LE QUAI DE WIGAN

En 1936, George Orwell est envoyé par Victor Gollancz, le directeur du Left Book Club (édition de poche et club du livre de tendance socialiste), au cœur des zones minières déprimées du Yorkshire et du Lancashire. Il en rapporte une saisissante desciption de la pauvreté, consignée dans le livre The Road to Wigan Pier (1937). Orwell est profondément transformé par ce qu'il découvre : les conditions de travail des mineurs, les maisons noires et délabrées des cités industrielles, les faibles salaires de ceux qui ont un emploi, la crasse, la saleté, la promiscuité, la maladie (tuberculose), l'alcool, le tout accentué par le fléau du chômage. Il ramène des notes très précises - comme le fit par exemple Zola en son temps - sur les maisons, l'espace disponible, le nombre de pièces, de fenêtres, ainsi que sur le montant des loyers, des impôts locaux, des salaires, des assurances et des indemnités de chômage. Dans la plupart des lieux visités, les back to back houses demeurent majoritaires et les conditions de logement dignes de la période mid-victorienne. G.Orwell en tire des conclusions pessimistes sur le chômage global (le chiffre officiel de chômeurs indemnisés serait en fait à multiplier par trois), sur l'état sanitaire de la classe ouvrière (10 millions au moins de la population globale serait mal nourrie en Grande-Bretagne). A Wigan, sur 30 000 assurés (20 000 hommes et 10 000 femmes), Orwell avance le chiffre de 10 000 chômeurs , soit 27% de la population active indemnisée, taux très supérieur aux statistiques officielles régionales. Après les six mois d'indemnisation légale, les chômeurs sont contraints de se tourner vers la charité publique et de subir l'humiliant Means Test, chargé de déceler les éventuels revenus de l'épargne ou de la proche famille. En bon socialiste, Orwell remet en cause la société de consommation et de loisirs, qu'il accuse d'être" du pain et des jeux" pour les pauvres qui n'y ont pas accès ou alors sous la forme de ce qu'il nomme les cheap luxuries : les fish and chips, les bas de rayonne, les grosses cravates, les chocolats bon marché, le cinéma, les paris de football etc. L'édition originale de The Road to Wigan Pier est illustrée d'une trentaine de photographies, rajoutées par l'éditeur Ces photographies montrent des coal-searchers remplissant sur les crassiers des sacs de mauvais charbon destinés à se chauffer, des rangées de maison rendues inhabitables par les glissements de terrain ou des éboulements dus à la mine, des baraquements de fortune en bois où s'entassent des familles de chômeurs, des rues sombres, humides, étroites et sans soleil, des caves insalubres où habitent des familles.

 

Retour