sculpteur fréférè de
Catherine de Médicis
(1537-1590). Sa Rue
parisienne était hantée
de Filles (XVIIIe métro
Pigalle) (cf. «Vie de
mon frère)

Jude Stéfan

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Campos-Santos (M-A Orenalla)

Bibliographie choisie de Jude Stéfan

· Cyprès - Gallimard, 1967
· Libères - Gallimard, 1970
· Vie de mon frère - Gallimard, 1973
· Idylles ; suivi de Cippes - Gallimard, 1973
· La crevaison - Gallimard, 1976
· Poésie - Éditions Guanda, Italie, 1978
· Aux chiens du soir : poèmes en titre -
Gallimard, 1979
· Lettres tombales - Le Temps qu'il fait, 1983
· Suites slaves - Ryôan-ji, 1983
· Litanies du scribe - Le temps qu'il fait, 1984
· Laures : poèmes - Gallimard, 1984
· Les Accidents - Ryôan-ji, 1984
· La Vieille Parque - L'Instant perpétuel, 1984
· Gnomiques ou de l'Inconsolation - Le Temps
qu'il fait, 1985
· Alme Diane - Le Temps qu'il fait, 1986
· Faux journal - Le Temps qu'il fait, 1986
· Les États du corps - Champ Vallon, 1987
· Dialogue avec la soeur - Champ Vallon, 1987
· Dialogue des figures - Champ Vallon,
1988
· A la vieille Parque ; précédé de Libères - Gallimard, 1989
· De Catulle : et vingt transcriptions - LeTemps qu'il fait, 1990
· Stances : ou 52 contre-haï-ku - Le Temps qu'il fait, 1991
· La fête de la patronne - Champ Vallon, 1991
· Xénies - Gallimard, 1992
· Scholies - Le Temps qu'il fait, 1992
· Le nouvelliste - Champ Vallon, 1993
· Elégiades ; suivi de Deux méditations - Gallimard, 1993
· Epitomé ou Chrestomathie à l'usage des débutants en littérature - Le Temps qu'il fait, 1993
· Senilia - Le Temps qu'il fait, 1994
· Prosopopées - Gallimard, 1995

· Variété VI - Le Temps qu'il fait, 1995
· Scènes dernières : histoires de vie-mort - Champ Vallon, 1995

· Chroniques catoniques - La Table ronde, 1996
· PrOsEMES - L'Instant perpétuel, 1997
· Povrésies ou 65 poèmes autant d'années - Gallimard, 1997
· Silles - Le Temps qu'il fait, 1997
· Quatre épodes - Clarisse, 1998
· Vie de Saint - Champ Vallon, 1998
· Epodes ou poèmes de la désuétude -
Gallimard, 1999
· Variété VII - Le Temps qu'il fait, 2000
· 25 lettres d'alphabet - Caedere, 2000
· Litanies du scribe avec rajouts- Caedere, 2001
· Génitifs - Gallimard, 2001
· Lettre à une morte - L'Instant perpétuel, 2002
· La muse Province - Gallimard, 2002
· Oraisons funestes - Champ Vallon, 2003
· L'anti-pédagogue - tirage(s) limité(s), 2003
· Le Sillographe (Diurnal invectif 1997-2003) - Champ Vallon, 2004
· Les Stéfan - L'Instant perpétuel, 2004
· Caprices - Gallimard, 2004
· Thanasies - L'Instant perpétuel, 2005
· Jude Stéfan, rencontre avec Tristan Hordé - Argol, 2005
· L'angliciste - Champ Vallon, 2006
· Désespérance, déposition - Gallimard, 2006
· Grains & issues - La Ligne d'ombre [1], 2007
· Pandectes ou le neveu de Bayle - Gallimard, 2008
· Les Commourants, éditions Argol, 2008
· L'Idiot de village, éditions Champ Vallon, 2008.
- Que ne suis-je Catulle, Gallimard, 2010

- Disparates, Gallimard, 2012

poèmes

      

PAROLES DE LA DESCENTE
                  Jude Stéfan

 

sur terre la luxure n’en finissait pas
déplorait Dante à Virgile ou à Stace
à la tête plutôt qu’au pied des choses
aux anges de tuer les renards, arrivés
dans le neuvième trou des Enfers dans
le feu des coïncidences avec une gaupe
ajustant son monocle ou son parapluie
la rivière nous séparait d’elle les élues
                 à jamais si près
et j’ai dépouillé jeté tous mes livres
à la nuit quand j’appelais Denise tout
                  désir brandi
au pas de duvet sur le trottoir en hâte
nous nous dénudions du travail gémissant
                  si vous saviez
et le disciple de serrer le bras du maître
comme dédaigneux sous la pluie ils allaient

Aux chiens du soir, 1979

 

L’amour à trois nous y nageâmes tels

vagues l’une à l’autre s’enroulant moi

votre gai prêtre nu que vous lustriez

de vos caresses et vos rires riva-

les embrassées. Car c’est le nu et le

rien et l’amour saint des nues de pluies

des vies et de la terre que nous priions

sous l’été en triple messe des cœurs :

la fugacité des nuages la

fluidité de l’eau les égaler

en vouant au dieu vos lèvres de sang

l’agonie de vos yeux.

(Messe blanche.) 

Libères,

Editions Gallimard, 1970

 

 

Jude tel qu'en lui-même (1995)